L’âge du monde
1 : Comment expliquez-vous que nous disions dans le rituel de Roch Hachana que la
création du monde a eu lieu voici 5.770 ans, alors que la science considère que le monde
est en vérité vieux de quelque 13 milliards d’années ?
Pour la tradition juive, « le monde a été créé il y a 5770 ans ». Mais, selon le Midrash Rabba, il ne
faut pas s’y tromper : le monde a été créé le 25 Eloul, et les six jours de la création ne font pas
partie du décompte (Vayikra Rabba, section 29, concernant le verset ch.23 v.24 relatif à Rosh
Hashana). De cette manière, le premier Tishri de l’an Un a eu lieu, comme cette année 5770, un
Shabbat, au lendemain de la création d’Adam.
Du point de vue scientifique et archéologique, l’âge de l’Univers est de l’ordre de 15 milliards
d’années, mais l’apparition de la vie est très récente. Pour se faire une idée des proportions, on
peut ramener ces durées à l’échelle d’une année. Imaginons que le Big Bang ait eu lieu le 1er
janvier, et que nous soyons maintenant le 31 décembre à minuit. Alors la Terre se serait formée le
1er septembre, la vie y serait apparue vers le 1er novembre, le plus vieux bipède humanoïde (Lucie)
serait né aujourd’hui 31 décembre à 21 heures 20. Les premiers temples auraient été bâtis il y a 13
secondes, et l’âge de Bronze aurait eu lieu il y a 7,5 secondes. Quant à l’électricité, le train à
vapeur, le téléphone, … ils ne sont apparus sous leur forme la plus rudimentaire qu’il y a ¼ de
seconde. Pour autant, l’évolution sociale, spitituelle, éthique, technique et humaine opérée dans
les dix dernières « secondes » dépassent de plusieurs ordres de grandeur tout ce qui a pu avoir lieu
auparavant, depuis ce « 1er janvier ». Il y a, incontestablement, dans ces dix dernières secondes,
une accélération soudaine et fulgurante de l’histoire de l’Univers, de son histoire spirituelle, et de
l’histoire de la vie tout-court. Du « jour au lendemain », l’Univers a radicalement changé de cap et
de vitesse d’une manière spectaculaire.
Revenons au « versant » midrashique de cette question. Rabbeinou Béhayyéi (11ème Siècle) dit
ceci que « Le lecteur doit méditer l’idée que le temps qui sépare le mot « Au commencement »
du mot « que la lumière soit » est d’une durée de deux mille ans … » En somme, selon ce
commentateur (médiéval !), comme d’ailleurs plusieurs autres commentateurs, le temps de la
Genèse n’est pas le même que celui que nous percevons aujourd’hui, et les six jours de la
Création ne font pas six de nos jours.
D’un point de vue scientifique, parler de l’âge de l’Univers pré-suppose que le Temps est quelque
chose d’abslou, mesurable de manière « externe » à l’Univers. Or, ce n’est pas le cas ! Le Temps,
tel que la science l’appréhende depuis qu’a été établie et validée la théorie de la relativité,
ressemble plus à une farce qu’à quelque chose de tangible. Entre autres, le Temps est « quelque
chose » qui n’a rien d’absolu : un évènement qui dure une heure sur Terre, peut durer des siècles
s’il est observé d’un autre point de l’Univers. Et réciproquement ! Même la notion de
synchronisme n’est qu’une illusion. Même le mot « maintenant » ne veut rien dire si on veut se
placer dans l’échelle de l’absolu. Je ne parle pas de l’heure qu’il est est, au sens du décalage horaire
par exemple, mais de l’instant « maintenant », où je sous entends que nous serions tous ensemble
embarqués sur un même train qui nous ferait voyager à travers le Temps, un train commun à
l’ensemble de l’Univers. Or, au niveau de l’Univers, il n’y a pas un seul train qui voyage à travers
le Temps, mais chaque lieu de l’Univers a son propre train, et aucun de ces trains ne voyage à la
même « vitesse ». En langage scientifique, la mesure du temps dépend du repère spatial. Et si on
change de repère, on obtient des temps et des durées différentes. En somme, pour dire
« maintenant », il faut préciser « où » on se trouve. Et lorsque nous autres humains mesurons l’âge
de l’Univers, nous le mesurons par rapport à notre « train », dans notre repère spatio-temporel,
celui des terriens que nous sommes. Mais il y a d’autres repères spatio-temporels dans lesquels
ces quatorze milliards d’année n’ont duré que six jours.
