L’avocat Alain Jakubowicz, des nobles causes au ténébreux Nordahl Lelandais

Lyon (Rhône), le 16 avril. Alain Jakubowicz dans son cabinet. LP/Jean-Baptiste Quentin

À 65 ans, l’avocat de Nordahl Lelandais dans l’affaire Maëlys traverse « l’épreuve la plus difficile de son exercice professionnel », selon ses amis. Jusqu’ici, ce personnage lyonnais excellait plutôt dans la défense des victimes.

Est-ce bien le même homme ? On gardait l’image d’un avocat en colère en une fin d’après-midi électrique. Le 4 décembre, sur BFMTV, Me Alain Jakubowicz, regard furibard et index inquisiteur, vitupérait contre le procureur et les médias. Nombre de téléspectateurs découvraient ce jour-là le visage anguleux et le phrasé au vitriol du défenseur de Nordahl Lelandais. Devant tant d’assurance, le doute s’installait : et si son client, cet homme soupçonné d’avoir enlevé la petite Maëlys en pleine fête de mariage, était accusé à tort ?

Quatre mois ont passé, marqués par les aveux de l’ex maître-chienpuis par la découverte du corps de l’enfant. Le doute a changé de camp. Et Jakubowicz est autre. D’une cordialité de toile émeri dans les premiers échanges téléphoniques, il prend du temps pour nous recevoir dans son cabinet. Au fronton de la salle de réunion baignée de soleil, cette déclaration – « Tous sont égaux devant la loi »- qu’un artiste contemporain a pris soin de déconstruire, en mélangeant les syllabes.

« J’assume totalement »

« Jaku », son surnom dans la profession, a construit sa réputation sur la défense des nobles causes, souvent en partie civile : déportés juifs des procès Barbie-Papon-Touvier, victimes de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc ou disparus du vol Rio-Paris. D’ordinaire, il a l’opinion avec lui. Rien d’étonnant à ce que le choix d’assister un présumé assassin d’enfant ait divisé le cabinet.

« La profession d’avocat est la dernière véritable profession libérale car, au nom de sa conscience, on peut refuser de défendre. Un médecin n’a pas le droit de refuser de soigner », assume celui qui fait le choix de foncer. Père de trois enfants et grand-père, il fêtera ses 65 ans dans quelques jours. « Je n’ai pas hésité, reprend-il. J’ai réfléchi. Et j’assume totalement. La robe d’avocat n’est pas différente selon que vous êtes en partie civile ou en défense. Ou alors on risque l’hémiplégie. »

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Paris, 4 décembre 2017. L’avocat qui défend Nordahl Lelandais, sur le plateau de BFM./Document BFMTV

Tous les coups sont-ils pour autant permis ? Sur BFM, l’avocat décrit cet extrait de vidéosurveillance de qualité exécrable, image figée d’une Audi suspecte la nuit du drame. La maman est certaine de reconnaître sa fille. « Ce n’est pas vrai que l’on distingue une enfant, répond l’homme de loi. On distingue effectivement une passagère qui a les cheveux longs et bruns [avec] un décolleté de femme, qui est profond, qui va jusqu’à la naissance la poitrine ». Devant nous, Jakubowicz proteste de « sa totale bonne foi ». D’ailleurs, à l’époque, il prend soin d’ajouter qu’il voit cela « subjectivement », sans se prononcer sur l’innocence de son client, précautions de langage que l’histoire n’a pas retenues.

L’avocat le plus détesté ?

