Erdogan : l’erreur d’Éric Zemmour
TRIBUNE. Selon le philosophe Jean-Loup Bonnamy, Éric Zemmour se fourvoie en soutenant le président turc contre les Kurdes, au mépris de notre histoire.
Par Jean-Loup Bonnamy*
Le débat intellectuel français offre parfois des positions inattendues. Ainsi, Éric Zemmour a approuvé le lâchage des Kurdes de Syrie par les gouvernements occidentaux face aux opérations militaires turques. Dans la tradition de Charles Maurras, Éric Zemmour ne croit qu’aux grandes puissances étatiques (en l’occurrence les États-Unis, la Russie, la Turquie, Israël, l’Iran). Soutenir les Kurdes contre Erdogan ne serait que du romantisme un peu niais et il conviendrait de les sacrifier sur l’autel du réalisme politique. Or c’est la position d’Éric Zemmour qui manque de réalisme.
Tout d’abord, l’Occident a un problème majeur : le djihadisme sunnite. C’est lui qui sème la mort dans nos rues. Or les Kurdes de Syrie ont compté parmi les ennemis les plus acharnés et les plus efficaces du djihadisme. Ce sont eux qui ont stoppé l’expansion de Daech en tenant – au prix de bien des sacrifices – le verrou de Kobané pendant neuf mois en 2014-2015, avant de faire reculer les combattants du califat autoproclamé.
Recep Tayyip Erdogan se rêve en nouveau sultan ottoman.
Au contraire, le président Erdogan est un militant islamiste assumé, qui n’a eu de cesse de détricoter l’héritage laïque d’Atatürk. S’il se contentait d’être islamiste chez lui, cela ne serait pas notre problème. Mais Recep Tayyip Erdogan se rêve en nouveau sultan ottoman et en protecteur de tous les islamistes du monde. Ainsi, quand il vient en France faire un discours devant la communauté turque, Erdogan impose que les hommes et les femmes soient séparés (comme dans une mosquée) et enjoint à tous de ne pas s’intégrer à la société française. En mai 2016, il a rappelé l’ambassadeur turc au Bangladesh pour s’insurger contre l’exécution de Motiur Rahman Nizami, leader islamiste condamné à mort et pendu pour viols et crimes de guerre. Des crimes qui ne sont pas sans rappeler les actuelles exactions des supplétifs islamistes de l’armée turque au Kurdistan.
Erdogan a constamment encouragé l’islamisme en Syrie. Il soutient depuis le départ différentes milices islamistes. Comme il a finalement compris que Bachar el-Assad ne serait pas renversé, il a décidé d’installer ces milices à la place des Kurdes dans un territoire ethniquement nettoyé. De plus, l’agression turque a permis l’évasion de centaines de djihadistes détenus dans les prisons kurdes.
Lire aussi BHL – Kurdes de Syrie : le précédent Chirac en Bosnie
Comme les Touaregs dans le Sahel, les sikhs en Inde, les Gurkhas au Népal, les Hmong en Asie (qui aidèrent les Français durant la guerre d’Indochine), les Kurdes sont ce que le colonisateur britannique nommait une « race martiale », c’est-à-dire un peuple (bien souvent de la montagne ou du désert) dont la culture est tournée vers la guerre. Phénomène que l’historien arabe Ibn Khaldun avait déjà identifié au XIVe siècle. C’est de ce peuple de guerriers, parlant une langue iranienne, qu’était issu le sultan Saladin, qui reprit Jérusalem aux croisés. Or, cette énergie martiale, les Kurdes la mobilisent avec succès contre l’islamisme. Abandonner les Kurdes, c’est trahir ceux qui ont lutté si efficacement contre Daech hier et qui, demain encore, pourraient être un précieux rempart. C’est aussi envoyer un message désastreux à tous ceux qui voudraient résister aux djihadistes. C’est donner une preuve de faiblesse à un Erdogan qui ne respecte que la force.