Ainsi, pour exprimer le propos de Rabbeinou Behayyei en langage relativiste, il semble que la
Torah ait opéré un changement de repère : le temps n’est mesuré dans le repère spatio-temporel
des terriens que depuis qu’est apparu Adam, contemporain il y a six mille ans des tous premiers
temples, première créature dotée de spiritualité, ou de Néshama pour reprendre la terminologie
biblique. Pour la Torah, ce qui s’est passé depuis Adam était suffisamment important pour
changer de repère spatio-temporel.
2 : Un professeur d’astronomie de l’université hébraïque de Jérusalem, Ariel Cohen,
s’élève dans une déclaration rendue publique contre le fait que les instances officielles
du judaïsme en Israël continuent à évoquer cette date comme étant celle de l’âge du
monde. Qu’en pensez-vous ?
Selon nos commentateurs les plus anciens, le temps de la Genèse est fondamentalement différent
de celui des terriens. Il est amusant de constater par exemple qu’un certain Rabbi Yitshak demin
Akko, disciple de Nahmanide (13ème Siècle) a écrit que l’âge de l’Univers serait de l’ordre de 15
milliards d’années. Son raisonnement, étonnant de simplicité, est fondé sur certains versets des
Psaumes et de la Torah.
Alors la question se pose bien sûr … tant de milliards d’années pour aussi peu d’années qui aient
un sens spirituel ! L’objection vaut son pesant d’or. En effet, si on rapporte l’histoire de l’Univers
à l’échelle d’une année, comme je l’ai illustré plus haut, il n’y a que les treize dernières secondes
qui aient un sens … et depuis le 1er janvier à 0 heure jusqu’au 31 décembre à 23 heures 59
minutes et 47 secondes, il n’y a rien qui mérite la moindre attention d’un point de vue spirituel.
Cela dit, pour inexplicable qu’elle soit, cette accélération fulgurante et subite de l’histoire
spirituelle est un constat factuel qui s’impose autant aux scientifiques qu’aux religieux. Et qui
n’est pas plus expliquée par la science que par la bible.
Mais on peut trouver, dans le Talmud, un début d’éclairage. En effet, souhaitant llustrer l’amour
divin pour l’Humanité, le traité Berakhot, page 32 folio B, attribue à Dieu les propos suivants: «
Ma fille, j’ai créé les 12 signes du zodiaque et dans chacun d’eux j’ai créé 30 armées et dans
chaque armée j’ai créé 30 légions et dans chaque légion j’ai créé 30 régiments et dans chaque
régiment, j’ai créé 30 bataillons, et dans chaque bataillon, j’ai créé 30 troupes et dans chaque
troupe j’ai suspendu 365 mille myriades d’étoiles, en rapport avec les jours de l’année solaire, et
tout cela je ne l’ai créé que pour toi et tu dis que je t’ai abandonnée et oubliée ! ».
En somme, tout l’Univers, et tant d’astres, juste pour l’Humanité. Mais ce message semble dire :
quand on aime, on ne compte pas …
Mais comptons quand-même : ce passage du Talmud estime l’ordre de grandeur du nombre
d’astres présents dans l’Univers à 10 milliards de milliards, soit 1019. C’est exactement l’évaluation
donnée aujourd’hui par l’astronomie !
3 : Ce professeur suggère que dans le décompte hébraïque des années, on fasse plutôt
référence au chiffre 3.015 qui constitue, selon lui, l’âge véritable de la ville de Jérusalem.
Il ajoute : « Cela renforcera le lien indestructible du peuple juif avec sa capitale ».
Comment réagissez-vous à cette suggestion ?
