13-Novembre : Rescapés ou parents de victimes, comment les attentats ont modifié les liens avec leurs enfants ?

RESILIENCE Relations fusionnelles, hyper-protection, distance, les conséquences des attentats pour les parents victimes du 13-Novembre peuvent être multiples

Oihana Gabriel et Hélène Sergent

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Parmi les victimes rescapées du Bataclan, beaucoup sont parents de jeunes enfants.
Parmi les victimes rescapées du Bataclan, beaucoup sont parents de jeunes enfants. — MATTHIEU ALEXANDRE / AFP
  • A l’occasion des commémorations des attentats du 13 novembre 2015, 20 Minutes donne la parole aux parents qui ont perdu un enfant lors de ces attaques, et aux parents qui ont survécu au drame.
  • Psychologues et psychiatres analysent comment la parentalité peut être modifiée par un tel événement.
  • Anxiété constante, irritabilité, aide à la résilience, inversion des rôles… Les réactions et les relations peuvent prendre diverses tournures quand on traverse un deuil ou un traumatisme de cette ampleur et que l’on doit s’occuper de ses enfants.

« J’ai largement perdu le sommeil depuis les attentats du 13 novembre », confie Gaëtan Honoré, 38 ans. Cette nuit-là, il a survécu aux attaques, protégé et caché sous un corps dans la fosse du Bataclan. Après ces heures d’horreur, Gaëtan a pu rejoindre l’appartement de sa sœur vers 7 heures à Paris, avant de retrouver sa femme et ses deux filles dans l’après-midi, à Nevers (Bourgogne). « Depuis, il y a des périodes où je me lève dix fois par nuit, pour vérifier que mes filles dorment, qu’elles respirent, qu’elles ne font pas une attaque cérébrale, chose que je ne « pratiquais » pas avant… » Pour les rescapés comme pour les parents de victimes du 13-Novembre, ces attentats ont bouleversé leur rôle et les relations avec leurs enfants.

Irritabilité et anxiété

« Le parent risque de développer une très grande intolérance à la tension, qui peut être liée au bruit, à la foule, à la sollicitation, précise Cyril Cosar, psychologue au centre du psychotrauma de victimologie et auteur de Le stress post traumatique pour les Nuls*. Une forte irritabilité et une grande fatigue liées à l’hypervigilance dont Gaëtan, membre de l’association Life for Paris, a souffert. Pendant des mois, il a eu du mal à faire preuve de patience, de disponibilité, d’écoute pour Adonis, 8 ans à l’époque, et Mazarine, 3 ans. « La capacité à répondre présent de façon ajustée a été altérée, confie-t-il. Eduquer, c’est déjà un métier impossible. Dans une situation comme celle-là, tout est plus compliqué. »

« Ce qui est certain, c’est que la sécurité est remise en question. Or, pour les enfants, le premier besoin, c’est la sécurité affective, psychique, assure Francine Couëtoux-Jungman, psychologue. Certains parents peuvent ne plus se sentir en mesure de leur apporter. » Une angoisse incessante qu’a ressentie Christine, qui a perdu l’un de ses enfants, Justine, 34 ans, le soir du 13 novembre 2015, à la terrasse du bar La Belle Equipe. « J’ai fait beaucoup d’efforts, mais au début, dès que j’entendais des sirènes, j’appelais mes enfants, je m’inquiétais en permanence, reconnaît cette mère d’un garçon et d’une fille. Avant, j’étais assez indépendante. Depuis la mort de Justine, j’ai relativisé cette indépendance. » Rien d’étonnant, souligne Boris Cyrulnik, neuropsychiatre « Les parents d’enfants blessés ou décédés doivent d’abord se sécuriser, de façon à sécuriser les autres enfants. »

