Iran, la désillusion des entreprises

La stratégie économique du président iranien, Hassan Rohani, visant à attirer les investissements étrangers a échoué.

La stratégie économique du président iranien, Hassan Rohani, visant à attirer les investissements étrangers a échoué.

afp.com/HO

La sortie des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien va freiner encore davantage les projets des groupes français.

Evidemment, la nouvelle n’est pas bonne pour les affaires. Ce mardi 8 mai, Bernard Fages vient tout juste d’atterrir à Bahreïn lorsqu’il apprend la décision de Donald Trump de rétablir d’un coup toutes les sanctions levées contre l’Iran il y a trois ans. Ce quadra, qui a bourlingué dans tout le Moyen-Orient, dirige depuis deux ans la filiale iranienne de Nox, un grand groupe français spécialisé dans l’ingénierie des bâtiments. « Cela faisait des mois que les Etats-Unis soufflaient le chaud et le froid. De toute façon, une bonne partie des projets en Iran était déjà paralysée… alors la suite, on verra bien », souffle-t-il, un brin philosophe.

Sur la télévision de sa chambre d’hôtel, les images de ce président américain vociférant et qualifiant l’accord iranien de « désastreux » tournent en boucle. Dans la région, la décision américaine, largement applaudie par l’Arabie saoudite, fait monter la tension d’un cran. Pour les entreprises étrangères installées à Téhéran, c’est un nouveau coup rude dans leur quête de l’eldorado iranien.

Beaucoup de promesses… pour pas grand-chose

L’ouverture économique de l’Iran ? C’est l’histoire d’une promesse qui s’est évaporée en moins de trois ans. Petit flashback. Le 14 juillet 2015, les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, l’Union européenne et l’Iran signent un accord stipulant la levée d’une partie des sanctions pesant sur le géant chiite à condition que le pays restreigne considérablement son programme nucléaire. Pour le modéré Hassan Rohani, cette concession s’accompagne d’une promesse d’afflux d’investissements étrangers censés dynamiser une économie exsangue.

Un espoir fou après les années de plomb de l’ultraconservateur Ahmadinejad. Le marché iranien fait saliver les entreprises du monde entier. 83 millions d’habitants, dont 40 % ont moins de 25 ans, avides de tout : fringues et sacs de luxe, babioles high-tech, voitures occidentales, cosmétiques, médicaments, articles de sport… Un marché quasiment vierge, comme on n’en avait pas connu depuis la chute du mur de Berlin.

« Surtout, les besoins en infrastructures, ponts, routes, ports, aéroports, usines de traitement des déchets ou d’épuration de l’eau sont gigantesques », assure Mahasti Razavi, avocate spécialisée au sein du cabinet August Debouzy. A l’époque, cette jeune femme crée même de toutes pièces une équipe pour accompagner ses clients sur place. Dans une étude, le cabinet McKinsey table sur 1 000 milliards de dollars d’investissements étrangers dans le pays sur les vingt prochaines années. Le gouvernement iranien, lui, évoque, le chiffre de 50 milliards par an…

« C’est peu dire que les promesses n’ont pas été tenues. Au mieux, 10 milliards de dollars sont venus irriguer le pays sur les trois dernières années », déplore Ardavan Amir-Aslani, un avocat d’affaires d’origine iranienne. Si l’on en croit les derniers chiffres publiés par le Word Investment Report de 2017, seuls 4 milliards de dollars d’investissements étrangers sont entrés en Iran en 2016.

Les constructeurs français s’en sortent bien… mais d’autres rament

Bernard Fages, lui, est arrivé à Téhéran il y a deux ans avec un gros contrat sous le bras : la conception technique de l’Iran Mall, l’un des plus grands centres commerciaux au monde – 1 million de mètres carrés ! -, actuellement en construction dans la banlieue ouest de la capitale. Un projet de 2,5 milliards d’euros (porté par un groupe privé iranien) à faire rougir d’envie les Emiratis : une tour de bureaux de 54 étages, un hôtel de luxe, 300 000 mètres carrés de surfaces commerciales, une patinoire, un complexe cinématographique, un centre de conférence, le tout entouré de fontaines « dansantes » qui irriguent un jardin persan. Evidemment, toutes les marques françaises rêvent de décrocher un corner dans ce nouveau temple de la consommation.