« J’ai voulu faire passer un message d’immense respect, ce qui n’est pas antinomique avec une défense totale, justifie-t-il. Je me suis planté : cela n’a pas été perçu ainsi par la famille. Ce qui est pour moi un vrai sujet de souffrance. » L’un de ses proches, Me François Saint-Pierre, élégant et sobre : « Il traverse l’épreuve la plus difficile de son exercice professionnel. » Me André Soulier, lyrique mais juste, évoquant leurs séances bihebdomadaires de vélo en salle dans un institut sportif : « Dès 6h30 du matin, nous devisons en enfourchant ces engins qui ne mènent nulle part. Il est troublé car c’est un homme profondément honnête. Mais on n’est pas un grand avocat avant d’avoir affronté une grande épreuve. »

Jakubowicz semble être devenu l’avocat le plus détesté sur l’échelle versatile des réseaux sociaux. Pas sans danger pour les affaires quand on se trouve à la tête d’un cabinet généraliste de 23 associés et collaborateurs centré sur le droit des sociétés et assumant en ce domaine une politique d’honoraires élevés. Voilà bien un avocat à l’américaine. Il fait sienne la formule de Bernanos qui veut qu’on puisse « renverser l’opinion comme un mécanicien de locomotive renverse la vapeur ».

« Les médias sont indispensables, assume ce professionnel expérimenté. Grâce à eux, les gens sont venus en nombre aux procès Barbie ou Papon et les faits se sont imposés. » « Mais l’avocat doit se servir de la presse pour son client. Et non pour lui », ajoute-t-il feignant d’ignorer le reproche qui lui est régulièrement adressé : rechercher autant la lumière que la vérité.

« Il a rêvé d’être un Dupond-Moretti »

Depuis cinq ans, Me Jakubowicz a comme associé un ex-magistrat du parquet devenu avocat, Alexandre Plantevin. Car le pénaliste a depuis longtemps l’ambition de se frotter aux défenses impossibles, comme l’« ogre » des prétoires et des plateaux télé : Éric Dupond-Moretti. « Oui, il a rêvé d’être un Dupond-Moretti, confirme Me Soulier. Tous deux sont à ranger dans la catégorie des combattants. Mais après ses colères, Dupond effectue un retour maîtrisé à la placidité, comme ces gros chats qui ronronnent après avoir balancé leur coup de patte. Chez Jaku, le poil se dresse tout de suite. »

Il est vrai que le tempérament du bad guy aux costumes cintrés jure avec cette tempérance à la lyonnaise, rondeur élevée au rang de beaux-arts que l’on retrouve du saucisson brioché aux plaidoiries d’avocats, en passant par les cambrures de la Saône. Jakubowicz est angles. Physiquement, professionnellement, philosophiquement.

Le militant Serge Klarsfeld se souvient de sa rencontre avec ce trentenaire « plein d’énergie » lors du procès du SS Klaus Barbie en 1987. Les divergences sont venues en 1998, avec celui de Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture de Gironde sous Vichy. Les Klarsfeld suggèrent une peine prenant en compte la hiérarchie des responsabilités quand Alain Jakubowicz requiert la perpétuité. Raide comme la justice.

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Lyon, 26 juin 1987. Alain Jakubowicz et Roland Dumas, lors du procès du SS Klaus Barbie. Les deux avocats y défendent les parties civiles, des déportés juifs pendant la guerre et leurs familles./AFP

 

Pour Jaku, entrer au barreau consistait à accomplir les rêves d’un père, Max, empêché de le faire par la guerre. En 1933, le grand-père, tailleur juif ayant fui la Pologne, s’était installé à Villeurbanne. Son fils Max réussit ensuite dans la confection grâce à un tissu révolutionnaire pour fuseaux de ski, offrant du même coup à la famille une aisance bourgeoise.

Au lycée Pierre-Brossolette de Villeurbanne d’où, adolescent, il suit avec intérêt mai 1968, Alain excelle surtout dans les buts de handball en tant que goal (en défense déjà). À cinquante ans de distance, l’un de ses potes de 4e garde le souvenir de ce « poil de carotte, déconneur et volubile », sorte de Cohn-Bendit version slim, qui fait se retourner les filles et se gondoler les garçons. « Ensemble, nous avions monté une boîte de nuit que nous avions baptisée la Griffe, poursuit-il. Une cabane dans un terrain vague ! »

« Sa plus grande qualité ? Être un avocat engagé »

La réussite a décuplé l’insatiable besoin de reconnaissance de Jakubowicz. « Si l’on m’avait dit un jour que j’entrerai en concurrence avec le beaujolais nouveau, je ne l’aurais pas cru ! » lâche le récipiendaire lors de sa remise de chevalier de la Légion d’honneur, en novembre 2006. Décoration remise par le cardinal Barbarin. En arrivant à Lyon en 2002, le primat des Gaules a aussitôt été marqué par la rencontre avec cet autre homme de robe.

