Didier Billion est lobbyiste en relations internationales. Il est directeur des publications de l’IRIS et rédacteur en chef de ‘La revue internationale et stratégique’. Certifié d’histoire et de géographie, docteur en sciences politiques,Spécialiste de la Turquie, sans être turcophone, Didier Billion est l’auteur de nombreuses études et notes de consultance pour des institutions françaises (ministère de la Défense, ministère des Affaires étrangères) ainsi que pour des entreprises françaises agissant au Moyen-Orient. Il explique pourquoi les occidentaux ne peuvent pas intervenir en Syrie.Romaindu26 : On sait que le Hezbollah libanais et l’Iran soutiennent le régime syrien ; en cas d’intervention occidentale, n’y a-t-il pas un risque de voir toute la région s’embraser ?

Didier Billion : Tout à fait, c’est d’ailleurs un des paramètres les plus importants pour comprendre les hésitations des grandes puissances, vu l’évolution de la situation en Syrie. Les inquiétudes aussi de ces puissances, car la mise en œuvre de sanctions à l’encontre de la Syrie, voire d’une intervention militaire contre elle, aurait des effets dévastateurs pour toute la région. C’est pourquoi les grandes puissances font preuve d’une très grande prudence quant à la condamnation, et surtout quant à la mise en œuvre de sanctions contre la Syrie, car celle-ci, d’un point de vue géostratégique, a une importance centrale pour toute la région.

Daniele Grassi : Que pensez-vous de l’attitude des Etats-Unis face à la crise syrienne ? Quelle est l’influence d’Israël sur cette position ?

Didier Billion : Les Etats-Unis, pour les raisons que nous venons d’évoquer, sont très gênés. Le président Obama a déclaré il y a quarante-huit heures que l’attitude du régime syrien était intolérable, c’est le terme qu’il a utilisé. Mais au-delà de cette déclaration de principe, pour l’instant, les Etats-Unis, et le président Obama lui-même, n’ont pas été plus loin.

Une des raisons qui permettent de comprendre cette attitude frileuse de la part des Etats-Unis, c’est bien sûr la question israélienne. Car comme nous le disions précédemment, des sanctions ou des condamnations plus sévères de la Syrie pourraient entraîner des réactions de la part des alliés de la Syrie, et ces alliés sont très anti-israéliens. Donc, dans le raisonnement des Etats-Unis, il y a la volonté de protéger Israël. N’oublions jamais qu’un des paramètres essentiels de la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient, c’est toujours la protection de l’Etat d’Israël, et nous en avons une nouvelle preuve.

Quant à la question d’Israël lui-même, c’est assez compliqué. D’un côté, Israël voit la Syrie comme un opposant de toujours. Rappelons que la Syrie n’a évidemment jamais signé de traité de paix avec Israël. Rappelons qu’une partie du territoire syrien, le plateau du Golan, a été occupée par les Israéliens en 1967, et surtout, a été annexée par Israël en 1981. Donc une partie du territoire syrien est annexée par les Israéliens. Pour ces deux raisons au moins, la Syrie est toujours apparue comme réticente à des solutions de compromis avec Israël. Donc la Syrie a toujours incarné la résistance vis-à-vis du projet israélien.

Pour ces raisons, il est évident que l’Etat d’Israël n’a pas un grand amour pour le régime syrien. Mais en même temps, les Israéliens considèrent que malgré toutes ces oppositions qui existent vis-à-vis de ce régime syrien, il est aussi un facteur de stabilité. Je vais le dire autrement : les Israéliens préfèrent un régime de dictature, comme celui incarné par Bachar Al-Assad, plutôt qu’une situation de chaos où plus personne ne contrôlerait plus rien, et qui pourrait laisser la porte ouverte à toutes les aventures.

Romaindu26 : Compte tenu de la dispersion géographique des poches de résistance, est-il possible d’intervenir aujourd’hui ? Les pays occidentaux ont-ils des contacts réguliers avec les rebelles sur place et pas uniquement avec la diaspora syrienne ?