« Problème, le chantier a déjà quatre ans de retard et les travaux tournent au ralenti », souligne Bernard Fages. Comme tout en Iran. « Pour une centaine de projets, un seul arrive réellement au bout », rajoute Michel Makinsky, directeur du cabinet Ageromys International.

Certes, les constructeurs automobiles français se frottent les mains. Pour Renault, l’Iran est devenu le huitième marché dans le monde avec 162 000 ventes l’an passé, un bond de près de 50 % en un an. Peugeot, qui a réactivité ses accords avec son partenaire historique local Iran Khodro, a enregistré 443 000 livraisons l’an passé, pas très loin de son record de 2010.

Total, de son côté, a finalement conclu en juillet dernier un accord de 4,8 milliards de dollars avec la compagnie iranienne NIOC pour l’exploitation du gisement de gaz naturel de South Pars. Airbus a signé la livraison d’une centaine d’avions. Quant au groupe pharmaceutique Ipsen, il est en train de construire, en partenariat avec un industriel iranien, une usine qui fabriquera des anti-cancéreux à destination de toute l’Asie centrale.

Le directeur de PSA Peugeot Citroën, Carlos Tavares (à d.), signe un accord avec le PDG du constructeur iranien Iran Khodro, Hashem Yekkeh Zare, le 28 janvier 2016, au siège du Medef à Paris.

Le directeur de PSA Peugeot Citroën, Carlos Tavares (à d.), signe un accord avec le PDG du constructeur iranien Iran Khodro, Hashem Yekkeh Zare, le 28 janvier 2016, au siège du Medef à Paris.

afp.com/ERIC FEFERBERG

Ces contrats masquent le gel, voire l’arrêt, de beaucoup – beaucoup – d’autres projets. Decathlon, qui a ouvert un showroom en plein Téhéran, dit avoir une centaine de magasins dans ses cartons. Aucun n’a ouvert ses portes. Tout comme Accor, le géant français de l’hôtellerie, qui en dehors du contrat de deux hôtels Ibis et Novotel, à proximité de l’aéroport international de Téhéran, n’a pas vraiment percé sur le marché iranien. Vinci a bien signé, en janvier 2016, un protocole d’accord pour développer les aéroports de Mashhad et d’Ispahan, mais les affaires sont pour l’instant bloquées. Quant à Bouygues, le groupe a tout simplement fermé le rideau de son bureau de Téhéran en décembre dernier.

Des banques françaises tétanisées

Ce qui a coincé ? L’argent. Ou plutôt la quasi-fermeture du robinet des flux financiers. Or le retour des sanctions américaines risque de réduire encore davantage le débit. Les grandes banques européennes et notamment françaises sont totalement tétanisées. L’amende de 8,9 milliards de dollars infligée en 2014 par Washington à BNP Paribas pour avoir contourné l’embargo américain en facilitant des transactions en dollars est dans toutes les têtes.

« Vous avez à peine prononcé le mot Iran que tous les banquiers vous claquent immédiatement la porte au nez », raconte un haut cadre d’une entreprise de traitement des déchets. Certes, de petits établissements comme Wormser Frères ou Delubac & Cie, qui n’ont aucune activité aux Etats-Unis, ont développé ces dernières années des services de transferts de fonds qu’ils facturent au prix fort. Des intermédiaires qui mettent en contact des entreprises françaises avec des banques asiatiques ou russes ont également prospéré… confortablement assis sur de juteuses commissions.

