Sans les récents événements qui ont ensanglanté deux capitales européennes après avoir sévi dans tant de pays arabo-musulmans (Tunisie, Syrie, Irak, Turquie, Pakistan, Liban), je n’aurais pas abordé un tel sujet aujourd’hui. Il convient, néanmoins, de traiter cette question selon les normes dictées par la méthode historico-critique. Alors, interrogeons nous sur la provenance de cette notion de martyre qui appartient originellement au registre de l’histoire religieuse et n’impliquait nullement la volonté d’entraîner dans une mort violente des adversaires doctrinaux ou des adeptes d’une confession autre que la sienne propre.

Judaïsme, christianisme et islam sont les trois représentants du monothéisme qui se sont inspirés les uns des autres, ce qui place la Bible hébraïque au fondement même de leur inspiration, même si ces trois religions se sont diversifiées par la suite, allant jusqu’à se muer en ennemies implacables les unes des autres. Or, nous découvrons à notre grande surprise, que la Bible hébraïque ne nomme pas le martyre, que le christianisme y fait tout juste allusion, par exemple, dans les Actes des Apôtres et que le Coran lui-même, tout en développant les notions de da’wa (l’appel de l’islam à la conversion) et de djihad (guerre sainte), condamne énergiquement le suicide, et donc les attentats-suicides.

Le terme même de martyre vient du grec; il a été traduit en arabe par un terme signifiant le témoin (chahid, pluriel chouhada), lequel a la même racine que la profession de foi musulmane (chahada). En allemand, en plus du terme grec germanisé (Märtyrer) on trouve aussi le terme Blutzeuge, qui veut dire littéralement témoin par le sang, c’est-à-dire témoigner en faveur de sa foi en versant, au besoin, son propre sang.

Curieusement, l’hébreu n’a pas de terme équivalent pour le martyre; la Bible n’en a pas connaissance. C’est plus tardivement, dans l’évolution de la conscience religieuse que furent introduites des notions sensiblement différentes et donc nuancées: le judaïsme prévoit deux formules qui se répondent l’une l’autre: la sanctification du Nom divin (kiddouch ha-Shem) qui fait face à la profanation de ce même Nom divin (hilloul ha-Shem). Lorsque le Nom de Dieu est profané, comprenez par des agissements barbares ou absolument inconciliables avec les commandements divins, on peut être amené à sacrifier sa propre vie afin de s’y opposer.

C’est alors que la littérature rabbinique a frappé une formule encore plus explicite: li-messor nafsham al kiddoush ha-Shem, littéralement dévouer, sacrifier sa propre vie pour la sanctification du Nom divin. Et ceux qui se trouvent dans une telle situation, qui sont contraints à cette extrémité, sont appelés kedoshim (saints) et hassidim (dévots de Dieu)…

Mais dans le judaïsme, cette sanctification du Nom divin n’est pas nécessairement équivalente au sacrifice suprême, ce n’est que l’ultime étape: on peut servir Dieu autrement , en appliquant ses commandements, en récitant ses prières et en menant une existence vertueuse, c’est-à-dire éthique.

On ne discerne pas chez les Juifs ce culte des martyrs, ni ce culte des saints, devenu une véritable institution au sein du christianisme. Il suffit de renvoyer aux cas de Polycarpe, évêque de Smyrne, de Perpétue, des persécution romaines à Lyon vers 177 etc… pour s’en convaincre. On ne trouve chez les Juifs que des Memorbücher qui répertoriaient les noms des martyrs victimes des croisés dans les cités rhénanes (Spire, Worms et Mayence). Lors d’un certain samedi de l’année, dit le samedi noir, on donnait lecture des noms de ceux qui avaient été tués parce qu’ils avaient refusé d’abjurer.

Comment s’explique cette réserve à l’égard du martyre chez les Juifs alors que leur histoire prend si souvent les allures d’une incessante martyrologie ? Même le second livre des Maccabées, texte extra-canonique, fait pourtant état, avec un incroyable luxe de détails, du martyre d’une mère et de ses sept fils, en comparaison duquel la mise à mort d’Eléazar, évoqué dans le même livre, fait pâle figure…

Comme on l’expliquera plus loin, c’est la sacralisation de la vie qui explique cette retenue et a refusé toute exaltation ou héroïsation du candidat au martyre: notre vie ne nous appartient pas, elle nous a été donnée par Dieu, lui seul juge quand il veut ou doit la reprendre. Et puis il y a l’article du Décalogue qui stipule: tu ne tueras point… Peut-être faut-il aussi ajouter une remarque propre à la situation politique du petit royaume de Judée: coincé entre ces deux célèbres puissances hégémoniques que furent l’Égypte ancienne et l’Assyrie, ce petit pays ne pouvait pas gaspiller inutilement ses forces ni s’adonner à des sacrifices inutiles. On le voit dans les promesses de Dieu aux patriarches: il les assure toujours d’une nombreuse descendance… C’est bien la preuve qu’ils en manquaient!

