Prévues dans les prochaines semaines, les premières livraisons devront renforcer l’une des armées les plus faibles du Moyen-Orient, chargée d’assurer la défense d’un territoire, au côté d’une des milices les plus redoutables de la région.

Des soldats libanais, le 24 janvier 2015, quittant les zones montagneuses près de Ras Baalbek après des combats avec militants islamistes syriens. REUTERS/Hassan Abdallah

Longtemps livrée à elle-même, et en proie à des attaques assez régulières depuis quelques temps menées par les djihadistes de l’Etat islamique (EI) et du front al-Nosra, l’armée libanaise devrait recevoir en avril prochain les premières livraisons d’une commande historique d’armes françaises financées par l’Arabie saoudite.

Cette aide devrait conforter son rôle dans la lutte actuelle contre les groupes terroristes, sans pour autant changer l’équilibre de force avec les armées voisines, notamment israélienne, ou encore altérer ses liens avec le Hezbollah, estiment les analystes.  

L’aide la plus importante dans l’histoire

L’accord franco-saoudien, d’une valeur de trois milliards de dollars –dont 2,1 milliards alloués à l’acquisition des matériels et 900 millions à l’entretien et à la formation des militaires– a officiellement été scellé en novembre 2014, à Riyad, après onze mois de retards et de rebondissements. 

Les débuts remontent à octobre 2013, lorsque l’idée d’un soutien militaire avait émergé au cours d’un entretien entre le roi Abdallah d’Arabie saoudite et le ministre français de la défense Jean-Yves Le Drian, en visite dans le Royaume wahhabite.

Deux mois plus tard, le deal est officiellement annoncé, au lendemain d’une visite de François Hollande à Riyad.

Il s’agit, en termes absolus, de l’aide la plus importante dans l’histoire de l’institution militaire libanaise –plus de deux fois le budget de défense annuel de l’Etat– mais aussi de l’un des contrats les plus juteux récemment conclu par la France. Celui-ci concerne une vingtaine d’entreprises et représente près de la moitié des exportations annuelles d’armement de l’Hexagone, lesquelles s’élevaient à 4,8 milliards d’euros en 2012 et à 6,9 milliards en 2013.

Un «game changer»?

Mais en quoi cette aide consiste-t-elle exactement? Pour l’armée de l’air, parent pauvre de la troupe, une quinzaine d’hélicoptères, voire plus, sont prévus, dont des hélicoptères Gazelle munis de missiles anti-char téléguidés, des hélicoptères Puma pour le transport des troupes ainsi que des hélicoptères Cougar AS 532, une version améliorée des Pumas.
 

Quant à l’armée de terre, elle devrait recevoir des véhicules de l’avant blindés (VAB) MKIII, des véhicules blindés légers (VBL) Sherpa équipés d’un système anti-EEI (engins explosifs improvisés) –conçus particulièrement pour la lutte anti-terroriste–, ainsi que des véhicules blindés de combat, les VBC-90. Parmi les autres équipements, figurent des camions équipés de canons Ceasar, des missiles air-sol à courte portée et des drones de type SDTI, visant à améliorer la capacité de renseignements de la troupe.

Enfin, le matériel de défense maritime sera enrichi de navires patrouilleurs, qui doivent être livrés par les Constructions mécaniques de Normandie (CMN).

Si l’ensemble de ces équipements n’est pas de nature à changer de manière structurelle la capacité de feu de l’armée libanaise, «il s’agit sans soute d’une aide substantielle», souligne Aram Nerguizian, expert militaire au Centre d’études internationales et stratégiques (CSIS), basé à Washington. «Celles-ci sont amplement suffisantes pour dissuader les groupes djihadistes et améliorer la capacité défensive de la troupe, mais ne sont pas pour autant un “game changer”», dit-il, en allusion à l’armée israélienne.

Le chercheur, co-auteur de l’ouvrage Lebanese Armed forces: challenges and opportunities in the Post-Syria Lebanon, s’interroge, en parallèle, sur l’utilité de certains équipements, notamment les hélicoptères Gazelle, dont dispose déjà la troupe. «La liste d’armes envoyée par Beyrouth est en constante révision. Certains équipements pourraient encore être remplacés par d’autres», précise-t-il.

Paris, Riyad, Beyrouth: un croisement d’intérêts

L’accord tripartite, qui vise officiellement à combattre les «takfiristes» à la frontière avec la Syrie comme à l’intérieur du pays, revêt, par ailleurs, plusieurs objectifs à la fois identiques et distincts.

Pour le Royaume wahhabite, il s’agit également d’affaiblir l’influence du Hezbollah et, par ricochet, son parrain iranien dans le bras de fer régional auquel se livrent les deux puissances. Preuve de cette lutte de pouvoir, l’Iran n’a pas tardé à réagir, proposant également en octobre 2014 une aide à l’armée libanaise, sans que cela n’aboutisse, pour différentes raisons, dont l’embargo imposé par le Conseil de sécurité de l’ONU sur les ventes d’armes iraniennes.  

