Islamistes assassins et victimes : ce que nommer veut dire

 

                                                                            Par Jean-Marc Alcalay

Lu dans la presse

Je reviens sur un débat qui a occupé il y a plusieurs mois les médias dont l’un, 20 minutes titrait : Attentats : Faut-il rendre public le nom des terroristes ? L’article signé Caroline Politi faisait état de 65 000 signataires qui pour lutter contre Daech  proposaient de ne pas diffuser, ni les photos, ni les noms des terroristes. Leur anonymat serait alors tactiquement gardé par la police, les services secrets,  la justice… D’après cette même journaliste, le philosophe Bernard-Henri Lévy aurait repris cette idée de ne pas dévoiler, ni la photo, ni le nom des terroristes… Ainsi, par une bien curieuse politique du secret, leur nom, leur visage, resteraient voilés. C’en est presqu’un jeu de mots ! Cette position aurait été reprise sur le site Change.org, Metronews lequel site reprenait les propos de Juliette Méadel, la secrétaire d’État  sous François Hollande, de 2016 à 02017, chargée de l’Aide aux victimes, qui disait à peu près la même chose. D’autres journaux ont fourni des réponses opposées, enfin, contrastées, Un journaliste dans une tribune de Libération, David Thomson insistait sur le fait que les djihadistes connaissent les terroristes qui tuent pour le djihad et diffusent leur nom, de toute façon… D’autres journaux encore comme Le Monde ont aussi consacré des articles sur cette question-là… La tache apparaît donc déjà comme très difficile, voire impossible, d’autant que la liberté d’informer est le pivot de toute démocratie, que la société dite de transparence, par  ailleurs critiquable, est à l’affût de tout et diffuse pratiquement tout, que la presse n’est pas seulement nationale, mais également mondialisée et qu’il n’y a pas en la matière de position commune…Les citoyens ont aussi le droit de savoir par qui ils sont attaqués, par qui ils risquent d’être tués…Mais la question méritait tout de même d’être posée. J’ai voulu la reprendre par le biais de ce que peut en dire la psychanalyse, pour qui la nomination est le support même de sa pratique, puisque depuis Lacan, elle est une clinique du signifiant.

Le meurtre de la chose 

Disons-le rapidement. Au commencement est le Réel, c’est à dire l’innommable. Il faut le verbe, la parole, pour que du Réel, émerge le symbolique par lequel le « parle-être », c’est à dire l’homme qui parle, puisse désormais s’inscrire comme sujet désirant, désirant des objets, des images et des symboles… La Genèse en parle déjà très bien. Mais elle précise que seul Dieu peut ne pas être nommé. C’est la condition humaine qui impose que les individus se nomment.  Ainsi, pour que les « parlêtres » se différencient, s’individualisent, se singularisent, s’autonomisent, ils doivent se nommer.  De même, le nourrisson découpe par ses gazouillis et ses babillements ce Réel informe qui l’entour, que l’on appelle aussi la Chose. L’infans nait ainsi au langage par lequel il marquera plus tard son inscription dans le lien symbolique aux autres, appelé l’ordre symbolique, constitué par l’échange de symboles, les mots, communs à tous. Et quand Lacan écrit que le mot, c’est-à-dire,  le fait de nommer, entraine le meurtre de la Chose, il veut dire que nommer c’est pour l’homme, s’extraire du Réel, c’est à dire de la Chose, c’est à dire encore de l’informe, au moyen du langage, par lequel il va pouvoir s’humaniser. Nommer la Chose c’est vaincre l’horreur du vide et apaiser l’angoisse. C’est pourquoi la Chose côtoie de près la  barbarie. Elie Wiesel appelait d’ailleurs la Shoah, la Chose.  C’est donc par les mots que l’on peut la symboliser, comme le fait le bébé  en chantant dans son berceau et en remplaçant ainsi par ses bribes de langage, les va-et-vient de sa mère, afin de pouvoir s’en  apaiser…Les mots servent donc à abolir l’horreur liée au vide, à l’absence, en la symbolisant, en l’organisant et en la maitrisant. C’est pourquoi nous parlons ! Mais il reste toujours quelque Chose de non symbolisable, d’incompressible,  de non assimilable par les mots. Lacan appelle aussi cela le Réel. Témoins les actes inimaginables, comme  le nazisme pour lequel on a mis bien des années à trouver le signifiant qui conviendrait à la barbarie qu’il avait mise en acte : En France, on a opté pour le mot Shoah : littéralement destruction ou annihilation. Mais tous les pays n’ont pas adopté le même signifiant pour rendre compte de l’horreur nazie…En Allemagne on parle de la destruction des juifs d’Europe, dans les pays anglo-saxons, on a gardé  le mot holocauste…

