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Entrisme à l’université: la Chine très active..

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Entrisme à l’université : « L’influence de la Chine s’étend à tous les degrés »

Entretien Propos recueillis par 

Depuis le mois de juin, une mission d’information sénatoriale s’inquiète des ingérences étrangères touchant les universités et la recherche française. Le rapport, qui devrait être publié en septembre prochain, pointe notamment du doigt la Chine parmi les pays les plus actifs en termes d’entrisme universitaire.

Alerte à l’université. Depuis le mois de juin, le Sénat a lancé une mission d’information pour enquêter sur l’entrisme de pays extra-européens dans le monde universitaire et de la recherche française. Alors que le monde a les yeux rivés sur Israël, le Maroc et le scandale Pegasus, certains pays, la Chine en tête, poursuivent de manière discrète leurs ingérences au sein de nos universités. Que ce soit pour imposer une vision historique, siphonner des connaissances où encore s’accorder une légitimité à l’international, l’enseignement supérieur français est une aubaine. Afin de mieux comprendre le problème, Marianne a échangé avec André Gattolin, sénateur LREM et rapporteur de la mission d’information.

Marianne : Comment est née cette mission ?

André Gattolin : Depuis que je suis sénateur, il y a dix ans, je suis de près la montée en puissance de la Chine. Je me suis impliqué dans les groupes ayant trait au Tibet et à Taïwan. Au-delà de cet élément personnel, on observe que le monde universitaire est en plein bouleversement à cause de la globalisation de la recherche. Partant de ce constat, certains pays, qui ne sont pas des démocraties, voient dans ces échanges une possibilité de rattraper leur retard ou de s’approprier des découvertes et des brevets. Comme j’observe beaucoup ce qui se passe à l’international, j’ai été très marqué par les développements de ces trois dernières années. L’Australie a notamment mis en place des mesures pour se protéger des ingérences étrangères dans le monde universitaire après des abus.

Pour le moment, ils restent préoccupés par l’ingérence issue d’investissements étrangers dans les entreprises. Mais, dans les pays anglo-saxons, plusieurs incidents alertent. Aux États-Unis, des chercheurs ont été condamnés car ils recevaient un double salaire d’institutions chinoises à qui ils communiquaient leurs recherches. En France, au sein des universités et même des instances de pouvoir, on sent que ce sujet n’a pas encore émergé. L’idée est de passer d’un monde de la recherche qui se veut ouvert, bienveillant, à un milieu plus prudent.

Qu’avez-vous appris de vos premières auditions ?

Par les retours dont on dispose, beaucoup de personnes dans les instituts et les universités sont préoccupées par ces sujets, de manière fragmentaire. Le sujet est venu sur le devant de la scène récemment avec les instituts Confucius. Est-ce uniquement du soft power qui vise à apprendre la langue et la culture chinoise ou également le relais de quelque chose de plus pernicieux ? On s’est rendu compte d’une volonté d’influer dans les universités, d’entrer dans l’élaboration des cursus. Il faut rappeler qu’en 2015, la Chine a procédé à un état des lieux de son développement en matière de recherche et de technologie. Ils ont créé un programme intitulé « Chine 2025 » visant à établir les secteurs où ils sont performants et les trous dans la raquette. Objectif : à coups de financements, de partenariats et d’accords avec les chercheurs étrangers, la Chine entend aspirer une partie des données visant à rattraper ses retards sur les secteurs définis en amont.

Est-ce que l’on dispose d’exemples précis en France ?

C’est très difficile à dire. Pour le moment, nous n’en avons pas. À l’époque, on peut mentionner l’exemple du laboratoire P4 de Wuhan. Les États-Unis refusaient de céder cette technologie à la Chine et c’est finalement la France, sur décision de Jean-Pierre Raffarin à la suite de l’épidémie de SRAS en 2003, qui l’a fait. Le problème c’est que ce type de laboratoire peut rapidement être utilisé à des fins de création d’armes bactériologiques, d’où le refus initial des Américains.

Nous disposons d’un exemple plus récent en République tchèque. En 2019, le pays s’est rendu compte que son université Charles, financée par des fonds de l’État, de l’Union européenne et de l’Otan, disposait d’un accord avec la Chine qui participait également au financement. Résultat, ils ont eu accès à certaines recherches et données stratégiques. Cela a provoqué un scandale aboutissant à la mise en place de règles et de bonnes pratiques concernant ces coopérations.

C’est ce qui manque en France ?

Certaines pratiques existent au sein d’universités mais elles ne sont pas systématisées. Il n’y a rien de plus facile pour une personne issue d’un organe étatique de se faire passer pour un chercheur, s’inscrire dans une université française et recueillir des informations. Au niveau national, nous avons des Hauts fonctionnaires de défense et de sécurité [HFDS] qui surveillent les échanges mais les universités ne sont pas en mesure de signaler un étudiant qui poserait des questions suspectes. Il y a peu de contrôle de ce qui est fait et une certaine perméabilité de nos établissements.