L’autre symptôme noté par Gaëtan, c’est cette imagination négative débordante. « Je n’ai pas de souci à les confier à d’autres, mais il m’arrive souvent d’envisager le pire. Ma fille rentre malade de l’école, je pense qu’elle va mourir d’une méningite dans la nuit. Je me souviens du premier été, on était à l’océan, il y avait un jet-ski au loin et tout d’un coup, j’ai pris peur, j’ai demandé aux filles de sortir de l’eau en urgence, comme si on allait être attaqué par des djihadistes marins… »

« Il y a une surprotection qui s’est installée »

Une hypervigilance qui peut pousser certains à surprotéger leur progéniture. Myriam, 61 ans, a perdu son fils aîné Matthieu au Bataclan, le soir du 13 novembre. Mère de deux filles, âgées de 22 et 34 ans, elle ressent depuis de la culpabilité. « Je suis beaucoup plus sur la défensive quand il y a une tension ou une animosité à l’égard de mes filles. Mon rôle de mère, c’était de protéger. C’est toujours de les protéger, d’ailleurs. Mais je le ressens différemment parce que je n’ai pas été capable, quelque part, de protéger Matthieu. »

Gaëtan a longtemps surcouvé ses deux petites filles après sa nuit au Bataclan. « J’ai baigné dans la mort et j’en ai gardé cette idée que ça peut arriver à tout moment. Il y a une surprotection qui s’est installée. Concrètement, je voulais savoir où elles étaient tout le temps. » Un réflexe compliqué à concilier avec la quête d’autonomie des enfants…

« La parentalité va être modifiée à la hauteur de ce qui a changé chez l’adulte victime de l’attentat », prévient Jacques Dayan, pédopsychiatre. « Tout dépend de comment on a été exposé, combien de temps, à quel degré on a été touché, si on a été blessé ou pas, endeuillé ou non », complète Francine Couëtoux-Jungman, docteure en psychologie et volontaire à la cellule d’urgence médico-psychologique de Paris le 13 novembre.

Les parents qu’elle a reçus cette nuit-là étaient déjà minés par des questions sur leur façon d’interagir avec leurs enfants. « La nuit des attentats, à 4 heures du matin, j’ai parlé avec un psychologue, reprend Gaëtan Honoré. Très rapidement, j’ai exprimé ma peur d’être devenu violent, avec toute cette colère, notamment avec mes filles… » Pour Stéphane, 44 ans, également survivant du Bataclan, la priorité était de ne pas trop modifier son comportement vis-à-vis de sa fille de 6 ans. « Autant, il y avait des choses floues juste après les attentats… Quand reprendre le travail ?, par exemple. Mais l’importance de préserver ma fille, c’était très clair. Pour que les choses redeviennent à peu près normales, qu’elle n’y pense pas tous les jours. »

Lyon, le 15 novembre 2015. Des Lyonnais se sont succédé place des terreaux pour rendre hommage aux victimes des attentats de Paris en déposant des bougies devant l'Hôtel de Ville.
Lyon, le 15 novembre 2015. Des Lyonnais se sont succédé place des terreaux pour rendre hommage aux victimes des attentats de Paris en déposant des bougies devant l’Hôtel de Ville. – Elisa Frisullo / 20 Minutes

Mais chacun réagit différemment, en fonction de son état psychologique précédant le drame, mais aussi de sa façon de le digérer, le verbaliser, le soigner. Quatre ans et de nombreuses séances de psychothérapie après, Gaëtan Honoré a réussi à retrouver sa place. « Maintenant, j’ai l’impression que j’arrive à me réinstaller dans un rôle de parent sûr et secure pour mes enfants. »

Une aide à la résilience

Pour certains, devoir s’occuper d’un autre être pousse à s’en sortir. « Ce qui est important, c’est de ne pas s’isoler, insiste Francine Couëtoux-Jungman. L’enfant, parce qu’il va à l’école, peut permettre de se réinscrire dans la réalité. » Ce que confirme Stéphane : « peut-être que sans enfant, j’aurais fait moins d’efforts. Je sais combien ma famille m’a aidé à surmonter l’épreuve. Et je pense beaucoup à ceux qui sont plus jeunes, qui n’ont pas bénéficié de ce coup de pouce. » Lui et sa compagne n’ont pas eu d’autres enfants, « mais pour d’autres raisons que les attentats. En revanche, on a déménagé ailleurs à Montrouge. Changer d’appartement, de ligne de métro, cela m’a soulagé. »