Je trouve cette suggestion très intéressante, à la fois sur le plan religieux et sur le plan du
nationnalisme juif. En effet, dès lors que l’on décide de donner à Jérusalem une dimension
centrale, ce qui me parait louable, il faut dire pourquoi … Pourquoi Jérusalem, et pas une autre
ville ? Que représente Jérusalem ? Serions nous attachés à Jérusalem comme un peuple est attaché
à sa « mère patrie » ou à une « mère nouricière » ?
Dans notre histoire, il y a un « petit détail » qui, personnellement, me fascine : nous sommes le
seul peuple qui se soit formé en dehors de sa terre ! En effet, la première fois que le mot peuple
(‘Am) a été utilisé par la Torah pour désigner les hébreux, c’est lors de l’esclavage en Egypte (
Shemot 1 :9 et 1 :20) . Notre « mère nouricière » n’est pas la Terre Sainte, mais l’Egypte !
D’ailleurs, pour qui est réceptif aux subtilités de la langue hébraïque, l’expression Yétsiath
Mitsrayim signifie « sortie d’Egypte » au sens où c’est l’Egypte qui est sortie. Lorsque nous avons
quitté l’Egypte, nous l’avons emportée avec nous … et nous sommes la seule civilisation vivante
aujourd’hui qui puisse prétendre à une évolution ininterrompue depuis l’époque des pyramides. Il
est d’ailleurs intéressant de noter dans notre projet d’universalité que, dans l’histoire du Judaisme,
il n’y a pas que la civilisation égyptienne dont nous soyons dépositaires … C’est en Egypte que le
peuple juif est né qu’il a atteint sa majorité, sa Bar Mitsva, célébrée sur le mont Sinai. Ayant
ensuite atteint l’âge adulte après sa traversée du désert, le peuple hébreu a ensuite pris épouse : la
Terre Sainte, avec sa capitale Jérusalem. Notre relation à notre terre n’est donc pas une relation à
la mère, qui nous nourrit et nous couve, mais une relation à une épouse, que nous devons
protéger, révéler, épanouir et féconder. D’ailleurs, il suffit d’ouvrir la Torah pour y lire les
inombrables devoirs que nous avons à l’égard de cette terre.
Mais si on ne choisit pas sa mère, on choisit son épouse, et la question se pose, dès lors, de savoir
pourquoi les hébreux ont-ils choisi d’« épouser » la Terre Sainte. Né hors de la terre qu’il
revendique, le peuple Hébreu est le seul à pouvoir déterminer son sol selon un critère universel.
A nouveau, pourquoi Jérusalem ?
Comme l’évoque la Bible à travers les propos du Patriarche Jacob, Jérusalem est la « Porte des
Cieux », parce que c’est symobliquement là que s’est jouée la Création (voir à ce sujet le
symbolisme de Even Hashetiya). Il suffit d’ailleurs de regarder une mappemonde pour y voir que
Jérusalem est au carrefour des trois berceaux de la civilisation humaine. Parce que c’est le « centre
de gravité » de l’Humanité et de la Création, parce que ce lieu relie chaque créature à l’oeuvre de
Création, le Mont du Temple est le lieu de la prière … la Porte des Cieux.
Ainsi donc, Jérusalem est le point central du nationnalisme juif parce que ce lieu est universel et
que le judaïsme y voit le point central de la Création. Et si, comme le suggère le Pr Ariel Cohen,
nous envisagions l’âge de Jérusalem pour calibrer notre calendrier, cela nous ramènerait
inéluctablement à compter depuis la Création de l’Univers … et à faire le changement de repère
spatio-temporel qui convient pour tenir compte de l’accélération fulgurante de l’histoire
spirituelle qui s’est opérée il y a six mille ans environ avec l’apparition d’Adam … et là, sur les six
mille ans, comme sur cette accélération, science et bible sont d’accord.
Sinon, pourquoi Jérusalem ?
Ainsi donc, même en suivant la proposition du Pr Ariel Cohen, nous compterions donc depuis
l’origine de l’Univers, mais en ne comptant que ce qui compte : l’histoire spirituelle de
l’Humanité. Sans oublier que ce décompte commence le 1er Tichri, alors que le monde a été créé
le 25 Eloul.

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