Michel Barnier, La grande illusion. Journal secret du Brexit (2016-2020) Gallimard

Par Maurice-Ruben HAYOUN

C’est un document d’une grande rareté que nous offre ici l’ancien ministre français, devenu, suite à ses importantes fonctions européennes, chef négociateur du Brexit. Michel Barnier. Et autant le dire d’emblée, j’ai un préjugé favorable à l’égard de cet homme politique que je considère comme particulièrement bien accompli. Sans avoir l’honneur de le connaître personnellement. Dès les premières pages de ce beau volume, il proclame sa foi en l’Europe qu’il confond parfois un peu avec l’Union Européenne, source de tous nos maux (ou presque) par ces réglementations tatillonnes.
En tout état de cause, on sent chez l’auteur une authentique ferveur qui parcourt toutes ces pages où sont exposées les raisons qui ont poussé nos amis britanniques à quitter le navire de l’Union, et plus précisément l’institution qui gère l’Europe. Cependant, Michel Barnier n’est pas aveugle, bien au contraire il est très lucide sur les raisons qui poussèrent les gouvernements et le peuple britanniques à partir. Il reconnaît que l’Europe n’a pas les attributs d’une nation, elle reste un ensemble de pays, de patries, de sociétés différentes les uns des autres. Il fait preuve de lucidité au point qu’on se demande si on n’est pas en train de lire la chronique d’un divorce annoncé…
Sans chercher à s’ériger en juge, ce que je ne suis pas,, de multiples signes avant-coureurs signalaient en rouge que quelque chose n’allait pas. Au fond, le Royaume Uni a toujours opté pour le grand large, si cher à Winston Churchill. Ce que les Britanniques ont toujours cherché, ce n’est pas s’arrimer à l’Europe continentale, c’est accéder à un vaste marché. Je n’ai compris ce desideratum que quelques mois après la consommation du divorce lorsque j’entendis parler à la télévision une ménagère britannique de plus de cinquante ans, disant ceci : we are a small island. Tout était dit. Cette femme simple redoutait le danger d’une submersion et avait peur de voir l’UE imposer aux Etats membres la politique à suivre en matière d’immigration, notamment et de réglementation. Avait elle tort ? Non point. Puisque l’UE a osé imposer aux Etats membres un quota de réfugiés à accueillir, faute de quoi il y aurait des sanctions. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Je ne dis que c’est ce que dit MB mais si l’on pousse le raisonnement plus loin, on y aboutit
Chacun se souvient de cette folle nuit de juin 2016 au cours de laquelle nous partîmes nous coucher avec la victoire du remain pour se réveiller le lendemain avec le triomphe (certes, modéré) mais bien là du leave… Quand on prend ce livre en main, on a l’impression de pénétrer dans un train à très grande vitesse où les événements s’enchaînent sans répit ; on s’engouffre dans des trains mais aussi dans des avions dont se sert le futur négociateur en chef pour sillonner les capitales européennes afin de s’assurer de l’accord et du soutien des gouvernements. Je rappelle qu’il y en a vingt-sept… Visiblement, MB est un homme qui voyage beaucoup, et dîne ou déjeune tout autant.
MB nous explique aussi comment il a constitué ces équipes, s’entourant de personnes plutôt jeunes, compétentes, fiables et respectées afin de conduire à ses côtés les multiples négociations sur deux niveaux : négocier le divorce, le départ du Royaume-Uni de l’UE, d’une part, et définir les nouvelles relations avec les partants, d’autre part. Et ce ne fut pas une mince affaire. Et si j’ai bien retenu ce que j’ai lu chez MB, il y avait près de mille accords, conventions et contrats à détisser ; c’est dire si les liens entre les deux parties étaient forts et étendus.
MB s’arrête longuement sur un discours mémorable de la Première ministre Theresa May qui avance, étendard largement déployé, ne faisant pas mystère de ce qu’elle veut obtenir tout en soulignant les lignes rouges de son gouvernement. Ne pas oublier qu’elle est l’auteur d’un truisme célèbre : Brexit means Brexit. Quand on part, on est parti, pas question d’interpréter, dans un sens restrictif, les modalités de ce départ.
Quand on parle de négociations entre les vingt-sept et le Royaume Uni, on pense rarement à la vie, à l’avenir d’individus, d’êtres de chair et de sang dont l’existence va être bouleversée : par exemple, si vous êtes britannique et que vous résidez en France ou dans un autre Etat membre de l’UE, aurez vous, après l’entrée en vigueur du Brexit, les mêmes droits ailleurs, quand vous aurez quitté le pays ? MB accorde une certaine importance à ces drames humains car ce n’est pas un technocrate insensible, bien au contraire. Signe supplémentaire que nous avons affaire à un humaniste qui sait faire la part des choses.