Didier Billion : Tout d’abord, il n’y a pas de poche de résistance à proprement parler, ni de rebelles au sens où on peut l’entendre en Libye, par exemple. Nous n’en sommes pas encore à une situation de guerre civile ni de guerre tout court. Cela peut changer très rapidement, bien sûr. Nous sommes dans une séquence politique de répression brutale, dure, meurtrière, mais pas de guerre. Donc il ne faut pas encore parler de poche de résistance ou de zone rebelle. Ce ne sont pas les termes appropriés.

D’autre part, les premières manifestations, il y a près de quarante jours maintenant, se sont cristallisées dans le sud de la Syrie, autour de Deraa. Un des enjeux pour le pouvoir syrien, au début de ces mouvements de contestation, c’était d’essayer que le mouvement ne s’étende pas à travers tout le pays. Donc de circonscrire la contestation dans le Sud. Il a échoué, car désormais le mouvement de contestation touche toutes les régions de la Syrie et toutes les grandes villes.

Troisième élément : sur les contacts. Je ne crois pas que les puissances occidentales aient beaucoup de contacts parmi les contestataires du régime syrien qui se trouvent en Syrie. La question est juste, car si contact il y a, c’est plutôt avec des exilés, avec des opposants qui ne vivent plus en Syrie. Pour certains d’entre eux, depuis de nombreuses années. Qui n’ont donc plus eux-mêmes beaucoup de contacts structurés avec des opposants de l’intérieur.

En revanche – et c’est très important –, il y a les puissances régionales, des Etats de la région, qui ont des contacts avec une partie de ceux qui contestent le régime. Nous avons une série d’informations qui nous font penser que par exemple des extrémistes sunnites, des salafistes, sont assez actifs dans le mouvement de contestation actuel. Or, visiblement, ces salafistes sont au moins aidés par des pays comme l’Arabie saoudite, voire par certaines familles politiques libanaises. Cela signifie que, pour ce qui concerne le régime saoudien, et pour certaines familles politiques libanaises, il y a des contacts avec des opposants de l’intérieur. Donc quand je dis cela, évidemment, je n’ai pas du tout une vision complotiste de la situation. Je pense que les dizaines de milliers de Syriens qui descendent dans la rue, c’est pour acquérir leur liberté, c’est pour gagner le droit d’exercer les droits démocratiques. Il n’empêche que certains ont des intentions probablement moins louables et mettent de l’huile sur le feu, essaient de radicaliser le mouvement. Ceux-là, probablement, n’agissent pas de façon indépendante, mais en liaison avec certains Etats ou familles politiques dans la région qui ont intérêt à voir le régime syrien chuter.

Daros : L’Iran joue-t-il un rôle dans la répression actuelle ?

Didier Billion : Non. Nous avons eu cette information. Il est évident que l’Iran soutient le régime dirigé par Bachar Al-Assad. Je ne crois pas un instant, à ce stade, que l’Iran ait envoyé une aide logistique, voire humaine, pour organiser la répression. Je crois que malheureusement le régime syrien est parfaitement capable d’organiser la répression par lui-même. Mais ce qui est clair, c’est qu’il y a un soutien politique de la part du régime iranien au régime syrien, pour une série de raisons, la principale, que nous évoquions, étant une alliance stratégique qui existe entre l’Iran et la Syrie.

Et n’oublions jamais que cette alliance existe depuis maintenant une trentaine d’années. Ce n’est pas récent. Elle s’est amplifiée au cours des ans, et ne s’est jamais démentie. Je le répète : c’est une des raisons pour lesquelles la communauté internationale est un peu ennuyée, gênée. Car la France, les Etats-Unis principalement s’étaient fixé comme objectif de casser cette alliance stratégique entre Damas et Téhéran. Aujourd’hui, ils ne savent plus quoi faire : faut-il continuer sur la même ligne en fermant les yeux sur la répression ? Ou faut-il condamner celle-ci de façon plus nette qu’aujourd’hui ? Mais dans ce cas, on pousse les Syriens encore un peu plus dans les bras des Iraniens.

Arturo : La révolte et le gouvernement en Syrie sont-ils de nature différente de ceux de la Tunisie et des autres pays arabes ?