Alors, nommer qui sont les terroristes tueurs de Juifs, de Chrétiens et d’apostats, c’est aussi dire qu’ils ne sont pas des martiens venus d’une autre planète que la terre, mais qu’ils sont bien d’ici, ou qu’ils ont un pays d’origine et un pays d’adoption parfois, une langue, une famille, qu’ils sont peut-être fous aussi, normaux le plus souvent, pervers  assez souvent aussi…Ils ont toutes les caractéristiques qui composent un être humain, sauf qu’eux détestent cette part d’humanité qui est la notre et qui fonde nos valeurs et notre modernité, même si nous nous débattons continuellement avec elles… Encore faut-il  bien nommer les terroristes car nous savons aussi que les mots  manquent  à bien dire la Chose. Il y a donc toujours un risque possible ou une volonté de mal nommer, ce que font volontairement certains médias, journalistes et politiques quand par exemple, il s’agit de parler du terrorisme islamique. Bien  les nommer eus comme leurs actes, et ne pas faire comme les médias font, d’un terroriste, un martyre  ou un résistant ou laisser entendre par un tour de passe-passe langagier qu’un Palestinien qui n’avait qu’un simple couteau a encore été tué par un soldat israélien…Ou encore s’entendre dire que le terrorisme n’est que le résultat malheureux d’itinéraires d’enfants ratés. C’est parfois vrai, c’est parfois faux, mais dans les deux cas, cela n’excuse rien. Pourtant, on n’a pas le choix.  Il faut malgré tout nommer. Car  au contraire, ne pas nommer les terroristes, ne pas afficher leur photos provoquerait sans doute plus de dégâts qu’autre chose. Qu’adviendrait-il alors ?

Alors, ne pas nommer ?

Ne pas nommer les terroristes islamiques et autres, ne pas divulguer leur identité ni leur photo, c’est comme si on nous avait tu le nom des nazis pour ne pas alimenter leur propagande et rendre nostalgique le souvenir de leurs futurs adorateurs. Rappelons que ce ne sont pas les Etats, hormis Israël,  qui les ont retrouvés, mais bien des gens issus de la société civile, les Klarsfeld, Simon Wiesenthal…Les nazis étaient déjà si bien cachés et protégés qu’en cas d’invisibilité complète, nulle justice n’aurait eut lieu… Ne pas nommer ce serait aussi taire les actes antisémites quotidiens, ce serait nous déposséder d’un savoir sur une partie de l’origine du mal, ce serait ignorer d’où il vient, d’où ça parle de nous, en mal, même si ça nous fait mal. Le minimum que demande le psychanalyste à son patient,  c’est, qui parle en lui ?, d’où ça parle ?, pour qu’enfin, en parlant de lui, il puisse nommer son désir. Qui est-il au fond de lui-même ? Ne pas nommer d’où vient la haine antisémite, ce serait finalement ne rien dire de l’antisémitisme qui sévit dans les écoles de la République, dans les banlieues de la France. Ce serait aussi taire que des juifs font leur alya, et ne pas s’interroger d’ailleurs, pourquoi partent-ils, alors qu’en France, tout va si bien. Ce serait ne pas se demander pourquoi, à défaut de rejoindre Israël, ils quittent les banlieues infestées d’islamistes et d’islamo-gauchistes hostiles. Les  médias minimisent tellement déjà les actes antisémites qu’il nous serait encore plus difficile de les dénoncer et de faire admettre que notre bonne vieille France en est infestée.

Ignorer tout cela, ce serait finalement « être heureux comme Dieu en France » bercés par les autorités policières, juridiques et politiques d’une belle naïveté et d’une belle insouciance. Bref, pardonnez l’expression : ce serait être pris pour des cons ou alors des imbéciles heureux. Et puis, ne pas nommer les terroristes islamiques, au siècle de la dictature du Net et des réseaux asociaux, ce serait donner la place à toutes les dérives possibles. Les tueurs de Juifs deviendraient des Bretons, des Berrichons, des Chtis, des Normands…mais surtout pas des Islamistes. Là je suis certain que sur les réseaux sociaux et dans les médias, il y aurait beaucoup de gens pour semer le doute, ou pour minimiser la Chose antisémite, ce qui se fait déjà allègrement face à des tueurs de juifs, Coulibaly, Fofana, Merah, et autres propagandistes antisémites comme Mehdi Meklat et suivants…Eux ont été nommés. Leurs actes meurtriers étaient si massifs qu’aucune autorité ni aucun média ne pouvaient les taire.