En finançant des recherches, la Chine peut combler son retard technologique mais la crainte réside également dans l’utilisation de technologies, initialement dans un cadre civil, qui arriveront dans l’armée…

Effectivement, la France est très forte dans l’exploration des fonds marins, avec notamment l’Ifremer [Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer] basé à Brest. Des chercheurs se sont questionnés sur la présence d’un institut Confucius dans la région disposant d’un accord avec l’université de Brest. Il est indéniable que l’envoi d’étudiants est motivé par la présence d’un écosystème d’établissements stratégiques dont les technologies peuvent être duales. Nous avons aussi un exemple à Poitiers où se trouve une célèbre école d’aviation. Un certain nombre d’aviateurs y ont été admis par l’entremise de l’institut Confucius local. Par ailleurs, de plus en plus d’étudiants chinois sont encadrés par des associations d’étudiants disposant de membres du Parti communiste chinois à leur tête. Mais la Chine n’est pas la seule. En Australie, sur quatre signalements concernant ce genre de cas, deux étaient chinois, un était un étudiant syrien et le dernier était iranien.

L’entrisme de la Chine ne se limite pas à la technologie mais également à une volonté d’imposer sa vision historique avec des chercheurs qui se censurent sur certains sujets. Est-ce le seul pays ?

Pas vraiment. On peut également citer la Turquie avec les Institut Yunus Emre qui sont le pendant turc des instituts Confucius. Ces derniers peuvent influencer la manière dont on traitera certains sujets, le génocide arménien par exemple. Mais c’est aussi le cas de l’Azerbaïdjan. Certaines auditions font état de thèses financées allant dans un sens qui arrange le régime, notamment sur le Haut-Karabakh. Quand vous avez un chercheur français qui est sur la même ligne que le gouvernement, cela donne une légitimité à la vision qu’il veut diffuser.

« Il y a un intérêt énorme à multiplier les publications, ce qui se fait notamment via les partenariats académiques, à des fins d’influence géopolitique. »

 

Comment peut encore se manifester cet entrisme ?

Il y a ce que j’appelle l’influence systémique. La recherche est devenue un enjeu d’influence géopolitique. Prenons les questions polaires. La présence de pays dans certaines instances se fait sur la base du poids dans la recherche scientifique. Ainsi, il y a cinq ans, plusieurs pays asiatiques, la Chine en tête mais aussi le Japon et la Corée du Sud sont devenus membres observateurs du Conseil de l’Arctique grâce à leur nombre de publications scientifiques. Alors que, techniquement, la Chine n’a pas sa place en Arctique. Il y a un intérêt énorme à multiplier les publications, ce qui se fait notamment via les partenariats académiques, à des fins d’influence géopolitique. À ce titre, nous avons plus d’une vingtaine d’accords de ce type entre Sciences Po et des instituts chinois.

Au vu des prémices de la mission sénatoriale, la Chine apparaît comme la plus grosse menace. Qu’en est-il des autres pays ?

Pour le moment, nous avons surtout eu des retours concernant la Chine car c’est le cas le plus emblématique. Son influence s’étend à tous les degrés. On la retrouve même dans les sciences humaines. Pour autant, les Russes s’intéressent aux questions polaires et arctiques qui sont un gros enjeu géopolitique. L’Iran peut chercher du côté de la recherche nucléaire et des mathématiques.

« Nous avons une absence totale de transparence en France. Plusieurs pays obligent les chercheurs à déclarer leurs conflits d’intérêts mais pas nous, ce qui pose problème. »

Des questions se posent également avec la Syrie qui a fait usage d’armes chimiques. Nous savons qu’ils ne les ont pas achetées. Cela signifie bien qu’ils ont les compétences pour en produire, la question étant de savoir d’où proviennent les connaissances nécessaires. Pour l’instant, ce n’est pas encore très probant mais nous avons encore beaucoup d’entretiens à faire.

Comment pourrait-on limiter l’entrisme étranger dans nos universités ?

Nous avons une absence totale de transparence en France. Plusieurs pays obligent les chercheurs à déclarer leurs conflits d’intérêts mais pas nous, ce qui pose problème. Il faudrait aussi une obligation de déclaration des financements des recherches, notamment pour les doctorats. Après, je ne souhaite pas m’avancer dans des préconisations mais on peut regarder ce qui se fait à l’étranger.

Le Japon procède à un véritable suivi des étudiants avant leur arrivée dans le pays. Ils identifient qui ils sont, s’ils font véritablement de la recherche, dans quels secteurs ils vont travailler mais ils font ce travail également après leur départ. Ils sont capables de dire si un étudiant, venu travailler au centre de recherche de Mitsubishi, part ensuite dans l’industrie automobile chinoise.

Ici, Campus France démarche à l’étranger et une fois l’étudiant arrivé, les contrôles sont faibles. L’étudiant ne sera pas surveillé. Maintenant, faut-il agir comme les Japonais ? Difficile à dire. Je suis pour un modèle comme en Australie. Là-bas, les choses ne sont pas imposées politiquement. Il faut en parler avec les universités, exposer le problème et dresser les bonnes pratiques à adopter. Dans la majorité des cas, il y a simplement de l’ignorance ou de la naïveté vis-à-vis des autres pays. Nous avons également besoin d’instances permettant une meilleure coordination. Il faut agir secteur par secteur mais aussi disposer d’une coordination interministérielle. Actuellement, seul le ministère de l’Éducation supérieur et de la Recherche est en charge de ce sujet.

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