Pourquoi Israël ne reconnaît pas le génocide des Arméniens ?

Israël fait partie des pays qui ne reconnaissent pas officiellement le génocide des Arméniens en 1915. Des voix s’élèvent contre cette position diplomatique qui vise à éviter d’envenimer les relations déjà tendues avec la Turquie.

 

À la veille des commémorations officielles du centenaire du génocide des Arméniens en 1915, des voix se sont élevées dans la communauté juive en France et en Israël pour demander à I’État hébreux de reconnaître officiellement le caractère génocidaire de ce massacre commis sous l’Empire ottoman.

« Dans moins de 25 ans, ce sera au tour du centenaire du génocide des juifs d’être célébré dans le monde entier, et – nous l’espérons – y compris dans le monde musulman. Comment cultiver cette espérance d’unanimité si l’État des juifs se refuse encore à cette reconnaissance formelle pour ne pas indisposer son puissant voisin turc ? », se sont indignés, dans une tribune du « Monde« , Serge et Arno Klarsfeld, respectivement président de l’association des « Fils et filles des déportés juifs de France » et ancien avocat de cette même association.

Comme le rappellent le père et le fils, la non-reconnaissance du génocide des Arméniens a joué un rôle historique dans le passage à l’acte des nazis qui ont massacré plusieurs millions de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce que confirme Edy Cohen, chercheur au département d’études du Moyen-Orient de l’université israélienne de Bar-Ilan. Des archives montrent « que l’apathie de la communauté internationale, l’oubli du massacre des Arméniens par les Turcs pendant la Première Guerre mondiale et l’absence de réponse appropriée ont encouragé Adolf Hitler à conquérir des territoires et à anéantir les juifs en Europe », écrit-il dans un édito publié sur i24news, dans lequel il dénonce la position diplomatique d’Israël.

Les tentatives lancées ces dernières années par des députés israéliens pour faire reconnaître le caractère génocidaire des massacres perpétrés par les Turcs envers les Arméniens ont échoué. En 2011, puis une nouvelle fois en 2013, Zahava Gal-On du parti israélien de gauche Meretz notamment, avait poussé la Knesset à examiner une reconnaissance du génocide, sans résultat. Malgré les appels persistants de ces députés, et une pétition signée par des artistes et intellectuels israéliens, l’État hébreu n’a pas changé de position.

Point de vue du Président de l’Etat – Reuven Rivlin.

S’adressant aux Nations unies à New York lors de la Journée internationale du souvenir de l’Holocauste au début de cette année, le président Reuven Rivlin a consacré une grande partie de son discours au sort des Arméniens, qui ont été tués par centaines de milliers entre 1915 et 1923.

Rivlin a parlé de « cent ans d’hésitation et le déni » et a souligné qu’à l’époque, personne dans la Terre d’Israël n’avait nié que le massacre avait eu lieu.

« Les habitants de Jérusalem, mes parents et les membres de ma famille, ont vu les réfugiés arméniens qui arrivent par milliers – affamés, pitoyables survivants de calamité. A Jérusalem, ils ont trouvé refuge et leurs descendants continuent à y vivre jusqu’à ce jour », a-t-il dit.

Lors de son discours , il a prononcé le mot « génocide » neuf fois – mais jamais dans le contexte de ce qui était arrivé aux Arméniens. Ou bien l’a-t-il fait ?

S’exprimant dans sa langue maternelle, Rivlin faisait référence au « retsach bnei haam haarmeni », qui signifie « l’assassinat des membres de la nation arménienne », mais qui rappelle le terme hébreu pour génocide, ‘retzah am’.

Pour certains, le choix des mots était un intelligent dispositif rhétorique par lequel il a élégamment évité un piège diplomatique, puisqu’Israël n’a jamais reconnu officiellement le génocide arménien. La communauté arménienne en Israël, néanmoins, a été déçue.

Rivlin était jadis connu comme l’un des plus fervents défenseurs du pays de la reconnaissance sans équivoque du génocide, a fait remarquer Georgette Avakian, membre du Comité du cas arménien en Israël.

