Drôle de phénomène que cette Marine Le Pen, qui oeuvre sans relâche à la dédiabolisation du Front national, tout en maintenant de violentes prises de position qui confirment qu’elle est bien la digne fille de son père. Question fascinante : comme est-elle perçue par la presse allemande ? Petit tour d’horizon. 

Marine Le Pen a commencé sa véritable percée dans les médias allemands au soir de sa prise de pouvoir à la tête du Front National mi-janvier 2011 à la suite de son père, Jean-Marie Le Pen.

Marine Le Pen, la digne fille de son père : des portraits presque élogieux

Les journalistes insistent sur la filiation et en dressent un tableau à gros traits de ce qui différencie la fille de son géniteur. Le Spiegel online présente ainsi, le 18 avril 2011, la nouvelle venue : « Le nouveau visage de la France des extrémistes de droite n’est pas laid, mais magnifiquement féminin (…) supposé modéré (…) la propagande haineuse et le FN ontsubi un rechapage de fond. » 

Dans le Spiegel du 4 juillet 2011 on peut lire : « Elle est mince, porte des jeans moulants et un blazer, elle a teint ses cheveux en blond… Elle a hérité des larges épaules de son père, de son visage plat, elle a 42 ans. Elle est sans équivoque la fille de Jean-Marie Le Pen. » Il est fascinant de constater qu’elle « est à la fois le portrait et le contraire de l’homme qui pendant des décennies fut le monstre de la politique française. »

La même voix puissante du père est la première chose qu’on remarque. Marine Le Pen, qui fume depuis de longues années, prend des accents rauques et guerriers. L’agressivité et la vulgarité d’une femme qui veut gravir les échelons vers le sommet de l’État traduit son ambition de rejoindre l’élite française.

Mathieu Von Rohr, dans ce même article, cite avec délectation ce qu’a écrit Christine Angot dans Libération le 24 mai précédent : « les élections sont des affaires sexuelles. Marine Le Pen plaît à 20 % d’entre nous, et en fascine 80 %. Une femme-mec, phallique, ça nous plaît. Une femme qui domine son père, qui fait de plus gros scores. »

Divorcée, mais séduisante… et séductrice : les journalistes sont sous le charme

Plusieurs journaux insistent sur son apparence physique et sa situation familiale. Dans le Zeit Online du 17 décembre, on la dénomme la blonde rugueuse, en insistant sur ses deux divorces et ses trois enfants. En revanche, l’émancipation qui commence à se faire en France a un train de retard outre-Rhin, où l’on continue  d’évoquer la succession familiale et surtout les dérapages de son père, notamment lorsqu’il minimisait l’existence des chambres à gaz à un simple « détail de l’histoire ».

Le Tagesspiegel du 16 décembre, dans un article intitulé « Madame et son démon », l’introduit comme « la fille du monstre ». Mais il est ajouté qu’elle parle différemment. Le Tagesspiegel suit Marine Le Pen à Rungis, il est environ 5 heures du matin. On l’entend s’adresser à ceux qui se lèvent tôt en leur disant que c’est pour eux qu’elle s’est déplacée, eux à qui beaucoup de promesses non tenues ont été faites.

Les journalistes sont sous le charme. Il voient Marine Le Pen dans un Rungis qu’elle maîtrise : « elle examine le homard, s’émerveille devant le thon, s’agenouille devant la lotte, rien que pour la caméra. Elle traverse les chambres froides où les demi-carcasses des bêtes sont suspendues, sans peau. Elle soupèse du regard les têtes de veau blafardes, empalées sur de grands crochets, la langue pendante. »

La magie est un instant rompue, et la candidate à la présidentielle montre durant quelques secondes un visage froid et calculateur sur ce fond de cadavres animaux vidés de leur sang. On peut imaginer le frisson parcourir les colonnes vertébrales ! Mais elle parle aux gens : « Bravo, respect… » et on lui répond par son prénom, « Marine, Marine… »

Bluffante à la télé, mais traînant pas mal de casseroles dans son sillage

Toujours dans le même journal, on est impressionné qu’elle efface si facilement ses contradicteurs à la télévision, les rendant pâlots, et de citer Libération du 15 janvier, supposé ne pas lui être favorable, ayant avoué qu’elle était « désarmante, la bientôt présidente » (du FN) !

Pourtant, un peu plus tard, quelques paragraphes plus bas, on rappelle le lourd épisode de sa mère qui s’enfuit du domicile et pose dénudée pour un magazine de charme. La fascination pour le hors-norme et de la démesure semble accompagner Marine Le Pen en Allemagne, la plaçant sous un regard accusateur.

On n’ose pas dire qu’elle dérange. Elle est tout de même la survivance d’un passé qui lui ressemble, qui a fait souffrir l’Europe. Les allemands ont choisi de faire le deuil des atrocités de la seconde guerre mondiale ; peut-on leur reprocher de ne pas avoir pu oublier totalement ?

Pendant une entrevue au journal Zeit Online, le 15 décembre, dans son bureau strasbourgeois du Parlement Européen, elle usera d’un ton amical dans un face à face « entre femmes », comme s’il y avait la moindre chance de convertir la journaliste au nationalisme.

Elle répond aux questions sur la dédiabolisation de son parti, qui effraie une grande partie de l’électorat français, et n’a pas permis à un dirigeant de cette droite radicale de devenir président. Le Spiegel du 4 juillet 2011 rappelle que « Marine Le Pen représente le rejet d’un système politique qui ne fonctionne plus. » Et d’ajouter que « Nulle part en Europe, le fossé entre gouvernants et gouvernés est aussi grand qu’en France. »

Au final, une presse allemande aussi subjuguée que méfiante
 
Pas de procès retentissant dans la presse de ces derniers jours, mais un regard aigu porté sur les prestations télévisées de Marine Le Pen, sur sa féminité et la pseudo-rupture engagée avec les idées de son père, rupture qui semble convaincre quelque peu la presse allemande que l’extrême-droite française a changé.

Néanmoins, on sent à travers cette volonté de reporter des faits en mettant de côté l’analyse en profondeur, une méfiance un peu subjuguée par tant d’aplomb et de charme. Bien sûr il est fait mention de ses prises de position sur l’islam, de la France aux français et de ses accusations à peine voilées sur la culpabilité de l’Allemagne de Merkel au sujet de la mauvaise santé de l’Europe.

Mais les pronostics réservent tout de même à Marine Le Pen une place sur le podium, pourquoi pas devant Sarkozy… Mais de là à la voir présidente, aucun ne s’y aventure.

Philippe Szykulla

Le Nouvel Observateur.com

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Marine Le Pen et le vote « juif »


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