Dans « L’Inédit de Clairvaux »,  Rebatet affirme qu’en 1943 Brasillach évoquait l’extermination des juifs, qu’il dira ignorer durant son procès en 1945.

C’était la défense commune, quasiment la seule possible, martelée et parfois pleurée à la barre du tribunal par les collaborationnistes, écrivains compris, prenant des accents de sincérité ou exprimant une rage faussement authentique pour convaincre les juges, en 1945, de leur innocence. Fascistes, pétainistes, lavalistes, doriotistes, ils ignoraient tout, vraiment tout, disaient-ils, de l’existence des chambres à gaz, de l’extermination des juifs, du sort qui leur était réservé à Dachau, Auschwitz, Treblinka… Il en était même qui affichaient une moue nauséeuse lorsqu’on leur détaillait l’horreur nazie ou qui soudainement mettaient quelque « nuance » dans leur antisémitisme.

Telle fut la défense de l’écrivain antisémite Robert Brasillach, condamné à mort et exécuté le 6 février 1945 au fort de Montrouge. Une défense qui s’effrite sérieusement aujourd’hui, soixante-dix ans après son procès, à la lecture d’un passage de L’Inédit de Clairvaux, texte rédigé par Lucien Rebatet entre Noël 1947 et novembre 1949 durant sa détention – et disponible dans Le Dossier Rebatet (Robert Laffont, collection Bouquins). L’auteur du best-seller de l’Occupation Les Décombres, lui aussi condamné à mort en novembre 1946 avant de voir sa peine commuée en peine de travaux forcés, rapporte dans cet Inédit de Clairvaux, épais de 644 pages, un échange, ô combien, troublant et instructif.

« Nous ne pouvons pas avoir l’air d’approuver ça »

Nous sommes en 1943, Robert Brasillach revient du front de l’Est où il accompagna les services de la propagande nazie et Fernand de Brinon, le délégué du gouvernement français dans les territoires occupés.

Brasillach : « Je pense qu’il ne faut plus parler des juifs, c’est devenu inutile et choquant. »

Rebatet proteste : « Non, tu vas trop loin !

– Je suis allé en Pologne ce printemps, j’ai vu les ghettos, je sais ce qui se passe dans ceux de Lodz, de Lwow, de Varsovie. C’est le massacre ou l’extermination par la faim. Nous ne pouvons pas avoir l’air d’approuver ça.

– Mais Robert, tu parlais tout à l’heure de la doctrine ! Si l’antisémitisme n’en fait plus partie ! Il me semble qu’il est plutôt fondamental…

– Je ne dis pas, bien sûr, que nous devons cesser d’être antisémites. Mais il y a un ton que nous ne pouvons plus employer à propos des juifs. Et nous avons des sujets beaucoup plus urgents à traiter ! »

Brasillach semble douter. Une note en bas de page de l’historienne, grande spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, Bénédicte Vergez-Chaignon fait état d’un passage « crucial » puisqu’il suggère que « Brasillach avait eu des informations sur la Solution finale ». Dès 1943, le rédacteur en chef de Je suis partout emploie donc les termes de « massacre » et d’« extermination », alors que la propagande antisémite de l’époque faisait croire que les déportations de juifs servaient à peupler des contrées dans l’est de l’Europe

« Brasillach ne va pas jusqu’au bout de sa logique »

Interrogée par Le Point, Bénédicte Vergez-Chaignon relève que, si Brasillach est « soudain pris par le doute et se replie sur quelque chose de sentimental, il ne va pas jusqu’au bout de sa logique qui aurait dû être la rupture ». En outre, ce passage, selon l’historienne, ne ferait « qu’accroître la culpabilité de Lucien Rebatet qui ne voulait pas entendre ce que lui disait Robert Brasillach ». Le témoignage résonne d’autant plus fort qu’il émane d’une des plus proches fréquentations de Brasillach et qu’il est daté de 1947, soit quatre ans seulement après cet échange.

Condamné à mort au terme de ce qui fut l’un des procès les plus symboliques de la Libération, Brasillach a payé ses articles antisémites et dénonciateurs publiés dans son hebdomadaire du vendredi, ses appels au meurtre de Georges Mandel et sa phrase désormais bien connue : « Il faut se débarrasser des juifs en bloc et ne pas garder les petits. » Ses proches, au premier rang desquels sa mère et son beau-frère Maurice Bardèche, ont vu dans ce propos une forme d’« humanisme » de la part de l’écrivain vis-à-vis des enfants juifs qu’il ne fallait « pas séparer de leurs mères »…

Plus tard, Bardèche, qui fut lui aussi incarcéré à la Libération, affirmera : « Durant la période de la guerre, personne n’a entendu parler de ce qui se passait dans les camps de concentration. Brasillach ne l’a jamais su. » Par ses écrits, Lucien Rebatet prouve le contraire et permet ainsi de poser un regard nouveau sur l’histoire de la collaboration. Et, plus particulièrement, sur la personne de Robert Brasillach.

Par Saïd Mahrane

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