Le lundi suivant les attaques, emmener sa fille en classe s’est apparenté à un parcours du combattant : chaque voiture, chaque passant qui traverse attirait son attention. Pire, quand il a fallu retourner dans une salle de spectacle… « C’était en mai 2016, l’école de cirque de ma fille organisait une représentation au Casino de Paris. Moi qui ne voulais plus jamais assister à un concert ou spectacle, j’ai pris sur moi. Me savoir dans une salle de spectacle, avec ma famille, et ma fille loin de moi, c’était l’angoisse totale ! » « Un enfant, c’est aussi une ouverture vers l’avenir, qui aide à se projeter loin du quotidien », reprend la psychologue.

Il arrive même qu’un enfant généreux en affection encourage la résilience. « Mes filles étaient trop petites pour comprendre, mais elles sentaient bien que quelque chose s’était passé, témoigne Gaëtan Honoré. Toute la semaine qui a suivi les attentats, Adonis, qui est autiste, s’est promenée avec la médaille de course à pied que je lui avais donnée, expliquant à chacun que c’était moi qui l’avais gagnée. Je ne veux pas tomber dans la surreprésentation, mais peut-être que c’était sa façon de m’épauler. » « Ma fille de 6 ans s’est montrée plus délicate que certains adultes », note Stéphane.

« C’est devenu mon deuxième anniversaire »

« Mes filles nous protègent sans arrêt, mon mari et moi, ce qui n’était pas le cas avant, confie Myriam. Parfois, j’ai même l’impression que les rôles se sont inversés. » Un phénomène courant chez les enfants de rescapés, et plus dérangeant quand les enfants sont plus jeunes et en plein développement. « C’est important que le parent traumatisé explique les conséquences sur lui avec sincérité et sans être angoissant, insiste Cyril Cosar. Ce qui permet à l’enfant de comprendre que ce traumatisme ne lui appartient pas, et d’éviter qu’il ne devienne le thérapeute de son parent. »

Un écueil que Stéphane a anticipé. « Dès le premier week-end, ma femme et moi, on en a parlé à notre fille. Parce qu’on s’est dit que j’allais sûrement avoir l’air bizarre, fatigué. Mais sans rentrer dans les détails : « Il y a eu un attentat, je n’étais pas loin » ». Une explication de texte d’autant plus fondamentale que ce traumatisme fait désormais partie de l’Histoire. « Le réflexe spontané, c’est de préserver nos enfants, souffle Cyril Cosar. Sauf que ces attentats sont devenus un événement collectif, qui sera chaque année réactivé, par une cérémonie, des articles. C’est un sujet familial, donc il contraint les parents à poser des mots plutôt que de garder son trauma, mais sans transpirer sa charge émotionnelle et contaminer son entourage. » Chaque 13 novembre, Gaëtan ne regarde pas la cérémonie à la télévision avec ses filles, mais reçoit beaucoup de messages. « C’est devenu mon deuxième anniversaire. »

De l’instantané et des souvenirs

Paradoxalement, il arrive qu’un tel drame renforce les relations familiales. « Depuis la mort de Matthieu, on part tout le temps en vacances ensemble avec mes filles et leurs compagnons, se réjouit Myriam. C’est plus fort que nous, il faut qu’on soit ensemble. » Pour Gaëtan, ce qui a changé aussi, c’est sa capacité à profiter de chaque instant. « J’essaie de vivre davantage dans l’instant, de prendre conscience des moments agréables avec ma famille et de capitaliser pour plus tard, assure-t-il. Le plus important, je le dis à mes filles, c’est de se faire des souvenirs. C’est ce qui m’a maintenu en vie le 13 novembre. »

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