« On appelle « enfant caché » un survivant qui a, enfant, dû se cacher et dissimuler son identité afin d’échapper à l’arrestation, la déportation et l’extermination pendant la Shoah. Durant cette période, cet enfant a généralement été séparé de ses parents et du judaïsme. » Tels sont les premiers mots du livre remarquable de Nathalie Zajde, maîtresse de conférences en psychologie à Paris-VIII : Les Enfants cachés en France. Après la guerre, on négligea les souffrances psychologiques de ces jeunes, qui paraissaient peu importantes au regard de la situation des déportés. Ces enfants eux-mêmes, par humilité, pendant longtemps, gardèrent le silence sur les cauchemars récurrents, les angoisses profondes, les phobies des séparations, des halls de gare, qu’ils partageaient sans le savoir.

Aujourd’hui encore, en France, vivent près de 20 000 « enfants cachés ». Les nazis ont exterminé 1,5 million d’enfants juifs, comme l’indique l’auteur – un chiffre qu’on ne rappelle pas assez. Parmi ces enfants cachés figurent des personnalités comme Serge Klarsfeld, Boris Cyrulnik, André Glucksmann, et bien d’autres, qui eurent dans leur malheur beaucoup de chance et de courage. Cependant, nombreux sont ceux qui, après 1945, se demandaient encore : « Pourquoi ai-je survécu ? » Nathalie Zajde évoque ainsi, au fil des pages, ces histoires singulières, tout en montrant les situations récurrentes, et les conséquences psychiques qui en découlent. La méthode est simple et, l’émotion n’étant pas l’ennemie de la raison, aboutit à un livre intelligent et bouleversant.

Mais le plus troublant ne réside pas dans les pages consacrées au conflit car, comme l’explique Boris Cyrulnik, « la fin de la guerre ne fut pas la fin du problème » : après 1945, certains de ces enfants tentèrent de reconstruire leur identité juive, dans un contexte peu favorable ; d’autres furent poussés à l’assimilation, c’est-à-dire au renoncement à soi-même.

Modèle social et culturel

Emblématique, à cet égard, est la trajectoire de la philosophe Sarah Kofman. Son père, juif polonais, s’était sacrifié pour sauver sa famille. La petite fille, née en 1934, fut placée chez « Mémé », femme gaulliste, chrétienne, accueillante et banalement antisémite ; dès lors, Sarah dut s’assimiler à la culture française : « Elle voulut rompre avec son passé, sa fratrie. Elle oublia son père ; elle ne parlait plus le yiddish. » Elle devint une intellectuelle de renom, une « parfaite Française ». Mais finalement elle eut honte d’avoir eu honte. En 1994, elle publia une autobiographie, révéla son histoire… et mit fin à ses jours.

« On cherchait alors à rebâtir une société où chaque citoyen était identique au voisin, où toute distinction était douteuse », écrit Nathalie Zajde. L’identité juive de ces enfants, que les nazis voulaient détruire, n’était pas pour autant acceptée par la France d’après-guerre, dans sa logique d' »assimilation » républicaine. A travers ce livre très profond, on le comprend peu à peu, l’auteur n’évoque pas seulement la situation terrifiante de ces enfants pendant la Shoah. En des termes très délicats, Nathalie Zajde nous parle aussi de notre modèle social et culturel d’après-guerre, de notre modèle d’intégration et d’assimilation, dans sa violence euphémisée, dans sa violence banalisée.

Couverture de l’ouvrage de Nathalie Zajde, « Les Enfants cachés en France » (Odile Jacob).ODILE JACOB

Louis-Georges Tin
Article original

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SAMMELEN

Livre magnifique , touchant ,limpide et parabolique …on sent l’ âme juive de l’auteur …
un grand message pour nous tous: êtres humains …
que reste t il de l’expression de notre atavisme en fait ?
l’inné ou l’acquis et l’influence du hasard ?
La vie est sacrée …..ici l’expression d’un hymne à la vie ..
à ce esprit de résistance qui colle si bien à notre ISRAEL ..

Merci Madame pour l’espoir qu’il en ressort
et aussi pour le respect de la MEMOIRE
mémoire qui n’est le monopole de personne …

RAYMOND SAMMELEN