Patrice Quélard, Place aux immortels (Plon) (Prix de la gendarmerie nationale)

par Maurice-Ruben HAYOUN

 

Saint-Nazaire. Patrice Quélard, lauréat du 1er Prix du Roman de la gendarmerie - Saint-Nazaire.maville.com

On apprend à tout âge ! J’ignorai jusqu’à l’existence de ce prix institué pour la gloire de la gendarmerie nationale. Et c’est la première fois que ce prix est décerné. Il dispose d’un jury composé de personnalités du monde littéraire ou académique en général, et est présidé par un général, le directeur général de toute la gendarmerie nationale. Pour ma part, je me félicite d’un tel prix qui humanise le métier de gendarme et révèle aussi, par la même occasion, tout ce qu’on lui doit. Le prix justement couronne toute œuvre littéraire qui accorde à ce corps militaire un rôle primordial.

Il s’agit d’un roman qui se passe au cours de la Grande Guerre. La France qui s’attendait à une guerre courte et victorieuse subit les bombardements allemands qui chamboulent toute vie civile. Du coup, la prévôté, en gros la police militaire, est très sollicitée. Le héros principal change d’affectation et se rend dans une petite ville du pays pour prendre son commandement d’une petite trentaine de gendarmes chargés du maintien de l’ordre et de la discipline, mais aussi de porter aide et assistance à une population en détresse. Les artilleurs allemands ne font pas la différence entre les tranchées des poilus et les habitations de simples civils. La légion de gendarmerie doit aussi séparer les soldats éméchés qui ont bu trop d’alcool. Mais il y a aussi les suicides, les soldats qui en ont assez de se faire tuer et qui libèrent leurs frustrations en perdant le contrôle de soi.

Mais il faut dire un mot du titre Place aux immortels. Il n’est nullement question de fauteuils à l’Académie. Il s’agit de gendarmes, membres de la prévôté, chargés de surveiller les soldats et de les rappeler à l’ordre s’il le faut. Pourquoi les nomme-t-on les immortels ? Parce qu’ils ne montent jamais au front et, par conséquent, sont à l’abri de toute blessure ou de mise à mort. Ce n’est donc pas un compliment mais une vraie injure.

Lorsque les prévôts ou les simples gendarmes se mêlent à la troupe, véritable chair à canon comme on le voit tout au long du livre, ils sont donc plus ou moins gentiment conspués par elle. L’auteur rappelle qu’il y a souvent des rixes nécessitant l’intervention des officiers pour séparer les pugilistes. Tout le roman se déroule sur cet arrière-plan : le rôle des gendarmes est ingrat, car ils sont chargés de veiller au bon ordre dans les rangs : ils font la chasse au déserteurs, veillent au respect des règles de couvre-feu durant les engagements, bloquent les routes pour dégager des convois exceptionnels ayant priorité absolue…

Bref, ils se rappellent au bon souvenir (sic) de leurs ouailles, ce qui leur vaut une certaine rancœur de la part des soldats. Lesquels leur reprochent d’être des planqués, alors que dans les tranchées on risque sa vie à tout instant du jour et de la nuit. Mais de telles fonctions comportent aussi de grands dangers : c’est que les soldats qu’il faut parfois arrêter et incarcérer sont armés d’au moins un fusil de guerre… et savent s’en servir.

Ce qui est intéressant, outre de savoureux échanges entre l’officier (un jeune lieutenant) et ses hommes, c’est l’analyse psychologique de chaque personnage. C’est aussi la manière dont le supérieur hiérarchique traite ses subordonnés Un exemple : l’officier prend ses quartiers dans une très vaste pièce alors que ses trois sous-officiers doivent cohabiter à trois dans un espace nettement plus réduit… Il décide de faire un échange : lui ira dans la pièce exiguë et les trois autres prendront possession de sa chambre.

On prend aussi connaissance du train-train tragique de la vie au front. Après chaque attaque, les escouades d’assaillants reviennent blessés et le plus souvent hachés menu par les mitrailleuses allemandes qui ne laissent aucun angle mort ; on assiste donc à la mise en terre des morts. Le nouveau-venu, le lieutenant, remarque qu’il y a tout près du front, deux cimetières dont l’un est complétement saturé, on se rabat alors sur l’autre. Mais même pendant les enterrements les obus pleuvent et l’on a droit à une description horrible : les explosions déterrent les morts fraîchement ensevelis, les chairs humaines calcinés refont surface et les soldats doivent à nouveau enfouir leurs camarades. Un autre détail : la gendarmerie étant un corps militaire, les hommes du rang ne sont pas logés à la même enseigne que les officiers.

On l’apprend lorsque la veuve du précédent prévôt, prétendument fauché (mais en réalité victime d’une conjuration meurtrière de ses hommes) par une rafale allemande, vient se recueillir sur la tombe de son mari. Le chef du groupe cède sa chambre la veuve pour la nuit et va dormir ailleurs… Et l’on apprend que l’on prend certaines précautions contre la pluie ou la neige qui délavent les noms des sépultures que l’on n’arrive plus à reconnaître..

Tous ces détails forment la trame du roman qui est plutôt bien écrit et fait aussi preuve d’une certaine liberté d’esprit. Ainsi quelques critiques contre l’institution sont bienvenues à l’égard de l’institution qu’il met en valeur. Ainsi, des échanges libres et francs entre le chef et ses subordonnés, Lorsqu’un déserteur occasionnel doit passer devant le conseil de guerre par simple négligence et non par la volonté délibérée de fuir son devoir ou de refus d’obéissance devant l’ennemi, le chef de groupe lui prodigue des conseils qui vont lui obtenir l’acquittement.

Et dans cet argumentaire, le lecteur non averti que je suis, apprend bien des choses sur l’esprit de corps au sein de la gendarmerie ; arrêtons nous un instant sur le statut du chef dans un corps si hiérarchisé, comme à l’armée. Le chef a toujours raison, toute contestation ruinerait l’efficacité des missions militaires. Aucune armée ne peut fonctionner normalement si chacun, au bout de la chaîne de commandement discute, ratiocine, remet en question, etc… Et à ce sujet, certaines pratiques laissent à désirer. On connaît la raideur des gendarmes lors des contrôles routiers, leur peu de réaction à la campagne le dimanche en cas de tapage nocturne des voisins…

Mais revenons au roman : le nouveau-venu, le lieutenant qui dirige la section est appelé pour constater un prétendu suicide. Il procède, de son propre chef, à des investigations pourtant interdites en temps de guerre, car dans une telle situation, l’armée a d’autres préoccupations : maquiller un meurtre en suicide ne l’intéresse guère. Mais le lieutenant ne pense pas ainsi. Il veut découvrir la vérité, d’autant que l’homme qu’il remplace, le lieutenant Le Corre n’est pas mort des suites d’un bombardement allemand ; et il y a un lien entre ces deux meurtres, un lien que la haute hiérarchie militaire ne veut pas reconnaître. Doit-on dire que la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique ? Non point, le jeune lieutenant sauve l’honneur. La justice reste la justice. Toutes proportions gardées, cette histoire romanesque m’a fait penser au livre de Hans Helmut Kirst, La fabrique des officiers…

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

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