« Alain représente pour moi un attachement de première heure, explique le cardinal. Il est juif sans faire mystère de sa difficulté à croire, fin observateur de la société française dont il redoute la segmentation, amoureux d’Israël évidemment mais libre et critique face à certaines positions du gouvernement hébreu. » « Sa plus grande qualité ? Être un avocat engagé », résume Me Saint-Pierre.

De 2010 à 2017, Jakubowicz a présidé la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). S’il a quitté ses fonctions en novembre, avant le terme de son troisième mandat, c’est, assure-t-il, par « usure » et non en raison de dissensions internes sur les orientations stratégiques. Il aura en tout cas profondément transformé cette institution, (re) mettant sur un pied d’égalité antiracisme et lutte contre l’antisémitisme.

Un mondain en peau de phoque

Ses qualités de débatteur et ses « capacités de travail ministérielles » dixit un ancien collaborateur à la Licra ont laissé penser qu’il aurait un avenir politique national lorsqu’il a rejoint Michel Noir, en tant qu’adjoint chargé des droits à la mairie de Lyon entre 1989 et 1995. Noir ou la tendance sociale du RPR [ancêtre de LR], opposée aux alliances avec le Front national.

« Je voulais dans mon équipe un esprit critique tel que le sien, explique l’ancien maire de Lyon. Il a sa propre méthode de raisonnement : le doute méthodologique cher à Descartes. » Mais en douchant l’ambition de Michel Noir, les affaires judiciaires ont aussi contrarié le destin de cet adjoint atypique. Qu’importe : ce dernier se définit toujours comme « Noiriste », ce qui ne vaut pas passeport en politique.

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Lyon, 15 octobre 2003. Proche de Michel Noir, ancien maire (RPR) de Lyon dont il a été l’adjoint aux droits, Jakubowicz le défend lors du procès dit des comptes suisses./PHOTOPQR/Le Progrès/Joël Philippon

 

Cette fidélité désintéressée, Me David Metaxas peut aussi en témoigner. Un temps poursuivi dans l’affaire du commissaire Neyret, ce jeune et bouillant avocat a débuté sa carrière chez Jakubowicz. À la sortie du palais de justice, après sa mise en examen, il voit débarquer son ex-patron : « Il est venu me prodiguer des conseils. Dans un sourire, il a glissé : En même temps, je ne suis pas votre avocat… J’ai dit : Ben… si. Il est devenu mon confident de fin soirée : je lui envoyais des textos à 3 heures du mat. Je sais que ça le rendait fou et pourtant il ne m’en a jamais fait le reproche. » Metaxas a été relaxé.

Ainsi va Jakubowicz qui semble rouler pour lui-même mais n’en oublie jamais les autres. Mondain jusqu’au bout des ongles, urbain jusqu’à la pédale d’accélération de sa Jaguar de collection, il met pourtant un point d’honneur à fausser compagnie aux idées reçues pour remonter seul en peaux de phoque les pentes de Megève, où il possède un chalet. Il randonne hors-pistes, loin et à contre-courant. Snobisme des choses simples. Jaku passera-t-il le dernier col, celui qui le sépare des très grands pénalistes ? N’imaginez pas qu’il sacrifiera son tempérament pour cela. Il vient de se remettre à la boxe.

