Le stupéfiant débat auquel a donné lieu la recommandation du président du Consistoire de Marseille de ne pas porter de kippa dans la rue pour éviter les agressions nous offre un extraordinaire travelling sur la façon dont la France « gère » la « question juive » depuis les années 1980. Le fait massif et absolument étourdissant est que ce débat ne porte pas sur le scandale que représente la situation qui a été à l’origine de ce conseil de prudence. Personne ne s’étonne – ou alors cinq minutes  – qu’un adolescent français de 15 ans soit prêt à commette un crime de sang au nom de l’islam, au nom d’une guerre de religion. Qui se scandalise que le milieu musulman français ait produit ces comportements? Qui s’indigne de ce que les autorités de l’islam ne condamnent pas massivement et clairement ces meurtres?  Non, le « débat » porte sur la kippa et finit, avec Braumann, Zemmour et d’autres dans les accusations de communautarisme lancées aux Juifs.  Pincez-vous pour voir que vous ne rêvez pas!

Nous avons là un aperçu d’un système politico-symbolique, géré par les médias et les politiciens, qui emprisonne les Juifs. D’aucuns le définissent comme le « politiquement correct ». Il permet de gérer le problème de l’islam au moyen de l’instrumentalisation politico-symbolique des Juifs. Il y a en effet un problème car l’islam ne s’est pas réformé comme l’ont fait Juifs et chrétiens pour rentrer dans la nation et la République mais tout se passe comme si l’Etat n’avait pas la capacité de promouvoir et d’exiger cette réforme comme il l’avait fait – il est vrai sous Napoléon 1er pour les deux autres religions.

 

Le Juif joue ainsi le rôle de substitut: pour transmettre un message au musulman, on s’adresse à lui; pour parler de l’islam, on parle du judaïsme. Il n’est plus possible de parler des Juifs sans les mettre en balance avec les musulmans. Le Juif fait ainsi office de « fétiche »  qu’on maltraite à loisir pour fustiger ces derniers. On peut tout lui dire, tout en dire, il est trop semblable et pacifique pour qu’on ait à craindre de sa réaction. Sur le plan public, il « couvre » et protège ainsi le musulman, qu’il représente aux yeux de la société. Comme l’a proclamé ue série de la chaîne Arté « Le Juif est un Arabe comme les autres »… Chacun aura remarqué la manie de mettre toujours les Juifs en équation chaque fois que l’on parle de l’islam, histoire de faire « équilibre »  pour que les musulmans ne se sentent pas « stigmatisés » (mais pourquoi les Juifs et pas les Corses[1]?).

 

Juifs et musulmans sont ainsi mis dos à dos pour cacher le fait que depuis 15 ans les actes antisémites viennent de milieux musulmans et sur des motifs islamiques. C’est le rôle des mots-valises comme « conflit intercommunautaire », « conflit importé » qui extranéïsent un problème français. L’ennui c’est que celà s’est fait aux dépens des Juifs, injustement rendus responsables des avanies qu’ils subissaient. On a préféré les dénationaliser symboliquement pour sauvegarder la « religion de paix », en renvoyant dos à dos, « hors-France » les protagonistes. Un ministre était allé jusqu’à « comprendre » pourquoi les jeunes musulmans s’en prenaient aux Juifs avec ce que le « sionisme » faisait aux Palestiniens. Toute la charge de l’accusation est ainsi retombée sur le « sionisme », quintessence de l’exécration (au point que des personnages publiques comparent l’alyia au départ pour le djihad) à ce que l’on peut constater à longueur de temps dans les médias, l’opinion, jusqu’à l’obsession maladive de l’Union Européenne à l’encontre d’Israël.