Les membres de la communauté arménienne défilent avec des drapeaux et des torches le 23 avril 2015 dans la Vieille Ville de Jérusalem, à la veille du 100e anniversaire des massacres d'Arméniens sous l'Empire ottoman en 1915. (Crédit photo: AFP / GALI TIBBON)

 

« Aujourd’hui, il est le président de l’Etat et les choses ne sont pas exactement comme elles l’étaient, » a-t-elle déclaré au Times of Israel. « Il n’a pas utilisé le mot génocide. Certes ,il a dit retsach bnei haam haarmeni, mais cela ne suffit pas ».

Ce vendredi, le monde commémore le 100e anniversaire de l’assassinat en masse de près d’un million et demi d’Arméniens par les Turcs ottomans.

En fait, pas le monde entier. Si de nombreuses autorités régionales et locales ont reconnu le génocide arménien, de l’Écosse, la Nouvelle-Galles du Sud et 44 États des États-Unis jusqu’à la province de Buenos Aires et la municipalité d’Alep en Syrie, l’écrasante majorité des pays dans le monde – y compris les Etats-Unis, Allemagne et bien sûr Israël – refusent de le faire.

Dans la plupart des cas, les pays ne veulent pas se référer officiellement aux événements entre 1915 et 1923, au cours desquels les forces ottomanes ont massacré les citoyens arméniens dans un acte systématiquement planifié de nettoyage ethnique, comme un génocide, par souci de leurs liens avec la Turquie, qui est un membre de l’OTAN et un allié musulman important de nombreux pays occidentaux.

Ankara nie résolument qu’un génocide ait eu lieu sur son sol et s’oppose de manière agressive à tous ceux qui adoptent cette terminologie.

Au debut du mois, le pape François a fait référence à l’assassinat en masse des Arméniens comme « le premier génocide du 20e siècle ».

La Turquie était furieuse : le souverain pontife avait rejoint « le complot » d’un « front du mal » contre le parti au pouvoir AK, a  déclaré le premier ministre Ahmet Davutoglu. (Même si le Vatican avait déjà officiellement reconnu le génocide arménien en 2000, quand le pape Jean Paul II avait dit qu’il était un « prologue aux horreurs qui allaient suivre ».)

Israël ne reconnaît pas officiellement le génocide arménien pour diverses raisons géopolitiques qui vont au-delà d’une détente espérée avec la Turquie.

Ces considérations stratégiques pèsent si fortement qu’elles continuent de l’emporter sur la forte pression d’organisations juives et arménienness et même d’un nombre important de politiciens israéliens. Le déni permanent d’Israël du génocide arménien a survécu à plusieurs débats à la Knesset et même aux efforts déployés par un ancien ministre de l’Education pour inclure le sujet dans les programmes scolaires.

« La position d’Israël n’a pas changé », a déclaré le porte-parole ministère des Affaires étrangères, Emmanuel Nahshon, dans une interview la semaine dernière.

« Israël et le peuple juif font preuve de solidarité et d’empathie envers le peuple et le gouvernement arménien à la lumière de la profonde tragédie qu’ils ont endurée pendant la Première Guerre mondiale. »

Nahshon a soigneusement contourné le mot commencant par un g. Pareil pour la Knesset qui dans  son communiqué de presse à propos de la délégation d’Israël à Erevan pour les événements commémoratifs officiels du week-end, se réfère simplement à la « tragédie arménienne ».

Trois representants israéliens doivent représenter l’Etat en Arménie : Les députés  Anat Berko (Likud) et Nahman Shai (Union sioniste) et l’ambassadeur non-résident d’Israël en Arménie, Shmuel Meirom.

Anat Berko (Crédit : autorisation)

« Israël doit reconsidérer sa position sur la question de savoir si le temps est venu de reconnaître le fait qu’un génocide arménien s’est produit. En tant que Juifs, nous devons le reconnaître », a déclaré Shai, dont le parti de centre-gauche sera probablement dans l’opposition.