Didier Billion : Excellente question. Les raisons objectives qui nourrissent la révolte actuelle sont les mêmes qu’en Tunisie, en Egypte, en Libye, à Bahreïn, au Yémen, etc. Il y a deux types de raisons : des raisons sociales. Une meilleure justice sociale, un meilleur niveau de vie, cesser avec la corruption, endiguer le chômage, ce sont les aspects sociaux. Et on les retrouve dans les autres pays. Et il y a le niveau politique : revendication des droits démocratiques, liberté d’expression, liberté d’organisation, liberté de la presse, etc. On retrouve aussi ces ingrédients dans les autres pays où il y a des mouvements de contestation. Ce sont les points communs.

Mais je ne pense pas qu’on puisse considérer que la situation tunisienne ou égyptienne soit transposable ailleurs, et donc en Syrie, parce que chaque Etat, au Moyen-Orient, a ses propres spécificités, a sa propre histoire. Dans chaque pays, les rapports de forces entre la société et le pouvoir, entre la société et l’armée, entre la société et les services de renseignement, sont différents. Et en ce sens, on ne peut pas considérer que toutes les situations sont identiques. C’est d’ailleurs pour cette raison que tous ceux ou toutes celles qui, il y a deux mois, nous parlaient d’effet-dominos dans la région, c’est-à-dire qu’après le départ de Ben Ali, puis le départ de Moubarak, certains s’étaient illusionnés sur le fait que les uns après les autres, les régimes dictatoriaux et corrompus allaient tomber.

Pour ma part, je n’ai jamais été séduit par cette thèse. Et nous en avons tragiquement la preuve en Libye, à Bahreïn et en Syrie. Donc ce que l’on peut dire, c’est qu’il y a une très profonde onde de choc dans toute la région, pour les raisons sociales et politiques que nous avons évoquées, mais qu’il serait complètement illusoire de considérer que les régimes vont tomber les uns après les autres. On ne peut donc pas transposer les situations tunisienne et égyptienne aux autres pays. D’ailleurs, la situation tunisienne n’est elle-même pas réductible à la situation égyptienne.

Romaindu26 : La Turquie ne pourrait-elle pas se montrer plus exigeante qu’elle l’a été jusqu’alors avec le régime d’Al-Assad ? Si elle parvenait à convaincre le régime de mettre fin à la répression, ne serait-ce pas un coup de force de sa part et un formidable atout en vue d’intégrer l’UE ?

Didier Billion : La Turquie est peut-être encore plus gênée ces derniers jours que les grandes puissances occidentales, car la Turquie est le pays de la région, à part l’Iran, qui a le plus développé les relations politiques, commerciales, économiques avec la Syrie. C’est tout à fait spectaculaire. Et le premier ministre turc Erdogan avait les meilleures relations possibles avec Bachar Al-Assad.

En même temps, la Turquie ne peut éviter de critiquer la répression telle qu’elle s’est développée ces derniers jours en Syrie. Donc la Turquie se trouve dans une position inconfortable, c’est le moins qu’on puisse dire. La Turquie n’aime pas que l’instabilité s’installe à ses frontières. Et en même temps, le statu quo tel qu’il existe depuis plusieurs années n’est plus tout à fait possible. Donc la Turquie n’est pas aujourd’hui dans la situation où elle puisse agir positivement pour tenter de faire baisser la répression en Syrie.

Nous savons que le président Obama a demandé à la Turquie d’essayer d’infléchir la politique de répression syrienne. Pour l’instant, la Turquie n’y est pas parvenue, parce qu’il faut bien comprendre que le régime syrien joue sa survie et qu’il a choisi la voie de la répression la plus brutale. En ce sens, les demandes de la part de la Turquie ne sont que de peu de poids. Et c’est bien là, à ce stade – car les choses peuvent évoluer –, que la Turquie ne peut pas être très efficace dans cet essai de faire baisser le niveau de la répression en Syrie. Si, dans les semaines à venir, elle parvenait à faire baisser la tension, alors, évidemment, ce serait une preuve supplémentaire de son importance essentielle pour les équilibres au Moyen-Orient ; et si les Européens étaient intelligents, alors ils devraient prendre en compte cette donnée et considérer que la perspective de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne serait plus un avantage qu’un inconvénient. Est-ce que les dirigeants européens seront assez intelligents pour le comprendre ? Je le souhaite, mais je n’en suis pas sûr.