Pourtant, on trouve dans le midrash le thème des dix martyrs du royaume (c’est-à-dire de Rome). Il s’agit de sages de l’époque talmudique qui bravèrent l’interdit romain d’étudier la Tora et de pratiquer les commandements du temps d’Hadrien, entre 132 et 135 de notre ère. En fait, ces dix martyrs ne furent pas exécutés au même moment mais on les a regroupés sous un même chapitre afin d’impressionner la conscience populaire et d’en entretenir le souvenir. Les trois sages les plus connus, morts en martyrs, sont rabbi Akiba, rabbi Hananta et rabbi Yehuda. Ils furent écorchés vifs pour les deux premiers, le dernier fut, selon les sources, soit transpercé de trois cents coups de lance (sic) soit brûlé vif, entouré du rouleau de la Tora que l’on avait embrasé.

Akiba est le plus célèbre et passe pour avoir soutenu la révolte de Bar Kochba qui fut par la suite noyée dans le sang par les soldats romains. Mais c’est bien Yehuda qui fut gratifié d’une vision surnaturelle au moment de son supplice: alors que le rouleau de la Tora qui entourait son corps se consumait lentement il s’exclama: le parchemin brûle mais les lettres de la Tora s’envolent… Déclaration symbolique sur le caractère indestructible du verbe divin. Et aussi: il est des hommes que l’on peut détruire mais qu’on ne peut pas vaincre car leurs convictions transcendent les limites de ce bas monde.

Assez curieusement, cette martyrologie a beaucoup inspiré le culte chrétien des martyrs dont le modèle hébraïque, emprunté au talmud ou au midrash, est absolument indéniable. Mais le judaïsme n’a pas retenu le culte des reliques, par exemple. On ne peut ignorer une sorte de mise en scène puisque de tels témoignages avaient plus une valeur littéraire qu’historique; la disparité des sources insinue dans cette direction. En comparant les traités talmudiques suivants [ Avoda zara (culte idolâtre) fol. 17b-18a, Berachot (bénédictions) fol. 61b et Sanhédrin fol. 14a], on se rend bien compte des disparités existant entre les différentes relations.

Mais même s’il a consenti de très lourds sacrifices au cours de son histoire trimillénaire, le judaïsme n’a pas cherché à exalter le martyre; tout au contraire, il a tout fait pour l’endiguer en soumettant à des conditions strictes les volontaires au martyre. Il fallait trouver un juste équilibre entre l’amour de la Tora et le respect de la vie.

Le talmud énumère donc les trois cas au cours desquels il faut trépasser au lieu de transgresser. Dans ces trois cas, trois et pas quatre, l’homme doit consentir au sacrifice suprême et refuser la transgression: si on vous contraint à verser du sang innocent, si on vous contraint à la luxure, et si on vous contraint à adopter l’idolâtrie, vous devez préférer la mort. Aucune transaction n’est possible dans ces trois cas.

Pourtant, cette sacro-sainte règle talmudique a connu une exception notoire sur laquelle on jette le manteau de Noé: le cas des Marranes qui accepter de se convertir tout en judaïsant en secret.
Un dictum talmudique (Yoma, fol. 85b) stipule ceci: vis par la Tora, ne meurs pas par elle ! Mais, le cas échéant, tu peux mourir pour elle…

En conclusion, on notera que judaïsme et christianisme, même intimement liés, divergent sur ce point nodal qu’est le martyre, mais jamais on ne recommande de tuer ses ennemis en se faisant exploser parmi eux. Même l’islam ne l’exige pas de ses adeptes. Les kamikases ne sont pas d’authentiques martyrs de la foi.

Maurice Ruben HAYOUN

MRH petit

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André

« Les kamikases [musulmans] ne sont pas d’authentiques martyrs de la foi » ni même d’authentiques kamikazés. Non, ce sont juste des assassins islamisés.