La NSA ment-elle à propos de son échec à empêcher le 11-Septembre?

George Bush avec notamment son vice-président Dick Cheney et la conseillère en sécurité nationale Condoleezza Rice, dans le centre d’opérations d’urgence dans les heures qui ont suivi les attaques du 11-Septembre. REUTERS/U.S. National Archives

Elle prétend que, à l’époque, elle n’avait pas les capacités techniques de localiser un appel passé depuis les États-Unis vers le Yémen, un appel adressé à Ben Laden. Un appel qui, localisé, aurait pu empêcher le 11-Septembre.

Le 20 mars 2000, lors d’un voyage en Asie du Sud, le président américain Bill Clinton devait poser son hélicoptère dans le village très pauvre de Joypura, au Bangladesh, et s’adresser à la population sous un banian vieux de 150 ans. Au dernier moment, la visite fut annulée ; des services de renseignement américains avaient découvert un projet d’assassinat. Dans un très long mail, des membres basés à Londres du Front islamique international pour le djihad contre les juifs et les croisés, groupe terroriste créé par Oussama Ben Laden, avaient demandé aux fidèles d’al-Qaida de «renvoyer Clinton chez lui dans un cercueil» en tirant un missile antiaérien sur l’hélicoptère du président.

Localiser les appels

Le jour même où Clinton devait visiter Joypura, le téléphone sonnait au centre des opérations de Ben Laden à Sanaa, au Yémen. Pour les spécialistes du contre-terrorisme de l’Agence nationale de la sécurité (NSA) de Fort Meade, dans le Maryland, ce numéro yéménite  –967 1 200 578– se trouve alors au sommet de leur liste. Ils écoutent la ligne 24h/24 et 7j/7.

Mais à cette époque, affirme l’agence, la NSA ne disposait pas des moyens techniques permettant de déterminer la provenance de l’appel. Son auteur, comme l’enquête allait le révéler plus tard, était Khalid al-Mihdhar, un des hommes que Ben Laden avait choisi des mois auparavant pour organiser les attaques du 11-Septembre. Il appelait de son appartement de San Diego, en Californie.

La NSA connaissait les liens unissant Mihdhar à Ben Laden et avait déjà fait le lien entre son nom et ce centre des opérations. Si la NSA avait su qu’il appelait le quartier-général de Ben Laden depuis un numéro américain, le jour même où l’assassinat du président était programmé, l’agence aurait très légalement obtenu l’autorisation de mettre sa ligne sur écoute. La Foreign Intelligence Surveillance Court approuvait sans sourciller les écoutes d’espions et terroristes suspectés sur le territoire des États-Unis. En écoutant les conversations téléphoniques de Mihdhar, la NSA aurait très certainement découvert ses liens avec les pilotes du 11-Septembre qui vivaient sur la côte est, à commencer par Mohammed Atta.

En d’autres termes, il est donc probable que le 11-Septembre aurait pu être empêché.

Justifier la collecte de données

Quinze ans plus tard, cet appel et une demi-douzaine d’autres passés depuis l’appartement de San Diego sont au centre d’un débat houleux autour des activités de surveillance interne de la NSA –essentiellement la collecte des métadonnées téléphoniques américaines, dont les administrations de George W. Bush et de Barack Obama ont affirmé qu’elles étaient autorisés par le Patriot Act de 2001. (Cette loi a expiré en juin de cette année et a été remplacée par le USA Freedom Act, qui affirme que, sans un mandat de la Foreign Intelligence Surveillance Court, la NSA n’aura plus accès aux métadonnées téléphoniques.)

Selon Michael Hayden, directeur de la NSA de 1999 à 2005, l’incapacité à localiser à San Diego l’auteur du coup de fil à Sanaa est la preuve même que la surveillance de masse est vitale pour la sécurité nationale américaine:

«Rien dans l’aspect technique et rien dans le contenu de cet appel ne nous a indiqué qu’il provenait de San Diego, a déclaré Hayden à Frontline en 2014. Si nous avions disposé du programme de métadonnées… ce numéro de San Diego nous aurait été connu.»

C’est un sentiment partagé par de nombreux dirigeants, à commencer par le président Obama. «Un des pirates du 11-Septembre, Khalid al-Mihdhar, avait passé un coup de fil depuis San Diego vers un centre connu d’al-Qaïda au Yemen, déclara-t-il en 2014 lors d’un discours au département de la Justice. La NSA a intercepté cet appel, mais ne pouvait voir qu’il provenait des États-Unis. Le programme des métadonnées téléphoniques défini par la section 215 du Patriot Act a été conçu pour retracer les communications des terroristes afin que nous puissions savoir le plus rapidement possible qui est en relation avec qui.»

Mais, selon d’anciens cadres de la NSA, en 2000, l’agence avait parfaitement la capacité de déterminer l’origine californienne des coups de fil passés au QG de Ben Laden.

Ils essaient de masquer l’échec de la NSA

J. Kirk Wiebe

«Ils essaient  de masquer l’échec de la NSA, dit J. Kirk Wiebe, ancien analyste qui a travaillé à la NSA durant trente-deux ans, jusqu’en octobre 2001. Je pense que ça les embarrasse.»

Espionnage total

Dans leur jargon, l’espionnage du centre d’opérations du Yémen était décrit par les vétérans de la NSA comme «cast iron», un terme qui désigne un espionnage total et complet.

Wiebe explique :

«Votre cible est si importante pour le système qu’il est inenvisageable de détourner ne serait-ce qu’une minute le moindre des récepteurs sur cette cible.»

Et chaque transmission téléphonique est naturellement accompagnée par des informations permettant d’identifier la compagnie téléphonique qui l’a transmis. «On connaît les numéros de téléphone impliqués, le nom de celui qui appelle et celui de la personne qu’il appelle, car le système de facturation doit disposer de ces métadonnées pour pouvoir vous faire payer votre appel», poursuit Wiebe. Pour suivre l’activité d’un numéro de téléphone suspect, il suffit donc d’avoir accès aux dossiers ou aux technologies des compagnies téléphoniques.

Au cours d’un déjeuner privé à Washington, William Binney, ancien cadre de la NSA, en charge de l’automatisation des écoutes de la NSA, nous explique en détail la procédure d’interception :

«Un numéro comme celui du centre d’opération de Ben Laden est naturellement suivi par de nombreux sites, et tous les appels qui y aboutissent ou en partent sont donc immédiatement enregistrés mais aussi retranscrits dès que les analystes de la NSA ont un traducteur à disposition», dit Binney.

Le signal «peut être satellitaire, par câble, ou un mélange des deux», dit-il, ajoutant que les compagnies téléphoniques qui collaborent «nous les balancent directement vers nos enregistreurs».

James Bamford

Traduit par Antoine Bourguilleau

MondeHistoire

mis à jour le 08.08.2015 à 13 h 26

slate.fr

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