Non, décidément, ne pas nommer les terroristes n’est ni possible, ni souhaitable. Même si nommer, c’est aussi normer,  il nous faut bien composer et penser avec l’équivocité inhérente à la fonction du signifiant. Nommer et savoir ce que sont ces terroristes, c’est la seule façon de rester lucides, devant la barbarie qui monte, quitte à devenir désabusés, quitte à quitter pour certains une France pourtant tant aimée…Nommer les terroristes djihadistes et autres doit aussi passer par la nomination de leurs victimes.

 

De Sarah Halimi à Mireille Knoll.

Cette année 2017, les présidentielles françaises avaient lieu le 23 avril et le 7 mai pour le second tour. Mais juste avant cette importante échéance électorale pour notre pays, Sarah Halimi a été sauvagement torturée à son domicile du 11e arrondissement, à grands coups de Allahou Akbar !, hurlés par son assassin avant d’être défenestrée, alors que dans le couloir de son appartement, malgré l’insistance des voisins, les nombreux policiers ne sont pas intervenus, croyant à un acte terroriste. Acte terroriste ou  acte crapuleux, il y avait bien un assassin dans l’appartement de cette dame de 65 ans ! Or, ce crime a été commis juste entre les deux tours des présidentielles, le 4 avril 2014. Une manifestation parisienne de 1000 personnes n’a eu aucun écho dans les médias, presse et télévisions comprises, sauf  les médias d’information juive évidemment. Aucune information non plus de la part des organisations de défense des Droits de l’homme…Il a fallu un article dans le Figaro, sous la signature d’intellectuels pour que nous en sachions un peu plus. Là, elle était nommée. Mais partout ailleurs, le nom de Sarah Halimi n’apparaissait nulle part. Une femme avait été assassinée, une Française juive qui n’était nommée nulle part. C’est comme si elle avait disparu,  c’est comme si son nom, comme celui des juifs assassinés par les nazis ne nous étaient jamais parvenus, jamais entrés dans la chaîne de l’histoire. Et c’est donc comme si ils n’avaient jamais existé, donc n’avaient jamais été assassinés.

Comme ils n’existaient pas, le crime n’avait pas eu lieu, c’est pourquoi les nazis voulaient aussi faire disparaître les corps de leurs victimes juives en les brûlant… J’ai eu le même sentiment pour madame Halimi, sauf que son nom en appelait un autre, celui d’Ilan Halimi torturé et  sauvagement assassiné en 2006 par Fofana et ses complices. Pendant un mois, Sarah Halimi n’avait pas eu d’existence, même assassinée. Ceux qui dénonçaient son assassinat restaient bien seuls. Y croyaient-ils encore ? Curieusement, il a fallu le discours du président Emmanuel Macron du 16 juillet 2017 qui commémorerait la rafle du Vel d’hiv, et qui du même coup a réclamé justice pour Sarah Halimi,  pour qu’enfin, le lendemain, tous les journaux libèrent  leur parole, à grand renfort d’articles réclamant eux aussi justice. C’était comme si la censure que la presse, internet et les télévisions s’étaient imposée, était levée d’un seul coup après cet intermède électorale.  Pourtant,  Emmanuel  Macron  ne  leur  avait pas imposé le silence, mais ils s’étaient autocensurés pour un seul motif. Pas une voix pour Marine Le Pen ! Tous pensaient qu’un musulman tueur d’une dame juive pouvait apporter des voix à l’extrême droite… La juge Anne Ihuellou n’avait pas jugée que ce crime était  antisémite. L’assassin, Kobili Traoré, ici on connait son nom, âgé de 27 avait eu une bouffée délirante. Le 27 février 2018, après une première  absence de réponse aux parties qui demandaient la qualification de ce crime en crime antisémite, cet assassinat enfin recevait la qualification de crime antisémite…Soit, 10 mois après l’assassinat de madame Sarah Halimi… La Chose  était enfin nommée !

