Israël-Soudan : la normalisation à l’épreuve du coup d’État militaire

Le Coup d’Etat militaire du 25 octobre 2021 fait planer une incertitude sur l’avenir des relations entre le Soudan et Israël qui avaient commencé à se normaliser avec les accords d’Abraham.

Khartoum, le 25 octobre 2021. Une coalition militaire menée par Abdel Fattah el-Bourhane, à la tête de l’armée officielle, s’empare de la capitale. S’ensuit l’arrestation des dirigeants civils, la dissolution du gouvernement de transition et du Conseil souverain (CS), la proclamation de l’état d’urgence, la répression des manifestants… Après la tentative manquée du 21 septembre, beaucoup d’observateurs redoutaient depuis plusieurs semaines un coup d’État en bonne et due forme. Beaucoup, mais pas tous. À quelques milliers de kilomètres au nord du Soudan, en Israël, l’option militaire n’a jamais effrayé personne.

Depuis le 25 octobre, Tel-Aviv a certes fait profil bas en évitant de se positionner de manière trop marquée. Idan Roll, ministre délégué des Affaires étrangères, tente de noyer le poisson en évoquant à Jérusalem une situation « délicate », manquant de « clarté », empêchant de « prendre position sur le sujet ». Mais ces timides déclarations font pâle figure face aux condamnations quasi unanimes du reste de la communauté internationale. Ligue arabe, Nations unies, Union africaine, États-Unis, Union européenne… tous réprouvent la prise de pouvoir par la force, au moins de manière rhétorique. Surtout, l’envoi d’une délégation israélienne à Khartoum, moins d’une semaine après le coup d’État, semble trahir la force du lien unissant l’État hébreu à certains hauts gradés soudanais. L’information est relayée par le site « al-Sudani », qui rapporte la présence d’agents du Mossad parmi les représentants israéliens qui n’étaient « pas là pour offrir une quelconque médiation », confie à L’OLJ Magdi el-Gizouli, universitaire et analyste politique soudanais.

Dans la presse, certains propos fuitent confirmant l’ambivalence de la position officielle israélienne face au putsch. Un officier israélien confie par exemple dans un entretien à Israel Ha’yom, réputé proche du gouvernement, soutenir le coup de force « inévitable » du général Bourhane. « Les militaires représentent la plus grande force dans le pays et Bourhane en est le commandant en chef. Les événements de lundi (25 octobre) augmentent donc la probabilité de stabilité au Soudan (…) tout en augmentant les chances de liens plus solides avec les États-Unis, l’Occident, et Israël en particulier », avait alors affirmé la source sous couvert d’anonymat.

Stade formel

En janvier 2021, Khartoum avait rejoint les accords d’Abraham, actant la normalisation de ses liens avec Israël. Mais, dès le départ, les liens bilatéraux sont portés par les militaires, contre l’avis d’une partie des représentants civils. Et, contrairement aux autres accords conclus avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn ou le Maroc, la normalisation ne s’est jamais traduite par la mise en place de représentations diplomatiques ou l’essor de nouveaux échanges commerciaux.

Khartoum avait entériné l’accord après plus d’un an d’intenses tractations sous la pression de l’administration Trump, afin notamment d’être retiré de la liste des pays soutenant le terrorisme et d’obtenir une levée des sanctions, alors que l’état d’urgence économique avait été décrété en septembre 2020. Mais les réticences d’une partie des Soudanais – de la population et de la composante civile du CS, l’alliance des Forces de la liberté et du changement (Forces for Freedom and Change, FFC) – avaient refroidi le processus de normalisation, qui en était resté au stade formel.

Les quelques rencontres – rares – entre dirigeants civils soudanais et israéliens, comme à Abou Dhabi en octobre, font office de vitrine. Mais le lien naissant entre Khartoum et Tel-Aviv repose surtout sur la détermination des généraux soudanais à s’attribuer le premier rôle en matière de politique étrangère, avec la complicité des Israéliens qui privilégient les interlocuteurs militaires aux dépens des civils, pourtant majoritaires au sein du CS présidé par le général Bourhane.

Le 8 octobre, moins de trois semaines avant le coup de force de Khartoum, une délégation militaire soudanaise se serait ainsi rendue en Israël lors d’une visite secrète de deux jours, selon plusieurs sources médiatiques dont al-Arabiya. Parmi les représentants : Mirghani Idris Solimane, directeur de la Military Industry Corporation, l’entreprise d’armement nationale, ainsi que le chef des Forces de soutien rapide (FSR), Mohammad Hamdan Daglo (Hemetti), ayant pris part au coup militaire aux côtés de l’armée. La rencontre, qui avait alimenté les rumeurs quant à un possible soutien israélien aux événements du 25 octobre, « laisse le champ libre à toutes les spéculations », admet Magdi el-Gizouli. « Mais l’élément important ici est que les formations armées soudanaises font désormais partie du régime de sécurité régional sponsorisé par Washington, qui implique Israël, l’Égypte et les pays du Golfe ».

Sans aller jusqu’à un appui assumé, le favoritisme israélien « rend légitime la quête des militaires (soudanais) pour rester au pouvoir et affaiblit la composante civile du gouvernement », estime Mohy Omer, analyste soudano-américain, dans les colonnes du quotidien Haaretz. Ce faisant, l’État hébreu contribue à inverser « le processus de transition démocratique » amorcé en août 2019, quelques mois après la chute de l’ancien dictateur Omar el-Bachir.

Face aux déclarations en provenance de Washington, il serait facile de conclure que de nouvelles réticences américaines seraient en mesure de refroidir les ardeurs entre militaires soudanais et dirigeants israéliens, jusque-là dégagées de véritables contraintes. Il est vrai que Jeffrey Feltman, l’envoyé spécial pour la Corne de l’Afrique, avait annoncé la réduction de l’aide américaine au Soudan au lendemain du coup d’État, tandis que le département d’État avait affirmé la nécessité de « réévaluer » les efforts de normalisation. Il est également probable que Washington refuse désormais de faire de l’approfondissement des accords d’Abraham une priorité. Mais outre ces précautions de surface, tout mène à penser que l’administration américaine, préoccupée par la menace chinoise et impatiente de déléguer ses responsabilités dans d’autres régions moins prioritaires, ne cherchera pas à se mouiller. « La position américaine ne diffère pas fondamentalement de celle des Israéliens, qui préfèrent avoir affaire à des chefs militaires puissants et fiables – à la différence près que Washington préférerait un visage civil », conclut Magdi el-Gizouli.

Source : L’Orient-Le Jour

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Guidon

Entre soutenir le camp qui accepte la normalisation des relations (fin de l’état de guerre) et le camp qui s’y oppose (le premier ministre soudanais), donc maintenir l’état de guerre, que conseille le bon sens ? Israël agit en fonction de ses intérêts et c’est le cas de tous les autres pays.