Dieudonné pourra-t-il se produire dans la dizaine de villes inscrites au programme de sa tournée en ce début d’année 2014 ? Les maires de Marseille, Nantes, Limoges et Toulouse ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils ne souhaitaient pas le voir monter sur scène chez eux. Le maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin, et son homologue socialiste de Nantes, Patrick Rimbert, ont même expressément demandé à leur préfecture d’examiner l’interdiction de ses représentations, prétextant d’éventuels « troubles à l’ordre public ».

Ces édiles se placent dans la droite ligne de Manuel Valls qui, le 28 décembre 2013, a annoncé l’envoi d’instructions aux préfets leur demandant « d’apprécier si le risque de trouble est caractérisé et justifie d’interdire la représentation » des spectacles de Dieudonné M’Bala M’Bala, poursuivi pour « incitation à la haine raciale » après ses propos visant le journaliste de France Inter Patrick Cohen.

Maires et préfets risquent pourtant de se trouver bien démunis pour empêcher l’inventeur de l’indigeste « quenelle » de se produire chez eux.

« Les Réunions publiques sont libres »

La liberté de réunion est régie par la loi du 30 juin 1881, une des plus libérales – avec celle encadrant la liberté d’expression – parmi les modes d’organisation des libertés publiques. Il y est précisé que « les réunions publiques sont libres » et qu’« elles peuvent avoir lieu sans autorisation préalable ». Autrement dit, en droit français, « on se réunit librement, et le contrôle intervient a posteriori, en cas d’infraction pénale », explique sur son blog la professeur de droit public Roseline Letteron.

Toutefois, selon la loi, il incombe aux organisateurs d’« empêcher toute infraction aux lois, d’interdire tout discours contraire à l’ordre public et aux bonnes moeurs, ou contenant provocation à un acte qualifié crime ou délit ». En clair, les pouvoirs publics peuvent, pour interdire un spectacle, invoquer un « trouble à l’ordre public », comme l’a fait M. Valls, ou dénoncer le contenu illégal dudit spectacle.

Dans le premier cas, le plus courant, la jurisprudence est très claire. En 1933, le maire de Nevers avait voulu interdire une conférence en raison des protestations de syndicats d’instituteurs qui s’estimaient ridiculisés par le conférencier, un certain René Benjamin. Le Conseil d’Etat avait annulé l’interdiction, considérant que le « maintien de l’ordre public devait »>Article original être mis en balance avec le nécessaire respect de la liberté de réunion ». Cet arrêt – l’arrêt Benjamin – fait toujours jurisprudence et a été complété depuis.

Troubles à l’ordre public

En 2010, le maire d’Orvault, près de Nantes, a tenté d’annuler un spectacle de Dieudonné, estimant que « les prises de position personnelles de l’artiste, notamment à l’égard de la communauté juive et par ailleurs sanctionnées par les tribunaux », ne pouvaient « être dissociées de sa prestation », qui était donc « génératrice de troubles à l’ordre public ». L’édile n’a eu gain de cause ni auprès du tribunal administratif ni devant le Conseil d’Etat.

La plus haute juridiction administrative a considéré que ses allégations n’étaient « étayées par aucun élément, en dehors d’une référence d’ordre général aux polémiques que certaines positions publiques de cet artiste ont pu susciter ».

Le Conseil d’Etat va plus loin. Il estime qu’en cas de risques de troubles, il revient aux pouvoirs publics d’appliquer les « mesures appropriées » pour assurer la sécurité. En d’autres termes, explique Me Gilles Devers, avocat spécialiste des libertés fondamentales, l’interdiction d’un spectacle de Dieudonné ne pourrait intervenir « que si la police n’était pas capable d’assurer l’ordre public, ce qui ne saurait se justifier dans le cas d’une salle de spectacle fermée ».

S’agissant du contenu du spectacle à proprement parler, il semble d’autant plus hasardeux d’établir a priori le caractère illicite d’un show qui se présente comme humoristique. Dans son arrêt de 2010 à propos de la représentation d’Orvault, le Conseil d’Etat estime ainsi qu’
« il n’est pas soutenu que le contenu de ce spectacle serait par lui-même contraire à l’ordre public ou se heurterait à des dispositions pénales ».

La Cour européenne des droits de l’homme établit par ailleurs la distinction entre « les incitations réelles et sérieuses à l’extrémisme » et le droit des personnes à s’exprimer librement, y compris au risque de
« heurter, choquer ou inquiéter l’État ou une fraction quelconque de la population ».

Fort de cette jurisprudence, Dieudonné a volé de victoires en victoires face aux élus qui l’avaient déclaré persona non grata. « Nous avons dû avoir entre dix et quinze recours contre nous à ce jour. Nous les avons tous gagnés », rappelait samedi au Monde l’avocat de l’humoriste, Me Jacques Verdier. « Nous attaquerons tout arrêté qui sera prononcé et nous gagnerons, comme nous l’avons fait jusque-là », a-t-il promis.

M. Valls n’a pas précisé quelle serait la teneur de la circulaire qu’il allait transmettre aux préfets. La préfecture de Loire-Atlantique affirme attendre les « instructions » ministérielles. En attendant, les pétitions pour (et contre) l’« humoriste » engrangent les signatures, le débat se tend et les idées qu’entendent combattre les contempteurs de Dieudonné sont plus audibles que jamais.

Jonathan Parienté & Soren Seelow / Le Monde.fr Article original

TAGS : Quenelle Antisémitisme Dieudonné France Nasri Parker

Annelka Bruno Solo jurisprudence libertés

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