Dieu n’a pas besoin de preuves…. Jacques Arnould

Jacques Arnould, Dieu n’a pas besoin de «preuves». Albin Michel, 2023.

Dieu n'a pas besoin de "preuves" - Dernier livre de Jacques Arnould - Précommande & date de sortie | fnacLe titre de ce petit ouvrage bien écrit et surtout très critique à l’égard des semi-habiles, renseigne bien sur son contenu: il s’agit de montrer l’inanité de tant de tentatives de prouver l’existence de Dieu, à l’aide d’argumentaires que l’auteur juge dépassés… D’où la déclaration très censée : Dieu n’a pas besoin de preuves… Mais l’auteur ne pourfend pas des ombres, il s’en prend à ce qu’il nomme fort justement le concordisme (que je dénonce moi aussi) et qui consiste à vouloir faire coïncider des versets des Écritures avec les acquis de la science contemporaine. En gros, on excipe des versets bibliques ou évangéliques en prétendant qu’ils avaient précédé les découvertes scientifiques, ce qui accorde à la foi un primat absolu et fait de la science la servante de la théologie et de la foi.. Ce qui s’appelle jouer un rôle ancillaire. Le croire aurait donc toujours une longueur d’avance sur le savoir. Ce postulat a des conséquences très graves puisqu’il dénature le caractère intelligible de l’univers et préempte son décodage. La vérité prophétique dépasse et subjugue la vérité scientifique…

 

Malheureusement. cette attitude concordiste n’est pas nouvelle. Dès les premières confrontations médiévales entre la Révélation et la Raison, il s’est trouvé des théologiens, plus ou moins habiles, pour mettre cette pratique à l’honneur et provoquer des controverses entre les tenants de la fausse science et ceux de la vraie science.

Un exemple classique : dans les derniers chapitres de la première partie du Guide des égarés, Maimonide (1138-1204) fustige les prétendues démonstrations de l’existence de Dieu par les moutakallimoun (théologiens de l’islam) qui, écrivait-il, ne rendent pas service à la cause qu’ils prétendaient servir. En fondant une telle existence sur des bases si peu solides, ils compromettaient gravement l’édifice de la foi. La meilleure manière de démontrer l’existence de Dieu dans ce système néo-aristotélicien judéo-arabe consistait à admettre comme prémices l’éternité de l’univers, ce à quoi ces mêmes théologiens se refusaient, sous peine d’encourir l’accusation d’hérésie.

C’est dire !

Aujourd’hui, comme à l’époque médiévale, on n’avait pas besoin de telles démonstrations boiteuses. C’est ainsi que nos collègues allemands ont encouragé la naissance de la Religios philosophie. Ce qui ne signifie pas la philosophie religieuse tout simplement, mais bien un subtil dosage entre deux matières que Spinoza, bien plus tard, recommandera de les tenir séparées l’une de l’autre, si l’on veut préserver leurs dignités respectives…

Évidemment, l’auteur du présent ouvrage est chrétien, c’est même un ancien dominicain qui sait de quoi il parle. Il souligne, à juste titre, ce que représente cette religion universelle pour les siens. Il s’attarde pour les réfuter, sur les astronomes qui s’échinent à soutenir par des faits d’observation les affirmations de Évangiles sur les rois mages… Ce qui ne l’empêche pas de souligner la portée incontournable d’un tel fait, la naissance de Jésus.

Cela m’a fait penser à un texte de Léo Baeck (ob. 1965) que j’avais traduit et publié aux éditions Bayard Presse, en 2002, L’Évangile, une source juive. Baeck y explique que l’on ne peut pas négliger ni sous-estimer ce phénomène, la naissance de Jésus, ce que recommande aussi J. Arnould, à sa façon à lui.

Sa diffusion aux quatre coins du monde, son emprise pluriséculaire sur les esprits, entre tant d’autres choses, confèrent au christianisme un rôle unique en son genre. Ce christianisme n’est plus une religion comme les deux autres monothéismes, c’est devenu une culture, notamment la culture occidentale qui respire par tous les pores de son organisme. Tant d’institutions modernes, voire contemporaines, ont une assise chrétienne, même si tout le monde l’a oublié. Le jeune philosophe judéo-allemand (ob. 1929à) Franz Rosenzweig, en gésine de conversion au protestantisme, en a fait la pénible expérience dans une émouvante conversation avec sa mère : brandissant un exemplaire de l’Évangile, il s’écria : Mère, tout y est. Ce qui prouve ici aussi que le donné purement religieux avait été occulté par un aspect plus culturel, au sens le plus large du terme.

Plus généralement, Dieu a-t-il besoin d’être démontré logiquement ou bien philosophiquement ? Pas nécessairement bien que cela ait tant préoccupé les esprits à des moments bien définis de l’histoire humaine. Après le divorce du judaïsme et du christianisme, la nouvelle religion, non contente d’avoir rejeté sa religion de naissance, a voulu imposer un Dieu chrétien à la terre entière, et notamment aux adeptes de «l’ancienne alliance» pour parler comme on le faisait durant l’Antiquité…

Les trois religions monothéistes ont, à quelques rares nuances près, opté pour l’adventicité de l’univers, le créationnisme. C’est la foi en un Dieu créateur, qui dirige l’univers selon ses propres lois, qu’on les comprenne jusqu’au bout ou qu’on les ignore… Ce qui est intéressant, c’est le débat que cela a suscité même au sein de leur propre camp.