Dans  une interview il est allé jusqu’à qualifier les événements tragiques « d’Holocauste arménien » osant même dire qu’ils étaient « juste comme ce que les nazis ont fait aux Juifs ».

Mais Berko, qui représente le parti au pouvoir en Israël, a évité ces termes.

« Nous considérons cette horrible tragédie et nous nous identifions avec le peuple arménien, » a-t-elle indiqué la semaine dernière au Times of Israel.

Jérusalem reconnaît la souffrance qui a frappé le peuple arménien et le montre en envoyant une « délégation respectable » à Erevan, a-t-elle ajouté, laissant entendre que c’est à peu près tout ce qu’Israël peut faire pour les Arméniens à ce stade.

« C’est la position de l’État. Nous représentons l’État ; mon opinion personnelle sur la question n’est pas importante »,dit-elle au sujet du refus de Jérusalem d’appeler un génocide un génocide.

Faire référence aux événements d’il y a 100 ans comme une « horrible tragédie » est assez fort, et il n’est pas nécessaire de s’engager à les qualifier de génocide, a-t-elle soutenu, insinuant que les historiens sont encore peu clairs sur ce qui s’est exactement passé à l’époque.

Est-ce que la reconnaissance du génocide arménien marginalise la Shoah ?

En 2001, lorsque les relations avec la Turquie étaient bien meilleures qu’aujourd’hui, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Shimon Peres, avait catégoriquement réfuté les « allégations arméniennes, » les dénonçant comme des tentatives pour créer un parallèle entre elles et la Shoah. « Rien de semblable à la Shoah n’a eu lieu. Ce que les Arméniens ont subi est une tragédie, mais pas un génocide », avait-il alors déclaré.

Le caractère unique de la Shoah, estiment certains, empêche Israël de faire référence à la situation arménienne comme un génocide.

Suivant cette logique tordue, reconnaître le génocide d’un autre peuples atténue en quelque sorte sa propre histoire tragique.

D’autre part, un nombre croissant d’Israéliens soutiennent que puisque les Juifs ont subi un génocide, ils sont tenus d’être les premiers à le reconnaître s’il est fait à d’autres.

Beaucoup d’importantes organisations juives, parmi elles l’Anti-Defamation League et l’Union for Reform Judaism, ont depuis longtemps reconnu le génocide arménien.

« En tant que membres d’une nation qui a connu la Shoah et qui combat la négation de l’Holocauste, nous sommes obligés de montrer une sensibilité particulière envers la catastrophe d’un autre peuple », est-il écrit dans une pétition en ligne demandant au gouvernement israélien de reconnaître le génocide arménien.

Parmi les signataires on note des Israéliens éminents de toutes les sphères, comme l’écrivain Amos Oz, l’historien Yehuda Bauer, le général à la retraite Amos Yadlin, l’ancien ministre du Likud Dan Meridor et une dizaine d’anciens députés et ministres. (Jusqu’à présent, environ 790 personnes ont signé la pétition).

Malgré tout, les chances pour que que Jérusalem prenne en compte de si tôt leur appel restent faibles, selon Israël Charny, le directeur de longue date de l’Institut sur l’Holocauste et le génocide à Jérusalem et l’un des premiers et plus fervents défenseurs israéliens de la reconnaissance du génocide arménien.

« Actuellement, le mieux que nous pouvons espérer, c’est que les représentants du gouvernement fassent des déclarations menschlich [décentes] de reconnaissance du génocide et de sympathie et d’identification du peuple juif avec le peuple arménien et la tragédie et le mal qu’ils ont subis ». estime-t-il.

Mais Charny, qui a été invité par le gouvernement arménien à assister à la commémoration officielle d’Etat du génocide vendredi à Erevan, ne s’attend pas à une nouvelle tentative parlementaire de voter une reconnaissance officielle israélienne.