Paul : Pourquoi la France n’a-t-elle rien dit au moment du massacre de Hama en 1982 (répression du pouvoir syrien d’Hafez Al-Assad contre les insurgés de la ville de Hama en février 1982, une insurrection soutenue par les Frères musulmans) ? Peut-il en être de même aujourd’hui, après que Sarkozy a invité en grande pompe Bachar Al-Assad sur les Champs-Elysées en 2008 ?

Didier Billion : Sur la répression de Hama en 1982, la France n’a pas dit grand-chose parce que la répression s’est abattue brutalement – vingt mille morts – contre les Frères musulmans. Or la France considérait qu’il valait mieux fermer les yeux sur le massacre plutôt que de soutenir les Frères musulmans. Quant à la réception en grande pompe de Bachar Al-Assad en 2008, ce n’est pas un obstacle à ce que la France et M. Sarkozy en l’occurrence puissent modifier radicalement sa position. Il l’a fait avec Kadhafi, qu’il avait reçu tout autant en grande pompe. Il n’empêche que la guerre aujourd’hui en Libye est principalement menée par la France. Donc M. Sarkozy peut faire d’autres volte-face. Mais je crois qu’il ne le fera pas à propos de la Syrie. Cela renvoie à la première question posée, et ainsi la boucle est bouclée.

Chat modéré par Alexandre Pouchard.
Le Monde.fr

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Forumeurcom

Retour sur cet article étonnant pour constater (rare !) que tous les commentaires convergent sur l’étonnement par rapport aux affirmations de Didier Billion présenté comme un « lobbyiste en relations internationales », et inconnu de tous.

Comment se fait il que cet article puisse paraitre sur JForum sans un commentaire, sans une explication de la direction ? Est-ce que l’on peut y publier n’importe quoi ?

Encore une fois, très très étonnant..

Armand Maruani

Vraiment un « grand analyste » ce Monsieur. Il présente la Syrie comme une victime , que le Golan est occupé etc…Mais qui a provoqué la guerre des 6 jours en donnant de fausses informations à Nasser? N’est ce pas la Syrie avec les accusations mensongères des russes? Qui arme le hezbollah et le hamas? Qui met de l’huile sur le feu au Liban pour agresser Israël. Ce monsieur appelle ce pays , un pays stable qui , avec l’aide de l’Iran est en train de déstabiliser la planète. Drôle d’analyste ce monsieur dont je n’ai jamais entendu son nom.Quant à son analyse sur la Turquie , on est en plein phantasme.La Turquie veut prendre le leadership du moyen orient; elle s’en fout de la Syrie et de l’Iran. Elle les utilise pour mieux les poignarder dans le dos plus tard . C’est la spécialité turque. Ne l’a t on pas vu avec Israêl ? Je trouve cet analyste non seulement pro arabe , mais naïf.

Forumeurcom

Selon cet article, la raison pour laquelle les USA ne dénoncent pas activement la répression en Syrie serait que les USA (Obama donc) veulent protéger Israël. L’article insiste en répétant que cette protection serait une constante de la politique US.

Cet argumentaire me semble peu convaincant quand on connait l’état pour le moins très tendu des relations personnelles entre Obama et Netanyahou d’une part, et d’autre part, l’évidente inflexion pro-arabe (et anti israël) de la politique d’Obama, il n’y a qu’à se rappeler le discours d’Obama au Caire. Cette assertion resseble plus à une affirmation gratuite qu’à une démonstration bien étayée. C’est d’autant plus étonnant que l’auteur est présenté comme un spécialiste. Très très étonnant, et pas du tout convaincant.

oury

Pourquoi interrogez-vous un « lobbyiste » en relations internationales, de toute évidence dévoué « corps et âme » aux intérêts de la Turquie ? L’entrée de celle-ci dans l’Union européenne serait une catastrophe à la fois pour l’Europe, qui serait submergée par d’innombrable islamistes, et pour Israël, car la Turquie entraînerait l’Europe à encore plus de haine anti israélienne; Aussi une énorme insulte aux Arméniens, aux Kurdes, aux Chypriotes, dont la Turquie, avec le cynisme le plus complet, foule allègrement aux pieds les droits.
Par ailleurs, le raisonnement de ce Billion est complètement boîteux. Augmenter l’influence de la Turquie et de son gouvernement pervers serait augmenter encore l’influence de l’islamisme, soi disant « modéré » (quelle blague ) dans le monde arabe.
Georges