« Mais quand il s’agit de financer des projets d’infrastructures de plusieurs millions d’euros, il n’y a plus personne », déplore Nigel Coulthard, le président du cercle Iran Economie. Si les grands groupes peuvent toujours se lancer dans l’aventure iranienne avec leurs propres deniers, pour des entreprises plus petites, le chemin des financements est chaotique. Bpifrance a bien promis en début d’année de garantir le règlement des ventes en Iran de certaines PME. Depuis, silence radio, et l’institution n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Nicolas Dufourcq, le directeur général de BPIfrance, a promis en début d'année de combler le vide laissé par les grandes banques françaises... On attend toujours.

Nicolas Dufourcq, le directeur général de BPIfrance, a promis en début d’année de combler le vide laissé par les grandes banques françaises… On attend toujours.

REUTERS/Christian Hartmann

Au retour des sanctions sur le nucléaire s’ajoute une panoplie de menaces et de verrous administratifs fixés par Washington qui n’avait jamais disparu. Comme la fameuse règle des 10 % : obligation pour les entreprises étrangères d’obtenir le sésame du Trésor américain pour commercer avec l’Iran si leur produit comporte plus de 10 % de composants « made in USA ». Ou l’interdiction de commercer en dollars avec des individus ou des organisations sur la liste noire des autorités américaines.

Dans le viseur des Etats-Unis : les gardiens de la révolution et certaines fondations religieuses qui leur sont attachées. « Le problème, c’est qu’ils détiennent directement entre 15 et 20 % de l’économie. Ils sont très présents dans la construction, l’énergie ou encore les télécoms. Comme l’environnement économique n’est absolument pas transparent, tous les groupes français vont demander avec une armée d’avocats la bénédiction de l’Administration américaine », souligne Thierry Coville, chercheur à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques).

Le ticket d’entrée en Iran est trop cher

Quelle stratégie vont désormais adopter les entreprises françaises ? En octobre dernier, lors d’une conférence à Londres, le PDG de Total, Patrick Pouyanné, s’était dit « prêt à quitter l’Iran » si le législateur américain l’imposait. « Nous sommes exposés à hauteur d’un milliard de dollars. C’est un montant important, mais acceptable pour un groupe de notre taille », déclarait-il. « On marche sur des oeufs. Avant même de signer le moindre protocole d’accord, on doit dépenser des dizaines de milliers d’euros de frais d’avocats chargés de vérifier la viabilité du projet. Le ticket d’entrée en Iran est trop cher », conclut le responsable de la « conformité » d’un géant du CAC 40.

En Iran, avant même la volte-face américaine, la frilosité des entreprises étrangères commençait à agacer. Si Hassan Rohani a calmé le jeu en affirmant que son pays restait pour l’instant dans l’accord, sa stratégie est de plus en plus contestée. Dans cette économie où près de 80 % des recettes qui tombent dans les caisses de l’Etat viennent des exportations de pétrole, les sanctions américaines vont inévitablement peser sur la croissance. « Par rapport à 2016, la production pétrolière iranienne a augmenté d’un million de barils par jour. Une réintroduction des sanctions pourrait conduire à l’abaisser d’environ 300 000 à 500 000 barils par jour », pronostique Christopher Dembik, le responsable de la recherche économique de Saxo Bank.

Un freinage économique au pire moment, car la grogne sociale monte. Le taux de chômage atteindrait 17 % – au lieu des 11 % officiels -, les inégalités ont explosé, la spéculation immobilière a laminé les classes moyennes. « A Téhéran, un appartement de standing européen de 200 mètres carrés coûte 5 000 euros par mois », raconte Bernard Fages. Quand le salaire mensuel moyen atteint, lui, 300 euros. Tandis que les ingénieurs iraniens sont obligés de cumuler deux, voire trois jobs pour avoir un revenu décent, les ventes du concessionnaire Porsche de Téhéran ont cartonné l’an passé…

 Par Béatrice Mathieu, publié le 

lexpansion.lexpress.fr

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Jge france reaara

Les francais aideront les iraniens , comme ils ont toujours fait en aidant nos pires ennemis !