Israël dans la tourmente …

L’apparent dénouement de la crise que vient de connaître l’état hébreu avec le dernier vote de la Knesset n’est pas le coup de sifflet final que la plupart des observateurs attendaient. Ce n’est qu’un développement provisoire, une simple étape d’une grave crise qui couvait depuis bien longtemps dans le système politique d’Israël. Depuis sa naissance au forceps, en raison de la lourde menace de ses voisins, l’état dit juif a su naviguer avec adresse entre les différents écueils qui minaient ses institutions ; dépourvu d’une constitution en bonne et due forme, cet état s’est voulu fidèle à cette double allégeance que sont la démocratie d’une part et le sionisme d’autre part, traduction politique moderne de l’identité ancestrale juive. Tous les gouvernements qui se sont succédé, de droite comme de gauche, ont tenté avec une touchante bonne volonté, de concilier l’impératif démocratique et l’indenté juive. Or, ces deux idéaux ressortissent à des traditions et à des philosophies politiques différentes. Car, en se considérant l’héritier de toutes les communautés juives dans le monde, la doctrine sioniste appliquée à tous a favorisé non point la fusion si ardemment souhaitée des différents éléments constitutifs du peuple d’Israël, mais s’est contentée d’une simple juxtaposition, un simple côte-à-côte de populations et de mentalités disparates.

Cela était prévisible et supportable tant que ce pays parvenait à fonctionner et à se développer. Mais lorsque les ferments de la discorde atteignirent un développement considérable, toutes ces forces centrifuges ont voulu tirer la couverture à soi, provoquant une béance, un vide, que nous avons connu durant toutes ces dernières semaines. Ce qui était conçu comme du provisoire ne pouvait pas se poursuivre éternellement. A chaque élection, ou consultation politique, le problème se posait et la double fidélité à la démocratie d’une part, et à la religion, d’autre part butait contre ses limites.

D’où l’activisme d’une Cour de justice suprême que la quasi-totalité des partis politiques souhaitaient réformer. Mais chaque bord politique avait sa propre conception de la réforme judiciaire souhaitée. Celle qui est en cours aujourd’hui semble, aux yeux de tant de citoyens israélien, constituer une menace pour un régime réellement démocratique. Nous laissons à de meilleurs experts le soin de départager les deux camps. Une chose est claire : il faut se pencher avec soin sur la manière de prévenir le danger théocratique que certains brandissent tout en affirmant ne pas léser les partis religieux. On a l’impression de revivre l’ancien débat qui couve depuis si longtemps entre la citoyenneté israélienne et la pratique religieuse juive. En d’autres termes : au train où vont les choses, les Israéliens sont-ils encore des juifs ou sont ils devenus autre chose ?
On raconte un incident survenu il y a peu d’années dans un avion d’El Al qui atterrissait en Israël. Un passager israélien s’est plaint que l’hôtesse ait souhaité une bonne fête juive aux voyageurs… La religion juive en Israël ne devait pas, selon lui, empiéter sur un régime que ce ce passager voulait laïc de part en part… On devine la réaction des autres passagers de ce même avion qui n’étaient pas du tout choqués par cette interférence, tant elle leur semblait naturelle et allant de soi.

Ces différentes réserves sont loin d’être anecdotiques : ce que les uns considèrent comme d’intolérables empiètements de la religion constituent aux yeux des autres un héritage sacré de la religion juive à laquelle ils ne sont pas près de renoncer. Et c’est bien cela qui constitue l’arrière-plan de la controverse judiciaire. La Cour suprême est censée jouer le rôle d’un garde-fou, empêchant un gouvernement peu scrupuleux d’agir à sa guise au mépris d’une loi fondamentale.

