Les dirigeants basés en Iran sont devenus les plus importants dans le réseau mondial d’al-Qaïda

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Saif al-Adel (à gauche) et Abdullah Ahmed Abdullah (au centre) aident à gérer le réseau mondial d’al-Qaïda depuis l’Iran. Abu Khayr al Masri (à droite) a été tué en Syrie en 2017.
 

Un rapport de l’ONU récemment publié contient des détails intrigants concernant le différend entre Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) et les hauts dirigeants d’Al-Qaïda, y compris le rôle joué par deux combattants chevronnés vivant en Iran.

Le récit contenu dans ce rapport est centré sur quatre dirigeants d’Al-Qaïda qui ont été détenus à l’intérieur de l’Iran, mais qui auraient été libérés dans le cadre d’un échange d’otages en 2015. Deux des quatre leaders – Abu Khayr al-Masri et Abu al-Qassam (alias Khalid al Aruri) – se sont rendus en Syrie, où ils ont été directement impliqués dans l’évolution controversée du Front Al-Nusrah vers sa mutation actuelle en HTS.

Les deux autres, Saif al-Adel et Abdullah Ahmed Abdullah (alias Abu Muhammad Al-Masri), ont continué d’opérer en Iran. En Iran, le duo a été invité à se prononcer sur la décision d’Al Nusrah Front de se « dissocier » d’Al-Qaïda en juillet 2016. Adel et Abdullah ont rejeté cette rupture. Et selon le nouveau rapport des Nations Unies, ils ont entrepris de saboter la stature d’Al Nusrah et du dirigeant de HTS : Abu Mohammed al-Jawlani.

En effet, selon l’ONU, Adel et Abdullah jouent des rôles cruciaux – en aidant Ayman al-Zawahiri à gérer le réseau mondial d’al-Qaïda.

Citant des informations reçues des «États membres», l’ONU dit que Zawahiri, «en partie par l’intermédiaire de hauts responsables al-Qaïda basés en République islamique d’Iran, a pu influencer la situation dans le nord-ouest de la République arabe syrienne. « 

Ces dirigeants d’Al-Qaïda comprennent Adel et Abdullah, tous deux recherchés depuis longtemps par le gouvernement américain. Le 8 août, le département d’État a augmenté les récompenses offertes pour les deux hommes, de 5 à 10 millions de dollars chaque tête. (Voir le graphique à droite.),

« Les dirigeants d’Al-Qaïda en République islamique d’Iran sont devenus plus importants, travaillant avec » Zawahiri et « projetant son autorité plus efficacement qu’il ne le pouvait par lui-même auparavant », selon l’ONU.

Plus précisément, ces dirigeants basés en Iran ont « influencé les événements en République arabe syrienne, en contrant l’autorité d’Abu Mohammed al-Jawlani … et en provoquant des formations, des ruptures et des fusions de divers groupes d’Al-Qaeda à Idlib ».

Abu Mohammed al Jawlani (ou Abu Muhammad al Julani) était le chef du Front Al Nusrah, qui était la branche officielle et ouvertement fidèle à Al Qaeda jusqu’en juillet 2016. Ce mois-là, Jawlani a annoncé qu’Al Nusrah était rebaptisé Jabhat. Fath al-Sham (JFS) et n’aurait aucun lien avec des entités « externes », c’est-à-dire étrangères. Cette formulation ambiguë était censée suggérer une rupture avec la haute direction d’Al-Qaïda, bien qu’un porte-parole de HTS soutienne plus tard que ce n’était pas l’intention – du moins, pas à l’époque. Quelques mois plus tard, en janvier 2017, JFS a fusionné avec plusieurs autres groupes pour former HTS, une organisation apparemment indépendante.

Abu Khayr al-Masri, alors l’un des plus hauts adjoints de Zawahiri, a explicitement approuvé le changement de sigle d’Al Nusrah en juillet 2016. Mais il a été tué par un drone américain à Idlib en février 2017 et sa mort a peut-être contribué aux querelles de leadership qui ont suivi.

