Pourquoi Soleimani se trompe sur le Liban

Vendredi 25 octobre 2019 – 06:00
Amir Taheri
Amir Taheri a été rédacteur en chef du quotidien iranien Kayhan de 1972 à 1979. Il a travaillé ou écrit pour d’innombrables publications, publié onze livres et est chroniqueur pour Asharq Al-Awsat depuis 1987.

Selon les médias contrôlés par l’État à Téhéran, la vague de manifestations au Liban parle de «solidarité avec la Palestine». Les photos d’une douzaine de personnes brûlant des drapeaux israéliens et américains à Beyrouth sont accompagnées de légendes surréalistes de «résistants libanais» appelant au djihad contre les «sionistes meurtriers» et le «grand satan» américain.

Ce qui est certain, c’est que le soulèvement a ébranlé l’univers parallèle du major-général Qassem Soleimani, créé autour de la représentation du Liban comme la tête de pont de la conquête du Moyen-Orient par l’idéologie Khomeiniste. Ceux qui sont familiers avec la propagande de Téhéran savent que les mollahs considèrent le Liban comme leur tentative la plus réussie de construction d’un empire, valant bien chaque centimes des milliards de dollars investis dans ce pays.

Les médias de Téhéran se vantent souvent que le Liban est le seul pays où la République islamique contrôle tous les leviers du pouvoir, de la présidence aux services de sécurité, en passant par le Conseil des ministres et le parlement. Plus important encore, peut-être que Téhéran a noué des alliances avec des personnalités et des groupes puissants au sein de chacune des «familles» ethniques et sectaires qui constituent le Liban.

En Irak, l’Iran doit faire face à la présence de puissants partis et personnalités arabes et kurdes sunnites qui, bien que prêts à accueillir Téhéran, refusent d’agir en fantoches.

Au Yémen, bien que dépendant de l’argent de Téhéran pour la survie, les Houthis tentent de ne pas se laisser entraîner dans la stratégie khomeiniste d’hégémonie régionale.

En Syrie, Téhéran doit faire face à Bachar al-Assad et aux vestiges de sa juridiction, qui considère la présence iranienne comme une simple perversité imposée par les événements et nécessaire à sa survie.

À Gaza, Téhéran doit son influence sporadique aux gros chèques signés au Hamas, la branche palestinienne des Frères musulmans. Cependant, la rivalité idéologique entre le khoméinisme et l’Ikhwanisme jette une ombre permanente sur les relations entre les deux groupes. En outre, Téhéran est obligé de faire face à la présence de puissants rivaux en Irak, notamment les États-Unis, et en Syrie, sous la forme de la Russie et désormais, de la Turquie.

Dans son premier entretien avec la presse écrite à Téhéran le mois dernier, le général Soleimani a présenté le Liban comme un exemple éclatant de son succès dans la construction d’un empire, exprimant ainsi le récit de l’univers parallèle qui a éloigné les mollahs de la réalité.

L’entrevue de 6 000 mots, destinée à rendre compte de la guerre de 33 jours entre Israël et la branche libanaise du Hezbollah, poursuit trois objectifs. La première consiste à établir l’image de Soleimani en tant que maître stratège capable d’affronter la puissante armée israélienne et de la pousser au bord de la destruction.

« Si la guerre de 33 jours ne s’était pas arrêtée, l’armée du régime sioniste se serait désintégrée », affirme-t-il sans s’étrangler.

Cependant, pourquoi le général a-t-il décidé d’arrêter la guerre et de sauver ainsi l’armée israélienne?

Soleimani affirme que l’architecte du cessez-le-feu qui a sauvé les Israéliens était le Premier ministre qatari de l’époque, Cheikh Hamad, assisté de l’ancien ambassadeur des États-Unis auprès de l’ONU, John Bolton. Soleimani n’explique pas pourquoi lui et son chef à Téhéran, le «Guide suprême» Ali Khamenei, ont approuvé un plan élaboré par le cheikh qatari et le diplomate américain pour sauver l’armée israélienne au bord de la désintégration.

Le deuxième objectif de Soleimani est de prétendre que la guerre a obligé Israël à renoncer à ce qu’il appelle «la stratégie de guerre préventive de Ben Gourion», qui impliquait de faire passer les États arabes chez le dentiste tous les 10 ans et de détruire leurs armées avant qu’elles ne puissent tenter de mordre l’Etat juif.