Il est permis de s’en référer à un grand connaisseur de l’histoire de l’ancien Israël, en l’occurrence, Ernest Renan (mort en 1892) qui faisait le constat suivant : Mais toutes ces lois ne poursuivaient qu’un but, donner à Israël une organisation sacerdotale et rattacher le tout à des révélations mosaïques. Israël, , n’est plus une nation au sens politique du terme, c’est une communauté religieuse dont la vie est rythmée par le culte sacrificiel du Temple. A partir de ce moment là, le souffle prophétique fut réduit à néant par la classe sacerdotale.
Je n’affirme pas que la situation actuelle est bien décrite par Renan, mais ils évident que la majorité des adversaires de cette réforme judiciaire si vilipendée veut favoriser l’émergence de ce type d’état en Israël. Quand on regarde les différents accords de coalitions signés par les partis religieux avec Benjamin Netanyahou, on ne peut plus douter de la prééminence de l’élément religieux dans toute cette coalition… L’indignation que cela a soulevé au sein d’une partie non négligeable de la population israélienne montre que l’on craignait l’affaiblissement, voire la disparition à terme du caractère démocratique de l’état d’Israël. On peut aussi dire que certaines forces politiques antireligieuses ont volontairement exagéré cette menace.
En tout état de cause, on attend de l’état d’Israël qu’il prenne une décision claire, si tant est que cela soit possible… Et qu’il y associe d’autres forces politiques
Cette crise est avant tout de nature identitaire : qu’est ce qu’un état juif et dans quelle mesure peut-il concilier les idéaux de la politique et de la religion ?

Manifestation à Tel-Aviv, le 26 mars 2023, contre la réforme de la justice en Israël – Capture d’écran AP

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

CYCLE DE CONFÉRENCES 2023-2024 à la mairie du 16e arrondissement

Aux racines de la culture européenne

Après le pénible épisode de la Covid 19 et ses incontournables conséquences, les conférences mensuelles existant depuis plus d’un quart de siècle, reprennent à la mairie de notre arrondissement. Nous nous en réjouissons largement. Elles débiteront dès cet automne, à raison d’une conférence tous les deux mois.
Leur objet reste le même : réfléchir sur l’identité culturelle de l’Europe, son histoire et son avenir. On s’occupera des influences, de la diversité des apports et des changements, voire des bouleversements qui ont affecté notre continent. Plus qu’un site géographique, l’Europe est une culture.
Pourtant, il semble que les élites, appelées à défendre les couleurs de l’Europe, doutent de plus en plus de l’honorabilité de notre patrimoine culturel. Toutes les civilisations ont connu des doutes, à un moment ou à un autre de leur histoire. La civilisation judéo-chrétienne a tout de même réalisé des choses exceptionnelles. Elle a fait à l’humanité l’apostolat du monothéisme éthique et du messianisme, deux valeurs indémodables qui ont irrigué, dans leur forme laïcisée et sécularisée, la plupart des cultures : le caractère sacré de toute vie humaine, la relation apaisée aux autres civilisations et aux autres cultures.

Maurice-Ruben HAYOUN. (hayounmauriceruben@gmail.com)

CYCLE DE CONFÉRENCES *

Jeudi 12 octobre à 19 heures
Philosophie , laïcité et religion dans l’Europe contemporaine

Jeudi 14 décembre
Existe-t-il une vérité religieuse  ?

Jeudi 1er février 2024
L’idée religieuse du sacrifice : un plaidoyer en faveur du martyr ?

Jeudi. 19 mai
Sören Kierkegaard et la «suspension de l’éthique»

Jeudi 13 juin
Un champion du dialogue interreligieux : André Chouraqui

Entrée libre. Salle des mariages.
Pour tout renseignement contacter hayoun.raymonde@wanadoo.fr ou le 0611342874

 

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Joseph

A quoi sert de voter et élire un parlement, siles juges de la Cour supreme, qui ne sont pas élus , exercent a vie et s’autodesignent , peuvent décider du bien fonde des lois votées a la majorité et cela , que le gouvernement soit de droite ou de gauche. Les juges deviennent alors de vrais dictateurs, faut. Il rappeler, qu’en 2016, Yair Lapid voulait en finir avec le juge Aaron Barak…..

Asher Cohen

@Joseph
Dans l’antique Judée, la Thora était la Constitution qui s’imposait aux juges du Grand Sanhédrin, la grande assemblée de 120 membres. Même quand ils jugeaient les hommes politiques, princes, nassis ou exilarques, ils devaient respecter les consignes de la Thora, écrite comme orale. Si Israël avait une constitution, la Cour suprême, comme les dirigeants politiques, seraient obligés de la respecter. Malheureusement, chacun cherche le pouvoir sur l’autre, et la corruption mine l’État Juif, ce qui n’est pas du tout en notre honneur. Peu importent les politiciens ou les juges, en matière de Justice, notre Judaïsme promeut un gouvernement de lois et non d’hommes qui se prendraient pour Dieu.

