Vaccins contre le cancer : la course est lancée, les espoirs sont là

Plusieurs laboratoires développent cette nouvelle forme de traitement hyperpersonnalisé. Les premiers résultats sont encourageants, même s’il reste encore beaucoup de questions.

Déployer toute la puissance de notre système immunitaire contre les cellules cancéreuses, pour les détruire et guérir les malades : l’arrivée des premiers traitements d’immunothérapie en 2011 a suscité d’immenses espoirs. Des patients jusqu’alors condamnés ont été sauvés, et la découverte a valu un Prix Nobel en 2018 aux scientifiques qui, les premiers, ont mis au point cette nouvelle arme anticancer. Mais, pour puissants qu’ils soient, ces traitements ne fonctionnent que chez un nombre réduit de patients : 40 % à 50 % dans le mélanome, 20 à 30 % au mieux pour les autres tumeurs. « Tout l’enjeu aujourd’hui, c’est de réussir à utiliser le système immunitaire chez une plus grande part des malades. Et la vaccination thérapeutique fait partie des pistes qui pourraient nous y aider », explique le Dr Stéphane Champiat, oncologue à Gustave-Roussy et auteur de « Immunothérapies » (Guy Trédaniel éditions).

La vaccination thérapeutique ? Comme pour les vaccins contre les maladies infectieuses, il s’agit d’injecter aux malades un petit morceau de l’agent pathogène contre lequel on veut les protéger, pour apprendre à leur système immunitaire à le reconnaître et à l’éliminer. Ici, il ne s’agit toutefois pas d’un virus ou d’une bactérie, mais des propres cellules cancéreuses du patient, ou plutôt d’une petite partie de leur matériel génétique. « Il y a eu des recherches en ce sens pendant des dizaines d’années, en vain. A présent le contexte a évolué, et l’espoir que cette stratégie apporte un bénéfice est de nouveau là », confirme le Pr Christophe Le Tourneau, responsable des essais cliniques à l’Institut Curie.

La combinaison de deux révolutions

Premier changement, les scientifiques ont compris pourquoi les vaccins ne fonctionnaient pas jusqu’ici : parce que les tumeurs savent se rendre invisibles du système immunitaire. Donc même en stimulant nos défenses avec un vaccin, il n’y avait pas d’effet. Or, les immunothérapies commercialisées depuis 2011, justement, rendent les tumeurs visibles pour les lymphocytes, les soldats de notre immunité. « Cela relance l’intérêt pour le vaccin, qui pourrait être utilisé en synergie avec l’immunothérapie : d’un côté on lève les freins, et de l’autre, on pousse le système immunitaire à agir », poursuit le Pr Le Tourneau. Le deuxième changement a été mis en lumière par la crise sanitaire : l’émergence de nouvelles stratégies vaccinales, qui permettent de fabriquer des injections en un temps record.

Grâce à la combinaison de ces deux révolutions, les oncologues pourraient donc bientôt voir leur arsenal s’enrichir d’une nouvelle arme. Plusieurs laboratoires se sont lancés dans la course, et de multiples essais se trouvent déjà en cours. « La plupart des experts pensent que ces vaccins serviront principalement à éviter les rechutes chez des patients préalablement soignés pour leur cancer », indique Christophe Le Tourneau. Malgré les traitements par chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie, il peut en effet rester des cellules tumorales susceptibles de relancer la maladie. Le système immunitaire, « éduqué » par le vaccin, viendrait alors les éliminer.

Des technologies de pointe, et un peu de chance

Moderna, le champion américain des vaccins anticovid, a annoncé à la fin de l’année dernière des données prometteuses : une réduction de 44 % du risque de rechute chez des patients opérés d’un mélanome de stade avancé et traités ensuite par une immunothérapie et un vaccin, par rapport à l’immunothérapie seule. Transgène, une biotech française, vient également de présenter des résultats préliminaires dans les cancers de la tête et du cou. Sur une dizaine de patients vaccinés après l’ablation de leur tumeur, aucun n’a rechuté, contre deux dans le groupe contrôle. Il ne s’agit encore que d’essais de phase 2, sur des tout petits nombres de patients, dévoilés pour l’instant à travers des communiqués de presse. « Ces premières informations sont très encourageantes, mais nous attendons à présent les publications scientifiques pour en savoir plus », insiste le Dr Stéphane Champiat.

Mettre au point ces vaccins thérapeutiques reste un exercice de haute voltige, qui demande des technologies de pointe et… un peu de chance. Une fois la tumeur du malade retirée par chirurgie, son génome est séquencé. Les scientifiques cherchent à y repérer les mutations les plus susceptibles de déclencher une réponse immunitaire. Dans le cas des tumeurs ORL ciblées par Transgene, il s’agissait par exemple de choisir 30 mutations parmi 3 000 en moyenne. Pour cela, la biotech française s’est alliée avec un spécialiste japonais de l’intelligence artificielle. Son algorithme fait une présélection de 100 mutations, puis les médecins en retiennent 30, avec lesquelles les équipes de Transgène fabriquent le vaccin injecté au malade.

Des résultats à confirmer

Après un examen attentif des globules blancs des patients, il s’est avéré qu’une dizaine de ces mutations avaient effectivement permis de déclencher une réponse immunitaire. « On avait moins de chances d’y arriver que de gagner au loto : c’est vraiment toute la force de l’IA que de permettre ce résultat », a souligné le Pr Jean-Pierre Delord, coordinateur de l’essai et médecin à l’Oncopôle de Toulouse, lors d’une conférence de presse. Reste maintenant à montrer que cette réaction immunitaire protège effectivement dans la durée, puis à confirmer ces résultats sur plus de patients.

Si l’efficacité se montre au rendez-vous, les industriels devront aussi réussir à produire ces injections hyperpersonnalisées à grande échelle. Un défi de taille. « Cela représente un énorme effort industriel et d’organisation », confirme à L’Express Paul Burton, le directeur médical de Moderna à l’international. Le laboratoire envisage pour l’instant d’ouvrir des plateformes un peu partout dans le monde pour centraliser les prélèvements des malades et les transporter jusqu’à son site de Norwood aux États-Unis, où les vaccins seront fabriqués. La question des délais de production est cruciale : de huit à dix semaines pour Moderna, et de trois à quatre mois pour Transgène, qui est de son côté en train d’agrandir son site de production de Strasbourg. Les deux laboratoires assurent travailler à réduire encore ces délais.

De nombreuses autres questions restent ouvertes. Moderna recourt aux vaccins à ARN messager, tandis que Transgène utilise une plateforme vaccinale basée sur un virus génétiquement modifié (plus proche de la technique utilisée par Astra Zeneca et Johnson & Johnson contre le covid). Les deux technologies présenteront-elles des performances similaires, ou l’une s’avérera-t-elle meilleure que l’autre ? Les essais en cours visent des cancers avec beaucoup de mutations, que les lymphocytes attaquent déjà naturellement (mais insuffisamment). Mais ce n’est pas le cas de tous les cancers : ces vaccins auront-ils ou non un champ large d’application ? Et si l’efficacité est confirmée, sera-t-elle durable ? Faudra-t-il des rappels ? Répondre à ces questions prendra encore du temps : « Nous ne sommes qu’au tout début de cette histoire », résume Paul Burton.

l’EXPRESS

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