En d’autres termes, si l’on en croit Soleimani, les Arabes pourraient désormais dormir en paix, certains qu’Israël ne leur lancera jamais une guerre préventive.

L’ironie est qu’au cours des 18 derniers mois, Israël a perpétré plus de 300 attaques contre des cibles iraniennes en Syrie et en Irak, faisant des centaines de morts, tandis que Soleimani et ses mercenaires maintenaient un profil aussi bas que possible.

Parmi les trois objectifs possibles de Soleimani, le plus important est peut-être le troisième.

De manière nonchalante, il décrit le Liban comme un simple territoire sans gouvernement propre, sa seule justification étant d’être un tremplin (glacis) pour la République islamique. Il parle de ses fréquentes allées et venues au Liban sans jamais mentionner qu’il ait été invité, et encore moins doté d’un visa, par une autorité libanaise. Il ne se soucie pas non plus de dire qui a autorisé le flot d’armes, y compris des milliers de missiles, apportés au Liban via l’Irak et la Syrie. Il n’y a aucune référence à un quelconque accord d’une quelconque autorité autorisant une unité militaire étrangère à mener une guerre contre un pays voisin depuis le territoire libanais.

Pour ce qui est de la guerre, Soleimani affirme qu’un comité de trois membres, composé de lui-même, du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et de feu Imad Mughniyah. Lorsque le comité composé de trois personnes ne pouvait pas régler un problème majeur, Soleimani se précipitait à Téhéran et, une autre fois, jusqu’à Mash’had, pour obtenir des instructions de Khamenei. Personne n’a parlé au président libanais, au Premier ministre, au ministre de la Défense ou au chef de l’armée, sans parler du citoyen libanais à qui on n’a jamais dit qui avait déclenché la guerre ni pourquoi.

Sans le vouloir, Soleimani montre que, bien qu’elle ait mis en danger la vie de tous les citoyens libanais indépendamment des différences confessionnelles, la guerre déclenchée par le Hezbollah visait à vaincre «un sinistre complot anti-chiite» de la part des Israéliens visant à capturer 30 000 Chiites libanais, à les mettre dans des camps et à donner leurs villages à des non-chiites pour modifier l’équilibre démographique le long de la ligne de cessez-le-feu.

Pour montrer la prétendue lâcheté des Libanais non chiites, Soleimani parle de «frères sunnites et chrétiens assis dans leurs villages, fumant du narguilé et buvant du thé», alors que le Hezbollah chiite s’est battu pour détruire «l’ennemi sioniste». Cependant, de peur que les gens ne voient cela comme une guerre sectaire, Soleimani déclare: «Le Hezbollah est le principal protecteur de la nation libanaise».

Je pense que Soleimani a tort d’effacer le Liban en tant qu’État-nation et de le réinventer en tant que tête de pont iranienne. Connaissant le Liban depuis plus d’un demi-siècle, je peux lui dire qu’il existe un concept de «Libanais» qui transcende les clivages sectaires et politiques. Les Libanais se tournent vers la Méditerranée et les possibilités excitantes du monde moderne plutôt que les ruines du programme iranien sous les mollahs avec leur idéologie antédiluvienne. En matière de goût, le Liban est plus proche de la plage que du bunker.

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Jg

Bonne clarification .
Cependant ,l Iran avec ses ramifications dans la région ,et aussi dans le monde ,Europe ,Amérique latine ,joue le va tout ,et rien ne l arrêtera .
Seules les sanctions américaines arriveront ,peut être a ce qu un jour les iraniens se révolter ont en masse pour prendre d assaut tous les palais occupés par les mollahs ,
Encore de longues années !

Moshé

Restons optimistes, ça commence à craquer du côté chiite au Liban, en Irak, et peut-être en Iran?
Moi aussi je crois fermement à l’efficacité des sanctions américaines ( la monnaie iranienne a perdu 70% de sa valeur, et ce n’est pas fini). Et puis, comparé à une guerre qui coûte très cher (voir le prix d’un missile, c’est exorbitant), les sanctions, ça ne leur coûte rien, et ça pousse le peuple à se révolter, c’est tout bénef…rien à payer!