Alain

Cher Professeur, que vous vous opposiez démocratie et religion juive me sidère.
Que des laïcards de gôche mal embouchés, frisant l’antisémitisme et la haine de soi (Selbsthaß) s’opposent à la réforme qui veut rendre au peuple le pouvoir de décision sur sa vie de société, quoi d’étonnant ? Nous avons les mêmes à la maison, en France.

Je ne suis jamais offusqué quand on me souhaite un Joyeux Noël, même si je suis juif. Je n’impose pas à autrui de penser comme moi. « Ce qui est détestable à tes yeux, ne le fais pas à autrui. » Rabbi Hillel hazaken

Les gens de gôche prétendent trop souvent défendre la démocratie en voulant imposer une dictature (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, communistes, LFI…).

C’est le légalisme, le pouvoir laissé aux juges qui met la démocratie à mal.

Franck DEBANNER

Ymah chemom les déjections gôchiottes, prétendues juives d’israël et d’exil persistent à s’attirer nos malédictions sur leurs tronches. En attendant avec impatience les coups méchants que nous leurs porteront avec joie !

Daniel

Ceux qui refusent la judaité d’Israel n’ont qu’à foutre leur camp ailleurs.

Asher Cohen

En ce jour anniversaire de la destruction du second temple, nous commémorons la perte de notre patrie, donc la perte de toute la trame sociale dans laquelle étaient nés nos ancêtres et dans laquelle ils s’étaient ménagé une place distincte dans le Monde, face aux goyim.

Notre peuple a connu l’émigration forcée, et la difficulté à retrouver une patrie, pendant 2 millénaires. Nous avons été les apatrides par excellence, sans un endroit sur Terre où aller sans tomber sous le coup de restrictions souvent sévères, sans un territoire où nous pourrions fonder notre propre communauté nationale. Durant des siècles, notre problème juif n’a jamais été un problème d’espace, mais d’organisation politique. Nous étions exclus de la famille des Nations. La perte de nos droits nationaux était identique à la perte de nos droits humains. Nous avons toujours identifié nos droits fondamentaux, donnés par Dieu et objectifs, à notre droit de Peuple Juif dans le système des prétendus états nations, et comme nous avons toujours refusé de reconnaître une garantie non-nationale à nos droits fondamentaux, nous en avons appelé à une solidarité inter territoriale avec la Nation Juive.

Avec la chute de Jérusalem, nous avons perdu certes la protection d’un gouvernement, mais surtout la perte de notre statut juridique, certes dans notre propre patrie dans l’Antiquité, mais aussi dans tous les pays du Monde. Les Vichystes ont-ils hésité à retirer les droits de citoyens français aux Juifs d’Algérie. Les Nazis ne séparaient-ils pas les populations entre citoyens d’un pays avec donc le statut d’interné, et les Juifs, apatrides par excellence, avec le statut de déporté donc à exterminer? Notre tare, pendant 2000 ans, n’était pas d’être égaux aux autres devant la loi, car il n’existait pour nous aucune loi en tant que Juifs. Ainsi les nazis considéraient que notre droit à la vie ne pouvait pas exister et que personne n’était là pour nous réclamer.

Ceci pour dire qu’actuellement il suffit, dans l’État Nation du Peuple Juif, de reconnaître aux Juifs leurs droits fondamentaux, protégés par le Gouvernement, et dont découlent toutes les lois, et ne pas gaspiller son temps et énergie à des faux débats et querelles internes au Peuple Juif. J’insiste que depuis 1948, les Juifs, où qu’ils se trouvent ne sont plus des apatrides et peuvent revendiquer leurs droits fondamentaux dans le Monde entier, et c’est cela le plus important politiquement.

Franck DEBANNER

Merci Asher, je ne connais pas ton âge, mais tu es de la gauche noble, celle des de ceux qui ont permis au pays de renaitre.