La DGSE s’est interrogée sur les valeurs qui l’animent. Les Israéliens du Mossad font encore plus fort et sortent la panoplie complète…
Photo du film « Espion(s) » de Nicolas Saada (2009). Guillaume Canet doit y séduire Géraldine Pailhas afin qu’elle trahisse son propre époux. C’est pour la bonne cause, mais pas joli-joli… © Mars distribution

Dans le monde du renseignement, personne n’a oublié la vieille formule prussienne : « Le renseignement est un métier de seigneur. »(Nachrichtendienst ist Herrendienst.)

Mais une fois cet aphorisme prononcé, il faut bien aller voir ce qu’il y a derrière. A priori, les agents secrets ne sont pas des parangons des vertus publiques. Ce n’est pas une mince affaire que de chercher ce qui anime – dans une démocratie, pour faire simple – des hommes et des femmes qui écoutent les conversations des autres, conduisent des opérations illégales aussi bien du point de vue de leur pays que de celui où ils opèrent, jouent sur les sentiments humains les moins nobles, volent ici, trahissent là. Bref, ne se comportent pas précisément en personnes bien élevées.

Et pourtant ! Sauf cas déviants, et toujours pour se situer dans une démocratie du XXIe siècle, les services secrets ne sauraient agir sans avoir obtenu l’aval, sinon l’ordre, de l’autorité politique légitime, comme c’est le cas en France. Parfois, une autorité judiciaire vient compléter les autorisations accordées par le pouvoir exécutif pour prendre des libertés avec la loi. C’est précisément ce qui passe aux États-Unis dans l’affaire de la NSA. Mais comment cela se passe-t-il dans la tête des agents qui doivent parfois agir au-delà des limites fixées au commun des mortels ? Quelles sont les valeurs qui les animent, à tout le moins en France, qui pourraient leur être opposées en cas de manquement ?

DGSE ou Ikea ?

Nous avions eu connaissance voici quelques mois d’une démarche engagée par la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) pour réfléchir sur ces points, sous la houlette de son précédent directeur, le préfet Erard Corbin de Mangoux. Entamé en mai 2012 par un séminaire des cadres dirigeants qui avaient en main une analyse lexicale des productions du service, ce travail sur les valeurs a été finalisé en avril 2013. Il avait été rendu nécessaire par une profonde transformation des équilibres internes.

Aujourd’hui, la DGSE compte 5 100 employés, soit 20 % de plus en douze ans, auxquels s’ajoutent les 1 000 militaires du service Action qui sont payés par leur armée d’origine.

L’ancienneté moyenne dans le service est de treize ans. La moyenne d’âge s’élève à 41 ans. Hors service Action, la DGSE compte 73 % de civils recrutés sur concours et 25 % de femmes. Nous n’avons pas pu connaître la proportion d’informaticiens experts (les « geeks ») qui sont recrutés en CDD pour 3 ou 6 ans. Selon l’une des personnes ayant une bonne connaissance de ce projet, « 5 % des agents sur service y sont entrés depuis moins d’un an. C’est la génération Y, zappeuse, impatiente, consommatrice. Elle vit en partie sur le Web. La question que le service s’est posée est donc très simple : quelle est la différence entre un job à la DGSE et un autre à Ikea ?« .

Introspection

Collectivement, à partir de questionnaires diffusés régulièrement sur l’intranet du service, mais aussi après avoir écouté des conférences de personnalités extérieures, les agents de la DGSE ont défini eux-mêmes les valeurs animant le service. Celles qui définissent, selon la formule d’un fonctionnaire « le code génétique du service » : « Nos valeurs sont liées à celles de la République, mais quelles sont-elles ? Il fallait les déterminer, afin de les traduire en actes. Et susciter l’indignation à l’égard de ceux qui les transgressent. »

L’accouchement fut difficile ! Mais enfin, les mots ont été jetés sur la table.

42,5 % des agents s’étant engagés dans ce brainstorming, ces résultats ne manquent pas d’intérêt. Les mots qui ont été retenus, avec plus ou moins de succès, sont les suivants, classés par ordre alphabétique et relevés sur un document interne à la DGSE dont nous avons eu connaissance :

adaptabilité, anticipation, créativité, courage, désintéressement, discernement, discrétion, efficacité, engagement, esprit d’équipe, excellence, exigence, expertise, fiabilité, humilité, innovation, intégrité, loyauté, patriotisme, performance, probité, professionnalisme, réactivité, responsabilité, rigueur, secret. Bref, il n’en manque qu’un à l’appel : l’amour

Dans cette quête des valeurs, trois mots seulement ont atteint plus de 90 % des suffrages : secret, discrétion, engagement. Mais ceux qui ont été finalement retenus sont quatre. Ils constituent ce que le service appelle désormais le LEDA.

