L’une des raisons pour lesquelles les sanctions contre l’Iran seront levées, que les États-Unis se retirent de l’accord nucléaire ou non, est que les autres signataires (la Russie, la Chine et l’Union européenne), ont un intérêt économique à ce qu’elles fussent levées. Cet intérêt économique est lié en particulier au gaz naturel.

À première vue, la Russie n’avait aucun intérêt à réintégrer l’Iran dans le marché du gaz naturel puisque les deux pays sont concurrents. Mais en regardant de plus près la géopolitique compliquée de l’énergie, la stratégie de la Russie s’avère logique.

L’Union européenne importe environ un tiers de son gaz naturel de Russie. Cette dépendance limite l’influence de l’UE sur la Russie et, par conséquent, la capacité de l’Europe à empêcher l’annexion rampante de l’est de l’Ukraine par la Russie. Vu que l’Iran possède l’une des plus importantes réserves de gaz naturel au monde, il pourrait potentiellement permettre à l’Europe de diversifier ses importations gazières. Il faudrait cependant à l’Iran une bonne décennie pour devenir un exportateur important de gaz naturel (entre autres du fait de la demande croissante de son marché intérieur).

Vladimir Poutine est évidemment conscient du fait que l’Iran pourrait devenir un concurrent majeur sur le marché du gaz naturel. Mais son calcul semble être que réintégrer l’Iran dans ce marché pourra aider la Russie à créer un cartel qui permettra de maintenir artificiellement les prix du gaz naturel au-dessus des prix du marché. Cela servirait les intérêts économiques de la Russie.

La Russie, l’Iran et le Qatar détiennent ensemble environ 57% des réserves mondiales de gaz naturel. Ils constituent donc de facto un oligopole au sein du Forum des pays exportateurs de gaz naturel (FPEG) une organisation intergouvernementale constituée de onze des principaux producteurs de gaz naturel (Algérie, Bolivie, Egypte, Guinée équatoriale, Iran, Libye, Nigeria, Qatar, Russie, Trinité-et-Tobago, et Venezuela).

Les pays du FPEG contrôlent non seulement 70% des réserves mondiales de gaz naturel, mais aussi 38% des gazoducs internationaux. Avec l’émergence des États-Unis comme important producteur de gaz naturel (grâce à la technologie du gaz de schistes), et en raison de la rivalité russo-américaine sur les gazoducs dans la mer Caspienne et dans le Caucase, la Russie veut rester leader sur le marché du gaz naturel. C’est pourquoi la Russie a intérêt à ce que l’Iran rejoigne ce marché.

La Russie a un différend non seulement avec les Etats-Unis mais également avec l’Union européenne au sujet gazoducs. Afin de réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz naturel russe, l’UE prévoit la construction du gazoduc Nabucco, qui relierait l’Azerbaïdjan et la Géorgie à l’UE via la Turquie (contournant ainsi la Russie par le sud). En décembre 2014, Vladimir Poutine a annoncé son intention de construire un gazoduc concurrent qui livrerait du gaz naturel directement de la Russie à la Turquie (via la Mer noire).

Depuis la création du FPEG en 2001, beaucoup soupçonnent la Russie et l’Iran de vouloir former un cartel du gaz naturel similaire au cartel pétrolier de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole). En mai 2006, Alexander Medvedev, le vice-président de Gazprom (le géant russe du gaz naturel) déclarait que la Russie pourrait créer « une alliance de producteurs de gaz naturel qui sera plus influente que l’OPEP. » En février 2007, CNN rapportait que la Russie et l’Iran étaient en pourparlers pour la création d’un cartel du gaz naturel. Ainsi, le retour de l’Iran sur le marché international du gaz naturel sert les intérêts de la Russie.

Il y a aussi les intérêts économiques de la Chine, qui prévoit la construction d’un gazoduc entre l’Iran et le Pakistan. Les États-Unis avaient précédemment menacé le Pakistan de sanctions s’il allait de l’avant avec ce projet. Avec le nouvel accord nucléaire iranien, les États-Unis ne pourront plus faire pression sur le Pakistan, qu’ils fassent ou non partie de l’accord.

Ceux qui pensent que la formation d’une majorité de deux tiers au Congrès américain pourra faire dérailler l’accord avec l’Iran se font des illusions. Que les États-Unis soient ou non partie prenante à cet accord, les sanctions seront levées par la Chine, par la Russie et par l’UE, parce que tous ont un intérêt économique et géopolitique à réintégrer l’Iran dans le marché du gaz naturel.

Emmanuel Navon dirige le département de Science politique et de Communication au Collège

Universitaire orthodoxe de Jérusalem et enseigne les relations internationales à l’Université de Tel Aviv et au Centre interdisciplinaire d’Herzliya. Il est membre du Forum Kohelet de politique publique.

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