Je pense à un cas précis qui fait de nouveau intervenir Maimonide qui professait, sans le dire clairement, l’éternité de l’univers. Mais il existe au moins deux types d’éternité : celle de Dieu et celle du monde. Maimonide prend un exemple emprunté au théologien soufi musulman, Abuhamid al-Ghazali : l’architecte qui a construit l’immeuble où nous nous trouvons a disparu depuis belle lurette et son œuvre lui a survécu. Mais si Dieu retire au monde l’appui qu’il lui apporte, celui-ci s’écroule comme un château de cartes. Mais cette homonymie du terme éternité n’est pas entendue par le vulgaire…

Mais Maimonide a repéré le dictum d’un talmudiste, Rabbi Abbahou qu’il rejette au motif que ce sage avait écrit que Dieu créait et détruisait successivement des univers, à l’instar d’un médiocre potier, insatisfait par ses nombreuses tentatives de fabriquer un beau vase. Maimonde qui connaissait le passage de la Métaphysique d’Aristote (De l’impossibilité de mondes créées et ensuite détruits, s’exclame ; il eût mieux valu que cette phrase ne fût jamais écrite… C’est donner une idée de la distance qui existe parfois chez Maimonide entre un judaïsme simple et littéral et un judaïsme conceptualisé à la mode néo aristotélicienne

Les créationnistes autant que leurs adversaires matérialistes se rendent souvent coupables de lectures imparfaites soit des résultats de la science ou de ceux de la religion. L’église elle-même, en sa qualité de grande puissance (Ferdinand Brunetière), régente des esprits, a falsifié les faits et condamné de grands savants qui annonçaient des vérités qu’elle a mis des siècles à reconnaître…

L’auteur a écrit un beau chapitre sur l’avenir de la transcendance face aux neurosciences et à une catégorie vraiment nouvelle, celle des neuro-théologiens. Les effets de l’inspiration prophétique ne viendraient que de nous-mêmes : le cerveau produit l’esprit ; et si cela vaut pour l’homme, pourquoi pas aussi de Dieu en personne ? La transcendance est elle en danger de ce fait ? La question peut se poser.

Quelles sont les racines de la foi ? Et peut-on parler d’une généralité ou de cas spécifiques et individuels ? Les théologiens allemands de l’église évangélique ont largement disserté sur le sentiment religieux, un sentiment au sein duquel s’origine la foi.

La conquête de l’espace, vieux rêve de l’humanité qui s’origine aussi bien dans les tragédies grecques que dans les symboles religieux monothéistes, a pris une coloration religieuse. Les astronautes n’ont pas manqué de réciter parfois des prières ou de formuler des vœux, des sollicitations de protection par des oraisons pour le succès de l’entreprise. Ceci apporte de l’eau au moulin de ceux qui pensent que lors de telles démonstrations où les hommes, par leur science, tentent de dépasser l’humaine condition. Le plus vieux symbole de cette révolte humaine se trouve dans le livre de la Genèse, avec la tour de Babel dont le dessein proclamé urbi et orbi était d’atteindre la sphère divine et surtout s’en affranchir ou en déchiffrer les secrets. Dans sa volonté éperdue de dépasser son humaine condition, l’homme a dû tenir compte d’une certaine forme de cosmologie. Lors des voyages vers la lune, un président US avait dit dans son annonce, nos prières accompagnent nos cosmonautes…. Chose absolument impossible en République française, championne toutes catégories en laïcité.

L’auteur évoque la possibilité pour l’homme de se transcender soi-même. Est-ce du trans humanisme ? L’homme peut-il vraiment se prendre un jour pour un dieu ? Mon incompétence m’interdit de répondre à cette question, mais je ne suis pas convaincu par les arguments en faveur de cette thèse futuriste…. Il me faut à présent conclure car les lecteurs se décourageront de lire une aussi longue recension… Comment conclure le compte-rendu de cette passionnante étude, exaltante par endroits, inquiétante par d’autre ? Donnons la parole à l’auteur :

Il est louable de la part de ces derniers de ne pas estimer défendre sa cause (et ses interdits) en réitérant la bourde de Pie XII en recherchant des accords, des concordances entre les découvertes scientifiques et l’énoncé de la foi en assurant trouver dans les premières des preuves de l’existence de Dieu : de telles initiatives sont toujours préférables aux procès et aux bûchers. Mais c’est là réduire la démarche religieuse à la méthode scientifique, la foi à la rigueur de la raison C’est chercher à répondre au crois-tu murmuré à l’oreille et au cœur par un «eurêka». Dieu ou plus exactement la foi en lui, n’a pas besoin de preuves élaborées et proposées par les sciences.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

 

Reprise des conférences du professeur Maurice-Ruben HAYOUN à la mairie du XVIe arrondissement, 71 avenue Henri Martin 75116, salle des mariages : 

Le jeudi 23 mars à 19 heures 

Contactez: Raymonde au 0611342874

 

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