Valeurs cardinales

Le « système LEDA », ce sont les initiales des quatre mots-clés du service, ses valeurs cardinales :

Loyauté, Exigence, Discrétion, Adaptabilité.

Dans un court texte titré « nos valeurs », qui devrait apparaître prochainement sur le site de la DGSE, il est expliqué à propos de la loyauté qu’elle est « une valeur essentielle qui transcende les valeurs individuelles ». L’exigence n’est autre que « la conscience aiguë de l’importance du moindre détail dans la réussite de nos missions« . La discrétion est « un gage essentiel de la sécurisation des missions et des agents ».  » C’est une »>Article original attitude permanente de réserve, d’humilité et d’abnégation. » Quant à l’adaptabilité, « elle suppose de concilier plasticité intellectuelle et rigueur morale« .

En tout cas, voila nos agents secrets dotés d’un viatique qui les aidera dans ce monde cruel. Mais l’exposition de telles valeurs poursuit un autre objectif : permettre aux autorités politiques, aux destinataires des notes et aux partenaires des services secrets étrangers de savoir à qui ils ont affaire. Le secret perdure. Le mystère, un peu moins.

Par JEAN GUISNEL

lepoint.fr Article original-20130924″>Article original

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EXCLUSIF. Concours de vertu entre services secrets

Au détour d’une réflexion interne de la DGSE, on découvre les mots d’ordre de cinq grands services étrangers. Moins convaincant qu’édifiant !

Nos lecteurs savent que la DGSE a choisi de travailler sur les valeurs qui l’animent. Pour conduire ce travail d’enquête introspective de plusieurs mois, elle a également conduit un « parangonnage » (traduction de l’anglais benchmarking) auprès des services dont elle se considère la plus proche, afin de savoir quelles étaient les valeurs qui animaient les services secrets amis.

On ne glosera pas sur la carte des proximités révélées par l’identité des cinq services étrangers chargés du renseignement extérieur (dont deux américains) ainsi nommés. Pour une simple et bonne raison : nous avons pu lire un document qui les recense, mais sans rien savoir de la méthode qui a présidé à ce choix. D’autres services ont-ils été consultés par cette enquête ? Les absents n’ont-ils pas répondu ou bien n’ont-ils pas effectué cette démarche ? Nous n’en savons rien.

On ne chipotera pas non plus sur le fait que le texte soit rédigé en anglais. Les services secrets français passent leur temps à discuter avec leurs collègues étrangers et la langue de travail commune n’est autre que l’anglais.

Une cascade de valeurs, un seul principe

Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Et le jeu est connu : les « valeurs » sont un slogan, une forme de devise. Qu’elles animent de tels bras armés et clandestins des démocraties leur interdit d’être floues. C’est ainsi que la NSA (National Security Agency) américaine, celle dont les turpitudes incessantes ont été révélées durant l’été par Edward Snowden, présente ses deux valeurs comme étant Compliance, Respect of Law (conformité, respect de la loi). Pour la CIA (Central Intelligence Agency), ce n’est pas mal non plus : Service, Integrity, Excellence. Inutile de traduire…

– Pour les Britanniques du SIS (Secret Intelligence Service), aussi connus sous l’appellation de MI6, c’est plus détaillé, sans qu’il soit davantage besoin de transcrire dans la langue de Molière : Integrity, Making a Difference, Teamwork, Innovation.

– Chez les Australiens de l’ASIS (Australian Secret Intelligence Service), c’est une logorrhée : Excellence in Service, Innovation, Trust (Confiance) & Responsibility, Courage, Unity, Loyalty.

– Mais les Israéliens du Mossad font encore plus fort et sortent la panoplie complète : Justice, Integrity, Morality, Humility, Personal Responsibility, Discipline, Discretion.

On l’aura compris, tous revendiquent en fait le principe universel du « faites ce que je dis, pas ce que je fais ! » Nous vous laissons, chers lecteurs, à vos abîmes de réflexion.

Par JEAN GUISNEL

Le Point.fr Article original – Publié le 25/09/2013 à 18:10 – Modifié le 25/09/2013 à 19:05

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