 

Les Juifs sont ainsi tenus pour responsables de ce que font des musulmans. L’opération est complexe et dialectique. Le slogan « pas d’amalgame » protège les contrevenants de toute accusation et libère leur milieu de toute responsabilité. Mais l’amalgame joue cependant à fond contre les Juifs, identifés aux signaux négatifs que sont Israël, l’inhumanité (les Israéliens tuent des enfants!), le communautarisme… Il s’accompagne aussi d’un dommage collatéral qui ne frappe que les Juifs: la dissension interne dont les Rony Braumann et Zemmour sont les voix aujourd’hui. En fait, il critiquent  l’islam, eux aussi, à travers les Juifs. Braumann a-t-il jamais condamné les meurtres islamiques? Les musulmans, quant à eux, sont préservés (par le pas d’amalgame des censeurs publics) de cette dissension interne qui verrait certains des leurs les accuser en masse. Ils sont au contraire innocentés en masse mais avec les coupables en leur sein, dans le plus parfait amalgame! 

Ce système, pour être efficace, doit donner le spectacle de la paix publique qui ne peut être que la « réconciliation » des Juifs et des musulmans, à travers force cérémonies de « pacification » et de « conciliation »[2], pour lesquelles la coopération des instances juives (et musulmanes) est demandée, par l’Etat, sommées de démontrer sur le perron de l’Elysée que la paix règne entre « les deux communautés »[3]. En somme les représentants des victimes sont conviées à une cérémonie de pacification destinée à démontrer que tout va bien…

C’est la fin de ce système, le refus des Juifs de « jouer le jeu » que manifeste le fait d’enlever la kippa. Le débat actuel, du côté institutionnel juif comme national, ne fait que réagir à cette « menace » sur le théatre des illusions.

Shmuel Trigano

Shmuel Trigano

*À partir d’une chronique parue sur Actu J le 21 janvier 2016.

 


[1] Il faudrait faire l’archéologie des raisons qui y ont conduit. Trois moments l’expliquent:

-la création de SOS Racisme qui eût pout but de geler et encadrer les conséquences politiques de la « marche des Beurs » en 1983.  SOS Racisme accrédita le slogan « Juifs=immigrés » et rendit possible l’inscription consécutive des Juifs et des musulmans dans « l’antiracisme » face au mythe de Le Pen, créé de toutes pièces par Mitterand, en vue d’une stratégie qui avait pour but d’aasurer la prééminence à la gauche en pulvérsant la droite.

-Avec la cause palestinienne, lors de la 2eme Intifada,  les activistes musulmans trouvèrent une occasion de monter sur la scène politique (ce fut le début du « nouvel antisémitisme »), d’autant que l’antisionisme avait trouvé une légitimité dans l’opinion française (la manifestation pour le boycott d’Israël, la semaine dernière devant l’Opéra, au lendemain de l’attentat de Marseille, et où ont été acclamés les noms de terroristes palestiniens, son autorisation par la préfecture montrent que les deux dimensions coexistent sans incohérence (sic). Les « Beurs » avaient trouvé alors une cause pour monter sur la scène politique jusqu’à la violence comme on l’a vu dans diverses manifestations.

-Le retournement de l’équivalence de SOS Racisme (Juifs=immigrés) se fit avec la première affaire du foulard lorsque le « mainstream » a inclus les Juifs dans le pseudo « Front uni des religions ».

Derrière toutes ces occasions historiques, il y a de toute façon dans ces populations un fond archaïque d’antijudaïsme, bien connu en Afrique du Nord. Quoiqu’il en soit, tout activiste sait que la chose juive est une matière fissile. « Toucher à un Juif », n’est-ce pas « toucher à la République »? Pour porter un coup à tout le système national et européen il faut simplement porter un coup aux Juifs.

[2] Le modèle universel en a été donné pour la première fois avec l’opération « Marseille-Espérance » (1990). L’Etat républicain n’a trouvé que le « dialogue inter-religieux » pour assurer la paix civile dont il est censé être l’acteur exclusif.

[3] Selon l’expression très perverse de François Mitterand, après la première guerre du Golfe, félicitant « les deux communautés » (sans les nommer) d’être restées tranquilles pendant la guerre.

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MK

Le bas, c’était pendant la seconde guerre mondiale, quand il fallait se déculotter pour voir si l’on était circoncis ou pas !