Il a assisté à de telles discussions antérieures à la Knesset, au cours desquelles il a estimé que la majorité des députés sont en fait en faveur d’une loi sur la reconnaissance, mais qu’ils étaient toujours étouffés par les pouvoirs en place au ministère des Affaires étrangères et au bureau du Premier ministre.

Même s’il est improbable qu’une telle loi soit adoptée par la 20e Knesset, Charny espère, à tout le moins, que « les gens qui veulent l’étouffer portent la honte et la responsabilité historique pour étouffer quelque chose qui est absolument de bonne foi, et dont on dispose des preuves évidentes, et qui est un précurseur de la Shoah ».

Israël devrait prendre un exemple sur l’Arménie, qui a commencé à consacrer des ressources importantes à l’étude des autres génocides que le leur, dit Charny.

L’équivalent arménien de Yad Vashem, le musée israélien de la Shoah, a récemment construit une nouvelle bibliothèque dédiée aux assassinats en masse des autres peuples, et les législateurs ont établi un jour de commémoration pour les victimes de tous les génocides.

En comparaison avec l’Arménie, a-t-il suggéré, Israël semble égoïste et indifférent aux tragédies des autres gens, comme si les Juifs avaient le monopole de la souffrance.

« Il n’y a rien en Arménie qui puisse minimiser la mémoire de leur propre génocide. Au contraire. Mais ils élargissent leur vision du monde », a-t-il expliqué.

« Pour moi, c’est l’aspect le plus sage de notre tradition juive – il s’agit de l’Israël auxquel rêvent moi et beaucoup d’autres comme moi – qui serait capable de s’étendre à être aussi concerné par les génocides des autres, et pas seulement d’être préoccupé par la realpolitik ».

Qu’est-ce qui, exactement, retient Jérusalem de reconnaître le génocide arménien ?

Israël est un petit pays dans un quartier hostile qui ne peut pas se permettre de contrarier les quelques amis qu’il a dans la région. Même des États plus puissants refusent d’employer le terme de génocide, de peur de s’aliéner la Turquie, et bien que les liens entre Jérusalem et Ankara sont à un niveau historiquement bas, Israël sait que la reconnaissance du génocide arménien éloignerait toute perspective de réconciliation.

Mais peut-être plus importante que les liens avec la Turquie est l’amitié naissante d’Israël avec l’Azerbaïdjan.

Un pays musulman chiite modéré mais frontalier à l’Iran, qui est l’ennemi juré de l’Arménie et s’oppose donc à toute reconnaissance de la victimisation arménienne.

En effet, les Azéris participent actuellement à une campagne visant à dépeindre les Arméniens eux-mêmes comme les auteurs d’assassinats en masse systématiques. Citant ce qu’on appelle le massacre de Khodjaly de 1992, dans lequel les Azéris ont été tués pendant la guerre du Haut-Karabakh, les fonctionnaires et les universitaires favorables au gouvernement de Bakou accusent les Arméniens de génocide.

Lors de son discours de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste à l’ONU, Rivlin a effectivement cité Khodjaly parmi un certain nombre d’autres « génocides » apparents, au grand dam des Arméniens.

En février, le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liberman, a assisté à un événement en Azerbaïdjan commémorant les événements de Khodjaly, fâchant à nouveau l’Arménie.

« Il est inapproprié que n’importe quel politicien puisse se permettre d’être attiré dans des manipulations azerbaïdjanaises bon marché », avait déclaré à l’époque le porte-parole du ministère arménien des Affaires étrangères Tigran Balayan.

(Plusieurs articles dans la presse israélienne ont repris ces allégations, mettant l’accent sur un effort concerté de transformer les Arméniens de victimes en bourreaux.)

Pour Avakian, du Comité arménien basé à Jérusalem, Israël refuse de reconnaître le génocide arménien « uniquement en raison d’intérêts matériels ».

« C’est à cause des relations avec l’Azerbaïdjan et la Turquie, des ventes d’armes et d’autres questions économiques. Israël a oublié que le peuple juif a également connu un Holocauste horrible ».

Bakou et Jérusalem ont en effet de solides liens commerciaux, en plus d’une méfiance mutuelle envers l’Iran.