En dépit de l’approbation initiale d’Abu Khayr, le repositionnement de Jawlani est devenu sujet à vives controverses au sein des cercles djihadistes. L’un des hommes qui s’opposait à la relance d’Al Nusrah était Abu Al-Qassam (alias Khalid al Aruri), un ancien adjoint du fondateur d’Al-Qaïda en Irak (Abu Musab Al Zarqawi).

C’est là que Saif al-Adel et Abdullah (alias Abu Muhammad Al-Masri) sont entrés en jeu. À un certain moment, l’affaire a été renvoyée à l’appréciation de ce tendem résidant en Iran. Ils ont rejeté la prétendue dissociation d’Al Nusrah d’avec Al-Qaïda.

L’un des défenseurs de Jawlani, un responsable de HTS connu sous le nom d’Abu Abdullah al-Shami, a affirmé qu’Adel et Abdullah n’avaient pas le pouvoir de renverser l’autorité de Jawlani et ses camarades parce qu’ils vivaient « dans un État ennemi (Iran chiite) ». En d’autres termes, les deux dirigeants d’Al-Qaïda seraient détenus en Iran (ou sous l’influence des Mollahs) et, par conséquent, ne pourraient pas examiner la question librement.

Mais Abu al-Qassam a rapidement rejeté l’argument d’Abu Abdullah al-Shami, expliquant que Saif al-Adel et Abdullah « ont quitté la prison et qu’ils ne sont pas emprisonnés. » Il est interdit aux deux responsables d’Al-Qaïda de voyager ». a écrit Qassam, mais » ils se déplacent et vivent leur vie naturelle, sauf qu’ils ne peuvent pas voyager « .

Autrement dit, selon Abu al-Qassam, Saif al-Adel et Abdullah étaient libres de prendre des décisions importantes au nom de l’équipe de direction d’al-Qaïda, même en vivant en Iran (faisant donc abstraction des éventuelles pressions qu’ils peuvent subir de la part du régime chiite).

Le rapport de l’ONU , daté du 27 juillet 2018, confirme le témoignage d’Abu al-Qassam.

Citant des renseignements émanant des « États membres », l’ONU affirme que Zawahiri s’est appuyé sur Adel et Abdullah « pour exercer une influence sur la situation dans le nord-ouest de la République arabe syrienne ».

Tout comme l’ONU le signale, un certain nombre de groupes djihadistes «dissidents» ont été formés depuis la fin de l’année dernière, lorsque la controverse sur l’orientation d’HTS a éclaté. L’ONU présente cette évolution comme une partie délibérée de la décision de la direction d’Al Qaeda basée en Iran, poussant ces groupes à la dissension d’avec HTS.

Le rapport de l’ONU souligne également le rôle joué par les dissidents en Syrie, en particulier le Dr Sami al-Uraydi et Iyad Nazmi Salih Khalil (également connu sous le nom d’Iyad al Tubasi et Abu Julaybib). Al-Uraydi et Khalil ont été emprisonnés brièvement par HTS l’année dernière. Cela n’a fait qu’aggraver les querelles concernant le leadership de Jawlani, mais cela a également mené à une initiative de réconciliation impliquant des djihadistes vétérans, qui ont négocié la liberté du duo.

L’ONU souligne la formation d’Ansar al-Din et de Hilf Nusrat al-Islam comme exemples de groupes djihadistes opérant actuellement hors du contrôle de Jawlani. Le Long War Journal de FDD mettra en ligne une analyse à propos d’Ansar al-Din, qui était l’un des groupes constitutifs originaux de HTS. Ansar al-Din a rompu avec HTS en février, reprenant ses activités sous sa propre direction et son propre sigle, telles qu’ils existaient avant la formation de HTS.

Hilf Nusrat al-Islam a été formé lorsque deux autres groupes, l’organisation  » Guardians of Religion  » et Ansar al-Tawhid ont fusionné, en début de cette année. Les «Gardiens de la religion», qui seraient dirigés par un autre ancien combattant d’Al-Qaïda, Abu Hammam al-Shami, incluent des factions combattantes qui faisaient partie du HTS avant de s’en retirer.

HTS est toujours en « contact » avec les dirigeants d’Al-Qaïda

En dépit des divergences de vues sur la formation de HTS et la direction d’Abu Mohammed al-Jawlani, l’ONU affirme que « les États membres estiment que HTS et ses composantes sont toujours en contact avec les dirigeants d’Al-Qaïda« .