Le 23 mars 2018, deux individus, deux suspects, on ne sait pas leurs noms, tuaient sauvagement madame Mireille Knoll, de plusieurs coups de  couteau avant de brûler son appartement et son corps. Cette une dame de 83 ans habitante du 11e arrondissement de Paris était une rescapée de la rafle du Vel d’Hiv à l’âge de 9 ans. Minutes  de silence, marches blanches, tous les journaux en parlent, toutes les chaînes de télévisions font ici leur travail et c’est normal. L’assassinat est rapidement qualifié d’antisémite.  Cette médiatisation est d’ailleurs presque inversement proportionnelle à la censure assourdissante qui pendant un mois a maintenu sous silence le meurtre de Sarah Halimi, tuée en quelque sorte une seconde fois par cette chape de plomb posée sur son meurtre. S’agissant de madame Knoll, c’est aussi comme si on voulait rattraper la faute des policiers qui à l’époque n’étaient  pas intervenus pour sauver Sarah Halimi. C’est comme si, dénoncer ce crime aujourd’hui haut et fort jusqu’au sommet de l’Etat, masquait l’impuissance de l’agir gouvernemental contre les actes antisémites. Autrement dit, la puissance  du dire face à l’impuissance de l’agir ! Et là encore, dans l’horrible assassinat de madame Mireille Knoll, aucun journal ni association de défense des Droits de l’homme ne nomment les meurtriers. Madame Knoll est nommée, mais pas ses assassins. Aujourd’hui, au moment où j’écris ce texte, 29 mars 2018, nous connaissons tout juste leur prénom et la première lettre de leur nom : Yassine M, 29 ans, son voisin et Alex C, 21 ans, SDF (journal Libération du 29 mars 2018).  Avant, il  fallait aller sur les réseaux d’information juive pour savoir qu’il s’agissait au moins d’un musulman. Encore un musulman et son complice qui tuent une dame juive, rescapée de la rafle du Vel d’Hiv, c’est comme si les musulmans eux aussi étaient antisémites. Et ça, on ne veut pas le dire ! On ne veut pas mettre en avant que l’un des assassins est encore un musulman. Attention à l’islamophobie ! Silence donc encore. Interdit de nommer les assassins pourtant accusés d’un crime antisémite. Il a fallu du temps pour que le meurtre de Sarah Halimi soit reconnu comme aussi  antisémite. Combien de temps faudra-t-il pour que le nom des assassins de Mireille Knoll soit connu ?  Décidément, quand on saura enfin ce que nommer veut dire, on fera un grand pas pour gagner en lucidité face à ceux qui aujourd’hui tuent encore des Juifs pour servir un Islam résolument antisémite.

    Par Jean-Marc Alcalay

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Lumbroso

Comme vous le dites justement, il y a plusieurs raisons invoquees pour ne pas
Connaître la réalité des faits.
Nommer le nom entier de famille des tueurs terroristes c’est les sortir de la Chose , c’est chercher pourquoi ils en sont arrivés à ce point d’inhumanité , c’est chercher les raisons.
Il n’y a pas de raison humaine au terrorisme islamique, pas plus qu’au nazisme. Le postulat de ces deux courants est faux. Il est fondé sur la supériorité d’un peuple sur les autres peuples et sur l’asservissement d’un peuple sur les autres , par tous les moyens possibles. Je ne vais pas les énumérer .
En ne les nommant pas complètement , on les laissent dans l’entre deux . Ils sont la Chose, celle qu’on arrive pas à définir totalement et de ce fait leurs noms ont disparu de notre monde a nous.
Cependant il faut nommer l’evement du meutre terroriste islamique pour savoir d’où vient l’ennemi commun aux hommes qui font partie de l’humain.
Ne pas les nommer totalement et surtout ne pas voir leur visage, c’est aussi les priver de cette publicité hysterique qu’ils ont désirée pendant leur vie et au moment du meutre de leur victime. Ne pas poursuivre ce qu’ils souhaitaient que nous fassions après la nouvelle du meutre accompli pour la cause du terrorisme islamique.
Nous avons peu de moyens vis a vis de ces propagandistes parce qu’ils se posent en victimes . Les médias semblent tellement ignorer l’Histoire et désirent un pouvoir qui dépasse celui de l’information, qu’elles basculent dans le sensationnel,le parti pris sans connaissance,la mystification du Reel. le Réel n’est pas dans la nomination des noms , ni dans les photos,mais dans l’absence de mystification historique et politique des faits et causes.

alexandra

Oui bien sûr, il faut les nommer et que l’on voit leur sale tronche afin d’informer chacun.
Ce qu’il faut éviter c’est de ne parler que d’eux et pas de leurs victimes. Tout est une question de juste dosage.
On connait désormais le noms des assassins de Mme Knoll, BFMTV ayant publié le PV des enquêteurs : Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus, qui se sont connus en prison…