Environ 40 % du pétrole utilisé en Israël provient d’Azerbaïdjan, et Jérusalem « vend aussi à son partenaire azéri des blindés de transport de troupes, des nombreux lance-roquettes, des fusils Tavor et des munitions » ont écrit en 2013 les chercheurs Anna Geifman et Dima Course de l’université Bar-Ilan.

« Et puisqu’aucun des deux pays n’a assez d’amis au-delà de ses frontières, il devrait être clair que chaque partenaire contribue au lobbying indispensable de l’autre ».

Il y a un puissant lobby au sein du gouvernement israélien qui met la realpolitik avant les principes, ce qui explique pourquoi des liens étroits avec l’Azerbaïdjan empêchent la reconnaissance du génocide arménien, dit Charny, le spécialiste des génocide basé à Jérusalem.

« L’Arménie est un pays pauvre, en difficulté, un plus petit pays. Et ils ne valent pas grand chose dans leur shtetl là-bas en Arménie, par rapport à l’Azerbaïdjan florissant », a-t-il dit d’un ton sarcastique.

Et pourtant, les efforts visant à placer la vérité historique et les considérations morales avant l’opportunisme politique viennent aussi bien de la gauche que de la droite en Israël.

En 2000, le ministre l’Education d’alors, Yossi Sarid, (Meretz) a annoncé des un plan pour placer le génocide arménien dans les programmes d’études de l’histoire en Israël.

« Le génocide est un crime contre l’humanité et il n’y a rien de plus horrible et odieux qu’un génocide. L’un des objectifs de notre éducation – notre principal objectif – est d’inculquer la sensibilité à l’atteinte à l’innocent fondée sur la seule nationalité », a-t-il dit lors du 85e anniversaire du massacre. « Nous, Juifs, en tant que principales victimes de la haine meurtrière sommes doublement obligés d’être sensibles, de nous identifier aux autres victimes ».

Une décennie plus tard, en juin 2011, ce fut le député Arye Eldad, du parti d’extrême droite HaIhud HaLeumi, qui a présenté une proposition de loi pour déclarer chaque année le 24 avril comme Journée de commémoration du génocide arménien.

Quelques semaines plus tôt, la Knesset avait tenu son premier débat sur la reconnaissance du génocide. Il est apparu qu’il y aurait une majorité pour la reconnaissance, mais la question n’a jamais été soumise au vote.

Un autre homme politique de droite – il est aujourd’hui le président de l’Etat d’Israël – était l’un des défenseurs les plus virulents en faveur la reconnaissance du génocide arménien à la Knesset. En tant que député et president de la Knesset, Rivlin a fait valoir que l’impératif moral de ne pas nier la souffrance d’un autre peuple doit l’emporter sur tout besoin diplomatiques et géopolitiques d’Israël.

C’est impensable pour la Knesset d’ignorer cette tragédie, avait dit Rivlin il y a deux ans dans l’hémicycle. « Nous exigeons des autres de ne pas nier la Shoah, et nous ne pouvons ignorer la tragédie d’une autre nation. »

Il a même cherché à établir une session parlementaire annuelle à l’occasion du génocide arménien.

« Il est de mon devoir en tant que Juif et Israélien de reconnaître les tragédies des autres peuples », avait déclaré Rivlin. « Les considérations diplomatiques, aussi importantes soient-elles, ne nous permettent pas de nier la catastrophe [vécue par] un autre peuple. »

Aujourd’hui, en tant que chef d’Etat, dont les paroles ont tellement plus de poids sur la scène internationale, Rivlin fait face à un véritable dilemme : la clarté morale contre l’opportunisme politique. Alors que les Arméniens l’accusent de volte-face, d’autres défenseurs de la reconnaissance disent qu’il reste attaché à la cause.

La façon dont il a marché sur la pointe des pieds autour du mot génocide lors de son discours à l’ONU n’est pas la seule manifestation de son apparente hésitation à utiliser par rapport à l’Arménie.