Bien sûr, il n’y aura jamais d’État kurde indépendant, regroupant les 25 millions de Kurdes répartis aujourd’hui sur 4 États (Turquie, Syrie, Irak, Iran). Aucune grande puissance ne le souhaite. La Turquie a les moyens militaires d’empêcher une telle création. Surtout, les Kurdes sont bien trop divisés entre eux. Kurdes d’Irak et de Syrie se détestent. Même le Kurdistan d’Irak (le plus autonome des territoires kurdes) est divisé entre l’UPK (soutenu par l’Iran) et le PDK (soutenu par la Turquie). Mais l’incapacité des Kurdes à former un État viable ne doit pas amener leur disparition en tant qu’acteurs politiques et militaires, dont l’existence nous est bien utile.
Lire aussi La nouvelle vie d’Éric Zemmour
Ensuite, ce que ne voit pas Éric Zemmour, c’est que la tradition du réalisme politique français – des Capétiens à de Gaulle – est de soutenir les petits contre les grands pour compenser les faiblesses de notre pays. La tradition diplomatique française repose sur deux principes qui permettent de court-circuiter la puissance des grands et ainsi de renforcer notre propre position. Le premier de ces principes est l’alliance de revers, c’est-à-dire s’allier à un grand contre un autre grand. Le deuxième de ces principes, c’est le soutien aux petits : défendre le faible contre le fort pour que – grâce à notre appui – il ne soit pas écrasé.
C’était le cas déjà durant les croisades. Comme le souligne René Grousset, un historien qu’Éric Zemmour aime pourtant citer, « les croisés, sagement, prudemment, à la manière capétienne, se firent le protecteur de l’émirat musulman le plus faible, celui de Damas, contre le plus fort, celui d’Alep ». De même, de Gaulle se retrouvera dans le rôle du faible et se lancera seul en juin 1940 dans une épopée apparemment sans espoir contre l’Allemagne hitlérienne victorieuse. Cinq ans plus tard, sa décision – qui semblait au début de la folie – parut rétrospectivement avoir été le choix de la raison. Président, il soutiendra le Québec libre (contre l’impérialisme politique, économique et culturel de la majorité anglo-saxonne), défendra la paix au Vietnam face à l’agression des États-Unis et armera les rebelles chrétiens biafrais pour tenter d’affaiblir ce nouveau géant africain, à la fois anglophone et musulman, qu’était le Nigeria,
Abandonner les Kurdes, c’est renoncer à l’un des leviers de la puissance française.
Aujourd’hui, la France est un petit pays par sa superficie et par sa population. Sa puissance économique est loin derrière celle des États-Unis et même de l’Allemagne. Mais il lui reste des moyens pour peser en tant que grande puissance : une armée de qualité (dont il faut sanctuariser le budget), une industrie de l’armement puissante, un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU (qu’il ne faut surtout pas abandonner ou partager), des liens privilégiés avec les pays francophones d’Afrique et le soutien traditionnel apporté à des peuples en lutte contre l’impérialisme des grandes puissances. Abandonner les Kurdes, c’est renoncer à l’un des leviers de la puissance française. Et accepter encore un peu plus d’être ravalé au rang de puissance moyenne
.
Enfin, au Moyen-Orient, on n’est respecté – même par ses ennemis – que si on n’abandonne pas ses amis. Que ce soit Erdogan, les pays arabes ou les Kurdes, tout le monde nous méprise pour notre double abandon des Kurdes et des chrétiens d’Orient. Notre héros le plus connu, auquel se comparait d’ailleurs volontiers le général de Gaulle, n’est-il pas Astérix ? C’est non seulement l’intérêt le plus froid, mais aussi l’honneur, la tradition et l’identité du « petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur » que de faire tout ce qu’il peut pour aider les petits villages kurdes de Syrie qui résistent encore et toujours à l’envahisseur.
* Jean-Loup Bonnamy est normalien, agrégé de philosophie.
Je ne dois pas lire comme vous l’intervention vocale de Zemmour !
Ou alors je ne comprends plus le français !