Abu Muhammad al Julani, le chef de Hay’at Tahrir al Sham.

L’ONU a également ajouté cette observation: « Selon un État membre, HTS s’est récemment emparé des territoires d’Ahrar Al-Sham … et d’autres groupes armés après avoir été renforcé par l’arrivée d’experts militaires et d’explosifs d’Al-Qaïda en Afghanistan. » Ahrar al-Sham est un autre groupe en Syrie dans lequel des anciens combattants d’Al-Qaïda ont été intégrés par le passé.)

Si ce rapport est exact, alors Al-Qaïda a continué de soutenir les opérations de HTS contre d’autres groupes, tout en critiquant sa nouvelle orientation.

En mai, le Département d’État des États-Unis a modifié sa désignation comme terroriste pour Al Nusrah Front pour inclure HTS comme «alias» du groupe. L’Etat continue à décrire Al Nusrah « en tant que filiale d’ Al – Qaïda » et a averti que personne ne devrait se laisser berner par sa « tentative de se rebaptiser. » L’ONU lui a emboîté le pas en Juin, modifiant sa propre désignation en tant que terroriste pour le projet de Jawlani et décrivant également HTS comme une « filiale » d’Al-Qaïda.

Dans son nouveau rapport, l’ONU continue de faire référence à Al Nusrah et à HTS, soulignant la modification de sa désignation du terrorisme et affirmant qu’Al Nusrah « est considéré comme restant la force de contrôle » (d’Al Qaïda) au sein du HTS. Jawlani est décrit comme le leader d’Al Nusrah et du HTS. « Certains Etats membres de la région considèrent » Al-Nosra comme une menace comparable à celle de l’Etat islamique, les deux constituant une menace pour la communauté internationale « , prévient l’ONU.

Malgré cela, les différends concernant la création de HTS ont été réels.

L’ONU écrit que Zawahiri a « manifesté » son « mécontentement à l’égard de certains aspects du leadership d’Al-Jawlani, en particulier sa priorité mise sur la gouvernance et la détention de territoires (à l’identique de l’Etat Islamique) par rapport au terrorisme international ».

En fait, Zawahiri a fait connaître ses objections de façon répétée, conseillant aux djihadistes en Syrie d’éviter tout programme «nationaliste» , les avertissant qu’ils ne pouvaient pas tromper l’Amérique et précisant qu’il n’avait autorisé personne en Syrie à abroger leur serment d’allégeance envers lui. Ces arguments visaient certainement le HTS de Jawlani.

Pourtant, Zawahiri n’a pas renié Jawlani – du moins pas publiquement. Et en dépit des défections approuvées par Al-Qaïda, les États membres de l’ONU pensent que HTS « continuera de marcher » avec les « principaux autres groupes d’opposition » d’Al-Qaïda qui continuent à opérer « dans la région ».

Le régime de Bachar al-Assad et ses alliés pourraient lancer une offensive à Idlib dans un avenir proche. Si tel est le cas, les États membres des Nations Unies pensent que les djihadistes, les islamistes et les autres rebelles seront prêts à se battre. « Tous les groupes doivent prendre position et combattre toutes les forces syriennes et internationales qui tentent de les déloger », écrit l’ONU.

C’est pour cette raison que Zawahiri et d’autres acteurs d’Al-Qaïda ont continuellement prêché « l’unité  » au sein de la rébellion. Une insurrection fracturée a peu de chance de résister à une opération à grande échelle menée par les fidèles de Bachar Al-Assad, ainsi que leurs alliés russes et iraniens.

Note: L’orthographe de certains mots et noms, y compris al-Qaïda, a été modifiée pour les rendre cohérents.

PAR  | 14 août 2018 | tjoscelyn@gmail.com | @ thomasjoscelyn

Thomas Joscelyn est Chercheur Principal à la Fondation pour la défense des démocraties et rédacteur en chef du Long War Journal de FDD.

Adaptation : Marc Brzustowski

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Hugenot17

Quel Scoop; La Lybie étant out, L’implantation au Mali fini, la Turquie infiltrée comme l’Afghanistan et le Pakistan. Qu’est ce qui reste ?