Par ailleurs, à travers son accord exclusif avec la France, Riyad cherche à adresser un message clair à l’administration américaine pour exprimer son désaccord quant à sa politique vis-à-vis de la Syrie; le volte-face d’Obama en septembre 2013 et le va-t-en guerre français pour déloger Assad n’auront pas été, en effet, sans impact direct sur le choix du fournisseur.

Cette distance liée au conflit syrien contraste pourtant avec la vision commune de Washington et Riyad sur la question des armes du Hezbollah.   

Quant à la France, qui partage ce dernier objectif, il s’agit aussi, en plus de l’intérêt économique, de conforter sa position d’acteur majeur dans la région, dans le cadre d’une politique de plus en plus interventionniste et musclée aussi bien dans le Maghreb (Libye, Mali, etc.) que dans le Machrek.

Paris voudrait également renforcer l’unité nationale au Liban et les fondations d’un Etat de droit, en misant sur la seule institution qui fait encore l’objet d’un consensus et d’une fierté parmi toutes les communautés. 

Enfin, côté libanais, cette aide est perçue comme une réelle aubaine, 25 ans après une guerre civile ayant laissé l’armée exsangue et lourdement endommagé son arsenal. Elle permet d’appuyer l’une des rares institutions à tenir encore debout dans un pays paralysé par les divisions internes et le conflit voisin.    

L’épineuse question du Hezbollah 

La question la plus complexe liée à cet accord tripartite reste néanmoins l’influence militaire et politique du Hezbollah, qui entretient des liens à la fois complémentaires et ambigus avec l’armée.

Les parrains de l’aide espèrent secrètement réduire le déséquilibre de forces entre la troupe et la branche armée du parti chiite, voire déblayer le terrain en vue d’un éventuel désarmement de cette dernière, clamé par plusieurs parties libanaises depuis le retrait de Tsahal en 2000.

Pour les analystes, ce pari reste toutefois peu réaliste.  

«D’abord, parce que l’écart des forces entre les deux entités est très grand. Il ne s’agit pas d’un petit fossé à pallier. Le Hezbollah a un pouvoir d’influence sur l’armée qui est plus grand que celui de l’armée sur le parti de Dieu», estime Didier LeRoy, chercheur à l’Ecole royale militaire de Belgique (ERM) et assistant à l’université libre de Bruxelles.  

Preuve d’un déséquilibre dans les rapports, un hélicoptère de l’armée avait été abattu en 2008 par des membres du parti lors de son passage au-dessus d’une zone considérée comme la chasse gardée du parti chiite.

Cet incident avait pesé sur les rapports mutuels et ravivé une forme de tension latente, sans compromettre les liens entre les deux entités qui remontent aux premières années post-guerre. «La coordination entre l’armée et le Hezbollah a émergé vers le milieu des années 1990, après l’assassinat de Fouad Moughnieh (le frère d’Imad Moughnieh, leader du Hezbollah tué en 2008 dans un attentat à Damas, et oncle de Jihad Mougnieh, tué en janvier dans un raid de Tsahal sur le Golan syrien, NDLR). L’auteur du crime avait alors été arrêté grâce à une opération sécuritaire conjointe», rappelle un spécialiste du Hezbollah, sous couvert d’anonymat. «L’armée disposait alors d’un réseau d’informateurs dans le pays, qu’elle mettait au profit du parti, quand cela était nécessaire», ajoute-t-il.

Ces rapports se sont de nouveau consolidés après le début du conflit syrien, après une légère distanciation durant les années ayant suivi le retrait des troupes de Damas en 2005. En juin 2013, le Hezbollah a ainsi apporté son soutien dans les combats menés par l’armée libanaise, à Saida, contre le groupe salafiste d’Ahmad el-Assir puis dans les combats à Ersal, en août dernier, contre les djihadistes de l’EI et du front al-Nosra.

Selon le spécialiste, cette coordination devrait se renforcer davantage dans les années à venir. «L’armée et le Hezbollah partagent désormais deux ennemis communs: Israël et les islamistes», dit-il.  

«Même si le conflit syrien prenait miraculeusement fin et que le takfirisme disparaissait, ce statut quo ne devrait pas changer. L’on reviendrait de nouveau à la situation antérieure de lutte exclusive contre Israël», ajoute, de son côté, Didier LeRoy, également auteur de l’ouvrage Hezbollah, la résilience islamique au Liban.

Dans cette configuration, «le Hezbollah voudra préserver son dispositif ultrasecret et sa structure hétérarchique, qui constituent la clé de sa réussite», souligne-t-il.