Zemmour ne se metpas à dos les Kurdes, il expose la lâcheté des pays occidentaux et des Etats Unis qui abandonne les Kurdes, tout simplement et tristement !
Les Kurdes se sont battus contre daech, et les alliés se sont allés !
C’est une interview plus ancienne qui démontre qu’il n’a pas toujours été sur cette posture « polémique ». Récemment, il a donné raison à Erdogan contre les Kurdes et fermé le ban.
Il faut se reporter à son article du Figaro où il passe les kurdes par perte et profits
Définitivement Zemmour n est plus audible Se voulant cohérent dans sa guerre tout à fait justifiée contre l islam politique et politisé il se fourvoie dans des élucubrations nauséabondes justifiant l à grésions turque contre nos alliés kurdes et faisant l,apologie de 2 criminels Petain et Maurras
À force d être dans une posture de provocation malsaine qu il n habite peut être pas Zemmour se coupe de nombreux de ses lecteurs voire ses ex défenseurs dont je faisais partie. Et dorénavant je serais dans l.obligation morale de devenir un détracteur engagé des positions malsaines de Zemmour
moralité.
Les Kurdes sont eux aussi musulmans. Ils ont participé aux carnages turcs des génocides arméniens et chaldéens. https://cms.frontpagemag.com/fpm/2019/11/other-genocide-christians-raymond-ibrahim. https://theresezrihendvir.wordpress.com/2019/10/16/dont-romanticize-the-kurds/ La France a heureusement un poids diplomatique très limité, car sa diplomatie est foncièrement antisémite et adopte souvent des choix et des comportements immoraux. – Que vient faire la moramité en politique ? – Elle est essentielle, comme en sciences et dans tous les domaines. On récolte les fruits de ce qu’on sème, et qui sème le vent récolte la tempête.
Zemmour, n’est pas ma tasse de thé, même s’il a bonne presse. On voit là un positionnement ignoble, il irait jusqu’à adouber Erdogan pour trouver au lâchage des Kurdes une bonne raison, et surtout un »Zemmour l’a dit »aux traîtres de tout bord.
L’ignoble et on le paye pour de longues années de la non reconnaissance du Kurdistan se trouve un alibi de taille avec la Palestine adoubée par tous les xénophobes qui se refont une virginité dans l’antisionisme, et font leur « B.A. »en soutenant des « muz » que par ailleurs,ils exècrent autant que les juifs dans leur voisinage!
C’est plutôt l’auteur de cette note qui se fourvoie en voulant tirer des analogies entre les kurdes et les Bne’i Israel !!
Aucune analogie entre ces deux peuples, mais la même lâcheté des Pays « amis des kurdes »et « amis d’Israël ».
En plus, le « »pov-palestiniien » permet de botter en touche…
PS- je viens d’écouter la courte partie d’interview de Zemmour annexée à cet article et elle me paraît pertinente…
la position définitive de Zemmour se trouve dans son article du Figaro et non dans cette interview ancienne. il y justifie le cynisme et l’abandon des kurdes
Zemmour a mélangé plusieurs choses: un combat justifié contre l’Islam politique et l’immigration incontrôlée et une tentative de réhabiliter des personnages dont la place est dans les poubelles de l’histoire; c’est ainsi qu’il fait de Pétain le « bouclier » et même le « sauveur » des juifs français ( le tout assorti d’une légitimation de la déportation des juifs étrangers) et du minable antisémite Maurras un grand penseur politique français; que ces deux ignobles personnages aient été condamnés pour haute trahison ne semble pas le gêner.Dans cette ligne de pensée il fait d’un comportement absolument cynique et d’une honteuse trahison de nos alliés kurdes un modèle de « realpolitik », présentant ceux qui s’insurgent contre cela comme des naïfs. Cette pirouette idéologique permet à Zemmour de se présenter à ses amis d’extrême droite comme un nationaliste intransigeant capable de reconnaitre à deux antisémites (et traitres) notoires le statut de patriotes