Rencontre Erdogan-Poutine à Moscou, en 2012. Sipa. Numéro de reportage : AP21256628_000007.

Les responsables turcs assurent que le déplacement d’Erdogan à Saint-Pétersbourg ne signifie pas que la Turquie, membre de l’Otan et candidate à l’adhésion à l’Union européenne, tourne le dos à ses alliés.

Il s’agit, disent-ils, de la suite logique du processus de réconciliation entamé plusieurs semaines avant le putsch avorté, après neuf mois de tensions et de sanctions commerciales qui ont suivi la destruction d’un chasseur russe par l’aviation turque près de la frontière syrienne.

Européens et Turcs se parlaient désormais « comme les émissaires de planètes différentes »

Erdogan et de nombreux Turcs ont très mal pris les critiques des pays occidentaux sur la répression et les purges qui ont suivi la tentative de coup d’Etat et estiment que ceux-ci ont montré beaucoup moins d’énergie a condamner les agissements des militaires félons, qui ont bombardé le Parlement et provoqué la mort de 230 personnes.

Les relations avec les Occidentaux ont subi un tel coup de froid que le chef de la diplomatie allemande a déclaré cette semaine qu’Européens et Turcs se parlaient désormais « comme les émissaires de planètes différentes ». Le chancelier autrichien a été jusqu’à suggérer une suspension des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.

« Pour Erdogan, cet entretien avec Poutine est certainement l’occasion d’envoyer à ses partenaires occidentaux le message que la Turquie pourrait avoir d’autres options stratégiques », souligne Sinan Ulgen, un ancien diplomate turc et expert du centre de réflexion Carnegie Europe.

« C’est un moyen de faire entendre que la Turquie pourrait se rapprocher stratégiquement de la Russie si ses relations avec l’Occident se dégradent. La Russie trouve aussi un intérêt à utiliser la crise entre la Turquie et l’Occident pour fragiliser la cohésion de l’Otan », ajoute Ulgen.

« La Russie et la Turquie sont toutes deux des parias aux yeux des Occidentaux »

Poutine sera seulement le deuxième dirigeant étranger à s’entretenir en tête-à-tête avec Erdogan depuis l’échec du putsch il y a trois semaines, après le président du Kazakhstan qui s’est rendu vendredi à Ankara. Les responsables turcs se sont publiquement interrogés sur le fait qu’aucun dirigeant occidental n’était venu manifester sa solidarité.

« La Russie et la Turquie sont toutes deux des parias aux yeux des Occidentaux », estime Andreï Kortounov, directeur général du Conseil des Affaires internationales russe, un centre de réflexion proche du ministère des Affaires étrangères.

« Face à ce constat, le coup d’Etat avorté a rapproché la Turquie de la Russie. Mais il reste de profondes divergences entre les deux pays », précise-t-il.

C’est le cas notamment à propos de la guerre en Syrie, où Moscou soutient le président Bachar al Assad tandis qu’Ankara réclame son départ, mais aussi dans le Caucase, où la Turquie a soutenu l’Azerbaïdjan dans son conflit contre l’Arménie, alliée de la Russie, à propos de la région du Haut-Karabakh.

« L’entretien entre Poutine et Erdogan montrera jusqu’à quel point les deux camps sont prêts à rechercher un compromis. La question est de savoir si la désescalade tactique actuelle peut se transformer en partenariat stratégique », indique Kortounov.

Coup de froid avec Washington

Les Etats-Unis seront sûrement très attentifs à l’entretien entre les deux dirigeants. Les relations entre Washington et Ankara sont en effet empoisonnées par la présence sur le sol américain du prédicateur Fethullah Gülen, présenté par les autorités turques comme le commanditaire du putsch et qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt.

Gülen, qui vit depuis 1999 en exil volontaire en Pennsylvanie, a nié toute responsabilité dans la tentative de coup d’Etat et la Maison blanche a indiqué qu’il ne serait extradé que si la Turquie apporte la preuve irréfutable de son implication, à la grande frustration d’Erdogan.

Le sujet devrait très largement dominer le programme de la visite que le secrétaire d’Etat américain John Kerry prévoit de faire en Turquie fin août.

Avertissement aux Occidentaux par le biais de TurkStream

« Dans un moment comme celui-là, la psyché turque attend des gestes de solidarité et d’unité, mais ce n’est pas du tout ce qu’exprime l’Occident », dit Faruk Logoglu, un ancien ambassadeur turc à Washington qui était jusqu’à récemment député du principal parti d’opposition laïque.

Si le voyage d’Erdogan en Russie peut être interprété comme un avertissement adressé aux Occidentaux, Logoglu dit douter qu’il ne traduise un alignement d’Ankara sur Moscou, ou une détérioration durable des relations avec les Etats-Unis.

« Les relations turco-américaines ont plusieurs fois été mises à l’épreuve par le passé et je pense qu’elles survivront aussi à celle-ci », insiste-t-il.

Un rapprochement russo-turc pourrait être plus problématique pour l’Union européenne, qui voit notamment d’un mauvais oeil le projet « TurkStream » de gazoduc entre la Russie et la Turquie au moment où elle cherche à réduire sa dépendance au gaz russe.

« L’UE veut diversifier ses fournisseurs et connecter l’Europe aux champs de gaz de l’est de la Méditerranée », rappelle Akin Unver, professeur de relations internationales à l’université Kadir Has d’Istanbul. « Si la Russie la court-circuite avec TurkStream, cela ne l’aidera pas dans cette tâche. Mais l’UE n’est pas en position de négocier. Elle est très faible politiquement. »

Iouri Ouchakov, conseiller du Kremlin pour la politique étrangère, a déclaré que la Syrie serait le principal thème de l’entretien entre Poutine et Erdogan. TurkStream, des projets de centrales nucléaires et l’éventuelle reprise des vols charters russes vers la Turquie, suspendus depuis que le chasseur russe a été abattu en novembre dernier, figureront également au menu des conversations.

La divergence de vues sur la Syrie persiste 

Sur la Syrie, Kortounov estime que les deux pays peuvent travailler ensemble aux grandes lignes d’une transition politique visant à mettre fin à cinq années de guerre civile et à élaborer une nouvelle Constitution syrienne.

« En coopération avec la Russie, nous voudrions faciliter une transition politique en Syrie le plus rapidement possible », a déclaré le porte-parole d’Erdogan, Ibrahim Kalin, à l’agence de presse russe TASS. Mais il a répété qu’Ankara continuait à considérer qu’une telle transition ne pourrait avoir lieu tant qu’Assad serait au pouvoir.

Kalin a qualifié les tensions avec la Russie de « turbulences sans lendemain » en rappelant que l’amitié entre les deux pays remonte à plusieurs siècles.

« Le contexte politique laisse penser qu’il y aura des zones de convergence entre la Turquie et la Russie », dit aussi Ulgen, l’ancien diplomate. « Mais il n’est pas réaliste de penser que la Russie est une alternative stratégique à l’ancrage de la Turquie à l’Ouest. La Turquie demeure une alliée de l’Occident », assure-t-il.

ISTANBUL/MOSCOU
zamanfrance.fr

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires