Sébastien Boussois et Noé Morin, La guerre sainte de Poutine. Passés / Composés, 2023

La guerre sainte de Poutine - Sébastien Boussois - Babelio

Quand vous aurez achevé la lecture de ce petit livre si suggestif et si étonnant, vous vous demanderez sûrement : comment cela est-il possible ? Cette emprise, car c’est bien de cela qu’il s’agit, occulte ou renvoie les schémas habituels, fondés sur la saine raison, à l’arrière-plan. Et lorsqu’on réalise qu’il s’agit de la seconde puissance nucléaire mondiale, on éprouve un sentiment de violent malaise. C’est le moins qu’on puisse faire.

Ce livre nous aide à explorer des aspects que la raison occidentale a a du mal à comprendre ou à simplement intégrer à la réflexion telle qu’elle se  mène dans les sociétés occidentales. Ce sont d’ailleurs ces mêmes mœurs occidentales ou judéo-chrétiennes que récuse l’occupant actuel du Kremlin, replié sur lui-même et sur ses visions qui lui promettent plein succès. Même si son camp, son armée subissent de lourdes défaites, Vladimir Poutine considère qu’il finira par l’emporter, qu’il est investi d’une mission sacrée, le rétablissement de l’orgueil, de la puissance de la grande et sainte Russie. Aucun sacrifice humain ou technique n’est trop cher pour cela. Il y a là une approche religieuse de faits politiques ou militaires, ce qui éloigne tout espoir de retour à la gestion classique de la guerre qui se déroule sous nos yeux.

Quand vous lisez les lignes qui décrivent l’attitude de Poutine face aux mystères de la religion, des pratiques magiques, mystiques ou chamaniques, vous vous interrogerez sur la santé mentale du principal intéressé. Et vous vous demanderez comment les forces vives de cette nation russe (si profondément enfouies dans le terreau orthodoxe russe), vous vous étonnerez de l’absence de toute réaction sérieuse face à un mouvement qui risque de porter gravement atteinte à la Russie.

Il n’est pas inintéressant de relever que Poutine s’est assuré du soutien indéfectible de l’église orthodoxe russe. celle-ci constitue le ciment de la société qui est majoritairement de cette tendance religieuse. Poutine a même tenté d’imposer le même suivisme, la même docilité au grand Rabbin de Russie, M. Goldschmidt, lequel a préféré démissionner de son poste et s’exiler en Israël. On le constate aisément, l’élément religieux et spirituel joue un rôle de premier plan dans la conduite de la guerre par Poutine.

Je ne suis pas comptent pour entrer dans les détails de ces croyances d’un autre âge, surtout lorsqu’elles affectent les plus hautes sphères de l’État, les ministres, les gouverneurs et même le ministre de la défense ou le chef d’État-Major de l’armée : on peut se dire chrétien orthodoxe tout en pratiquant des rites sous la conduite discrète d’un chamane…

Selon les auteurs, de tels faits étaient bien connus mais sciemment négligés par des chercheurs occidentaux, peu conscients des pratiques religieuses ou occultes russes, qu’ils se refusaient à prendre au sérieux, au motif de leur irrationalité. Ces chercheurs ont été victimes de leur tropisme «cartésianiste»… Un esprit européen, élevé loin des principes et des valeurs traditionnelles russes, ne pouvait pas admettre en sa créance de telles représentations. Partant, elles n’avaient pas d’existence avérée dans notre monde. Erreur fatale !! Poutine trouve dans la tradition orthodoxe russe, dans son inconscient comme dans son imaginaire, les ingrédients de sa politique. Tout autre dirigeant aurait changé de braquet en constatant l’étendue de ce qu’il faut bien nommer un désastre. Rien que l’incessante permutation des généraux responsables des opérations était un indicateur fiable qu’il fallait changer de politique. Toute une année d’échecs et de non exécutions des objectifs prescrits auraient dû mettre la puce à l’oreille des dirigeants … Et pourtant, Poutine fait comme si de rien n’était…

Au fond, le rapport de la Russie au religieux s’énonce ainsi : c’est l’orthodoxie qui a fondé la Russie par son humus spirituel, et non l’inverse. L’orthodoxie a réalisé ses objectifs en instrumentalisant cette même institution orthodoxe.