«L’hétérarchie est un système qui permet de résister et de continuer à se développer en dépit d’une adversité», explique le chercheur. L’armée régulière étant construite selon une hiérarchie, une intégration des combattants du parti de Dieu dans les rangs de la troupe rendrait la résistance «facilement localisable et anéantissable», ajoute-t-il. 

Selon lui, les armes françaises n’auront ainsi aucun impact sur le désarmement du Hezbollah, sauf si elles s’accompagnent d’un règlement politique.

Pour d’autres, elles pourraient même, paradoxalement, servir les intérêts du parti de Dieu, étant donné l’alignement actuel entre les deux entités.

Un accord qui ménage Israël?

Cela expliquerait d’ailleurs le silence du Hezbollah vis-à-vis du don d’armes franco-saoudien. Les craintes semblent également moins vives de l’autre côté de la frontière. Les Israéliens, qui voient généralement d’un mauvais oeil le renforcement de toute armée ennemie, ne se seraient pas empressés de poser un quelconque veto.  

Cela serait dû au type d’armement livré au Liban, «qui ne pose aucun défi direct à l’arsenal de Tsahal, en termes de capacités militaire et technologique», souligne Aram Nerguizian. L’écart entre les deux pays est tel que les trois milliards ne comblent même pas le déficit d’une année budgétaire. Le budget de défense israélien s’élevait à 17 milliards de dollars en 2012, contre 1,1 milliard au Liban, selon le International Institute for Strategic Studies (IISS).   

«L’attitude israélienne s’explique également par un autre motif, d’ordre stratégique, qui consiste à considérer le Liban, ainsi que la Jordanie, comme des zones tampons entre le territoire occupé par l’EI et l’Etat hébreu», ajoute l’expert militaire au CSIS. Suivant cette logique, un renforcement des capacités militaires de l’armée libanaise contribuerait ainsi à éloigner le risque islamiste des frontières israéliennes.

Selon certaines informations, Tel Aviv exercerait tout de même une pression pour empêcher la livraison de certains types de missiles et de roquettes sophistiqués ou à longue portée, de crainte qu’ils ne finissent entre les mains du Hezbollah.

Un complément à l’aide américaine «sans précédent»

Dans ce concert d’enjeux et d’intérêts qui agite la région, le Liban, ancien échiquier des conflits régionaux et internationaux, semble plutôt tiré d’affaire, du moins sur le plan de la construction des capacités militaires.

L’aide franco-saoudienne vient s’ajouter à un soutien militaire exceptionnel de la part de Washington, amorcé il y a quelques années.  

«Jusqu’en 2004, l’aide américaine à l’armée libanaise était quasiment nulle. Celle-ci s’est graduellement développée, avec la livraison d’équipements plus lourds et sophistiqués depuis le début de l’opération militaire contre l’EI», précise Aram Neguizian. «Au total, 1,18 milliard de dollars auront été alloués par les Etats-Unis à la troupe entre 2006 et 2015, sans compter quelque 22 millions de dollars réservés à l’entraînement des militaires», ajoute-t-il.

Début février, les autorités libanaises ont réceptionné 72 canons M198 Howitzer et plus de 25 millions d’obus, de mortiers et de munitions pour les armes automatiques. Des centaines de missiles guidés anti-char TOW-II seront, en outre, livrés en mars.  

Preuve d’un appui «sans précédent», la nouvelle vague d’armes américaines portent également sur trois avions Cessna, dont deux ont déjà été livrés et armés de missiles Hellfire, ainsi qu’une douzaine d’avions A-29 Super Tucano qui devraient être livrés d’ici 2017. Ces derniers seront toutefois partiellement financés par l’Arabie saoudite, qui a décidé d’allouer, en sus des trois milliards de dollars, un montant supplémentaire d’environ 550 millions à l’armée en août 2014, pour pallier les besoins urgents de l’armée face à la menace islamiste.

Enfin, «des négociations sont en cours pour une éventuelle livraison de chars d’assaut modernes, notamment le M1A1. Celles-ci restent toutefois à un stade préliminaire et aucun engagement ou promesse n’ont encore été faits», précise l’expert militaire au CSIS.

En attendant, l’armée libanaise continue de pâtir d’une faille structurelle, en dépit du soutien historique de Paris, Washington et Riyad, qui aura totalisé cinq milliards de dollars en une décennie: l’absence d’une volonté politique ferme lui permettant de jouer pleinement son rôle. Le pays est toujours sans chef d’Etat depuis le 25 mai 2014, tandis que les divisions politico-confessionnelles sont à leur paroxysme  depuis l’éclatement de la guerre en Syrie.

 

 

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Armand

Si ces armes sont bien contrôlées et qu’elles ne seront utilisées que contre nos ennemis communs c’est une bonne nouvelle .

Mais imaginons le contraire et qu’elles tombent entre les mains du Hezbollah , ce ne sera pas une première et c’est Israêl une nouvelle fois qui en paiera les frais