En décembre, il a également décidé de ne pas renouveler sa signature sur une pétition annuelle appelant Israël à reconnaître le massacre comme un génocide. Les militants pro-israéliens de la reconnaissance ont été déçus, mais certains ont reconnu qu’un président ne pouvait pas signer des pétitions de ce genre.

Pour Charny, le chercheur sur les génocide, les mérites pro-reconnaissance de Rivlin restent entièrement intacts.

Certes, le président a évité de prononcer le mot génocide, mais il a donné de l’importance au massacre des Arméniens lors de son discours à l’ONU, en ayant suggéré que le prophète Jérémie aurait pleuré pour les Arméniens comme il avait pleuré pour le peuple d’Israël.

Pour Charny, la référence de Rivlin au retsach bnei haam haarmeni compte ha’armeni equivaut à une reconnaissance complète du génocide arménien, « et je considère cela comme une étape symbolique majeure. »

Le système politique d’Israël impose certaines limitations aux pouvoirs du président, mais « ce n’est pas une mince affaire lorsque le président d’un pays adopte une position comme celle=ci, » a-t-il ajouté. « C’est une percée et il est tragique qu’elle ne soit pas reconnue comme telle, que ce soit en Israël ou en Arménie. »

En effet, il y a des indications claires que Rivlin n’a pas changé d’avis sur la question. Lors d’un point de presse pour les journalistes étrangers la semaine dernière, il a félicité le pape d’avoir reconnu le génocide arménien.

« J’ai été le premier à dire que c’était un génocide », a-t-il dit. « Si nous ne parlons pas pour les Arméniens, que diront-ils pour nous ? »

 

Relations dégradées entre Israël et la Turquie

Pour Israël, il s’agit de préserver des relations diplomatiques déjà tendues avec la Turquie. Ankara était l’un des proches alliés de l’État hébreux dans le monde musulman, avant que la situation ne se dégrade en 2010 avec la prise d’assaut par l’armée israélienne d’un navire turc, le Mavi Marmara. Le bateau faisait partie d’une « flottille pour Gaza » voulant briser le blocus naval israélien autour de l’enclave palestinienne. Dix ressortissants turcs avaient péri dans cette opération militaire.

Depuis, les rapports turco-israéliens ne se sont pas améliorés. Après la marche organisée le 11 janvier à Paris pour condamner les attentats terroristes, le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu, dérangé par la présence de son homologue israélien Benjamin Netanyahou, l’avait comparé aux terroristes islamistes. L’État hébreu avait alors répliqué par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, en traitant le président turc Recep Tayyip Erdogan de « petit caïd antisémite ».

Paradoxalement, les échanges commerciaux entre Israël et la Turquie sont restés au beau fixe et ont continué de croître, s’élevant à 5,2 milliards d’euros en 2014, selon le site d’information turc Today’s zaman.

Ne pas froisser l’Azerbaïdjan

D’après une source officielle israélienne citée par Al-Monitor, site spécialisé dans l’actualité et la recherche sur le Moyen-Orient, la position d’Israël s’explique également par ses liens avec l’Azerbaïdjan. Pour cet ancien État membre du bloc soviétique, en conflit avec l’Arménie voisine, le génocide est une « invention historique ». Si Israël reconnaît le caractère génocidaire du massacre des Arméniens, l’Azerbaïdjan pourrait se froisser.

Or, c’est un autre allié musulman de poids dans la région, et ce d’autant plus que les relations avec la Turquie se sont détériorées. L’Azerbaïdjan, qui comme Israël considère le nucléaire iranien comme une menace, possède 611 kilomètres de frontière avec l’Iran. Une position stratégique qui n’est pas sans intéresser Israël, pour qui l’Iran reste un ennemi à surveiller.

Outre Israël, la position d’autres États concernant le drame arménien reste encore ambigüe. Washington, qui appelle à reconnaître les faits, n’utilise jamais le mot « génocide », tout comme le Royaume-Uni.

JForum.fr-Times of Israël France 24

 

 

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