BIO EXPRESS

  • 2 mai 1953. Il naît à Villeurbanne (Rhône) dans une famille juive. Le père est d’origine polonaise, la mère d’origine autrichienne.
  • 1976. Il prête serment, devenant avocat après ses études de droit à l’université Lyon III.
  • 1977. Il se marie avec Gabrielle. Le couple a trois enfants.
  • 1987. Avocat du Consistoire israélite de France, il est remarqué lors du procès Barbie, un SS surnommé le boucher de Lyon, condamné à perpétuité pour crime contre l’humanité.
  • 1989-1995. Alain Jakubowicz est adjoint aux droits dans l’équipe municipale de Michel Noir, maire (RPR) de Lyon.
  • 2005. Il défend les familles des victimes au procès de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc.
  • 2010-2017. Il est président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).
  • 2017. Me Jakubowicz défend Nordahl Lelandais, accusé d’avoir enlevé et assassiné la petite Maëlys, dans l’Isère, et tué le caporal Noyer, en Savoie.
  • Faits divers|Éric Pelletier|29 avril 2018, 8h04|
  • leparisien.fr

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Macroyme-Crimeur-Contre-l'Humanité

Chaque avocat français rêve de « sa propre affaire Grégory » qui ferait bien sur son CV.

Georges

Si proche de nos ennemis

rachel

…qu’il a fini… Je fais des fautes grotesques avec l’âge.

rachel

Il a été immonde et monstrueux le jour de la découverte du corps de la petite Maëlys en se mettant devant les caméras pour dire que l’étron qu’il défendait avait pleuré. La quasi-totalité des français et des mères n’avaient rien à foutre des larmes de crocodiles de son diabolique client; par contre, nous étions infiniment tristes de savoir que cette petite fille avait été assassinée, probablement violée et jetée dans un fossé comme un animal et que, c’est lorsque ce monstre a été acculé qu’il a finit par avouer où se trouvait le corps de la petite victime.
Combien cette pourriture a tué de personnes? Deux, c’est certain à présent mais sûrement 4, 6, 10…

C’est une erreur de croire que tous les tueurs en série ne visent qu’un seul type de victimes, s’il est vrai que plus des deux tiers d’entre eux ciblent un type de personnes, pour le tiers restant, ce n’est pas le cas mais seulement, les séries télévisées, pour faire de l’audience, ne traitent que des premiers et des journalistes ignorants de tout (et pas que dans ce domaine, j’ai été infirmière et j’ai pu comptabiliser les âneries dites par les journalistes dans le domaine de la santé pendant presque quarante ans) répètent comme des abrutis et encore plus depuis l’apparition des stations et chaînes d’infos continues.

De cet avocat, je dirai ce que Maître Leclerc avait dit à propos de Maître Vergès : « Maître Vergès, l’avocat qui a l’air plus trouble que ses clients. »
Tous ces gauchistes sont comme les Indochinois et les Vietnamiens qui entraient dans les camps vietminh et vietcong dans les années 50 et 60 : ils y entraient bouddhistes, taoïstes, chrétiens, riches, pauvres, voleurs, matricides, infanticides et ils en sortaient tous communistes. Les gauchistes sont passés maîtres en endoctrinement et en lavage de cerveau depuis un siècle.

Paul

C’est cette ordure (je pèse mes mots) qui a porté plainte aux côtés d’autres ordures contre l’historien Georges Bensoussan?

alexandra

Encore un qui n’en finit pas de se ridiculiser en se faisant l’avocat de vrais salopards …

amsallem

D’accord avec vous Rony , pas sympathique .

Rony d'Alger

Il faut noter, qu’en tant que président de la licra, il n’avait pas hésité à se placer aux côtés d’organisations d’extrême gauche, et même islamistes, pour se porter partie civile avec le ccif (comité contre l’islamophobie en france) qui avait porté plainte contre Georges Bensoussan , sous prétexte de » racisme anti-musulman « . Il s’est déconsidéré dans cette affaire et a fait preuve d’un dogmatisme, et d’un cynisme, insupportables. Manifestement les Juifs doivent se garder de tels personnages, éminemment dangereux.