J’ai bien apprécié ce bref résumé de l’histoire de la Russie et on voit bien qu’elle baigne dans ce bain religieux d’où elle a tiré son essence. C’est là-dessus que joue Poutine lorsqu’il attise les oppositions, réelles ou supposées, par rapport au christianisme d’Occident. Le passage sur la troisième Rome montre le côté millénariste de la question. La Russie a une vocation messianique et Poutine, de notre temps, serait chargé de la mener à bien.
Qui a créé qui ? Qui mène qui, l’église orthodoxe ou l’idéologie poutinienne ? L’unité de la Russie s’est faite autour et sous la direction de l’orthodoxie. Dans ce livre si bien informé, vous aurez le loisir de découvrir des êtres étranges qui se sont frayés un chemin jusqu’aux plus hautes sphères de l’État, avec l’assentiment tacite ou déclaré de Poutine. Des hommes d’église ont eu la haute main sur les orientations religieuses ou spirituelles de la Russie, notamment si l’on observe la carrière de l’éphémère chef de l’État, C. Medvedev lequel préside aux destinées de l’union des associations religieuses avec des budgets conséquents…

Le présent ouvrage ne commet pas une grave omission, il consacre tout un chapitre à la politique musulmane de Poutine ; il s’agit d’une population en pleine croissance, forte d’environ 15 et 20 millions d’âmes, et surtout avec l’impact des deux guerres en Tchétchénie… Petit à petit, l’islam russe (la seconde religion du pays, comme en France) s’est intégré à la vie religieuse du pays. Et puis, il y eut la subtile manœuvre de Poutine face au chef de la république musulmane Kadirov dont la loyauté envers le Kremlin est incontestable ; Je n’entre pas dans les détails, notamment les unités combattantes de cette ethnie, envoyées jadis en Syrie pour stopper l’État islamique, et aussi en Ukraine pour suppléer au manque de soldats russes… La question musulmane joue donc un rôle non négligeable dans ce qui reste de l’ancien empire russe..

Les juifs ne sont pas oubliés et l’on redécouvre des liens très anciens, voire remontant à l’installation de populations juives dans certaines régions, bien avant les Russes eux-mêmes. Sans remonter jusqu’à Lénine et Staline, les relations judéo-russes étaient très riches en contrastes et en paradoxes. Par exemple, que Poutine entretienne les meilleures relations avec les rabbins Loubavitch dont certains s’affichent à ses côtés, plaident sa cause dans leurs blogs, en langue russe. Cela s’explique, en partie, par un vécu personnel ou par des intérêts diplomatiques ou d’une autre nature. Là, il s’agit du contexte religieux, d’autre part, il y a les relations d’état à état, d’Israël à la Russie. Sans même parler de la bonne entende entre Poutine et Netanyahou. Mais l’histoire des relations entre les juifs et Poutine remonte à une ère bien avant l’ère poutinienne… Et je ne parle pas des oligarques dont une forte majorité sont d’origine juive… Cela nous mènerait trop loin et ferait exploser le cadre d’une simple recension.

Ce livre fourmille d’idées, aptes à donner lieu à d’importants débats de nature civilisationnelle, notamment sur le bien-fondé de la condamnation d’un Occident déchristianisé et l’exaltation d’un passé orthodoxe construit sur la tradition ancestrale. Il y a chez Poutine, à moins que tout ne trompe, un refus de séparer le spirituel du temporel. Avec toutes les limites que cela présuppose. Saint Augustin avait déjà planifié que La cité de Dieu devrait inspirer la cité ici-bas.. Avec les risques que nous connaissons.

Je préfère, pour finir donner la parole à d’autres, plus experts que moi.

Voici ce qu’écrivait le philosophe Vladimir Soloviev au sujet du destin du pays de Poutine après avoir été celui de Lénine et de Staline :

Si la Russie n’accomplit pas son devoir moral ;si elle ne renonce pas à l’orgueil’ national, si elle continue à croire au droit de la force et non à la force du droit, si elle ne désire pas sincèrement et fortement la liberté et la vérité spirituelle, elle n’obtiendra jamais le succès véritable dans aucune de ses entreprises tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

 

Reprise des conférences du professeur Maurice-Ruben HAYOUN à la mairie du XVIe arrondissement, 71 avenue Henri Martin 75116, salle des mariages : 

Le jeudi 23 mars à 19 heures 

Contactez: Raymonde au 0611342874

 

 

 

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Alain

Les actions doivent être mises en œuvre en fonction d’une vision. Peut-être la vision de Poutine est-elle messianique. Et alors ?
La vision mercantile, dénuée de la moindre spiritualité des occidentaux vaut-elle mieux que celle de Poutine ? Au vu des crimes récents perpétrés sous couvert de lutter contre une pandémie, des manœuvres pour contrer toutes résistances légitimes à l’hégémonie US, le doute est largement justifié.