Il a des qualités humaines indéniablement car il lui a fallu naviguer entre les écueils des différentes instituions européennes où nombre de bureaucrates font la loi. Mais il y a plus encore : il fallait recruter des gens qui soient compétents et qui s’entendent entre eux, qui acceptent de travailler en équipes, au fur et à mesure qu’il avançait sur son chemin, MB a dû étoffer ses équipes. Et même lors de ses déplacements, le négociateur ne pet pas partir avec toute son équipe qui compte près de soixante-dix personnes. Et cela crée généralement des frictions… MB a su gérer tout cela.
Ce qui frappe aussi le lecteur attentif, c’est la force intérieure du négociateur qui ne laisse jamais impressionner ni décourager. Et l’affaire n’a pas duré quelques semaines, mais bien quelques années. On lit dans ce journal quotidien du Brexit que les Britanniques trainaient les pieds et se présentaient aux séances de travail sans le moindre dossier. C’est que ces hauts fonctionnaires ne faisaient pas preuve de mauvaise volonté et leur mutisme ou leurs réponses vagues s’expliquaient par l’absence d’instructions claires de la part de leur gouvernement.
Pour se faire une idée juste de la complexité de ce divorce, il suffit de se pencher sur le dossier chypriote, où deux états s’affrontent et où deux bases britanniques existent sous souveraineté britannique. Or, la partie grecque restait dans l’UE tandis que l’autre, restait rattachée à la Turquie. Sans même parler du devenir des relations commerciales… Et je ne parle même pas du dossier irlandais ou écossais .
Mais l’pine dorsale de la position britannique est assez simple quoiqu’intenable, à la longue : viser un accord global le plus avantageux possible ; selon le principe : rien n’est acquis tant que tout n’est pas acquis globalement ; en d’autres termes, le Royaume Uni veut lier les dédommagements financiers à l’accord sur les relations futures avec l’UE. C’’était un blocage qui empêche la moindre avancée dans les négociations. L’UE ne veut pas un accord à la carte où les sortants choisiraient ce qu’ils gardent et rejetteraient ce dont ils ne veulent plus. Sans prendre le parti des Britanniques, il faut bien reconnaître que les sommes initialement exigées variaient entre 50 et 60 milliards d’Euros… On sent bien que le dossier britannique avait aussi pour objectif de dissuader d’éventuelles sorties de l’UE. Et on sait que certains petits pays de l’ancien glacis soviétique ont dû y réfléchir à deux fois avant de se déterminer…
On ne peut pas dans le cadre de ce compte-rendu (déjà long) passer sous silence l’entrevue de MB avec le chef des Brexiters Nigel Farage qui avoue son projet de fond, détruire l’EU (Après le Brexit, l’UE n’existera plus…) Voilà qui est très clair.
On ne peut pas tout reprendre par le menu : les difficultés avec Theresa May, les roueries de son successeur, bref après ce divorce remporté de haute lutte, une nouvelle négociation doit s’engager. Voici ce qu’écrit MB : Notre but est de conclure un partenariat ambitieux avec le Royaume-Uni. Mais nous devons être lucides : le partenariat le plus ambitieux, nous l’avions ! Le divorce en soi est un nouvel état, mais quid des relations nouvelles avec un Etat membre qui a repris sa liberté ? On cite le cas de la pêche avec un Royaume-Uni qui reprend sa souveraineté exclusive sur ses eaux territoriales, ce qui signifie que les pécheurs vont devoir gérer une situation nouvelle. Or, les Britanniques le savaient et entendaient exploiter ce vide.
Comment conclure ? Je suis impressionné par l’activité débordante de MB qui doit connaître désormais à la perfection les gares et les aéroports de tous les pays. Il a fait ses preuves en tant que commissaire européen et aussi en tant que ministre de la République française. Il est désormais habilité à regarder plus haut et plus loin…

Mais faut-il continuer à faire de la politique ? Les dernières pages de ce livre nous présentent un homme sensible à la chaleur et à la beauté du cocon familial. C’est peut-être aussi cela réussir sa vie…

Maurice-Ruben HAYOUN, professeur à l’Uni de Genève.
Dernier livre paru : La pratique religieuse juive (Paris, Geuthner, 2019)

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Filouthai

Des hommes qui accomplissent leur tâche avec competence et dans l’honneur, il y en a des milliers dans les entreprises françaises !
Je ne suis pas sûr qu’il y en ait autant dans la classe politique qui en France attire les « papillons » par la lueur éclatante de ses rémunérations himalayennes et l’énormité des avantages de tous ordres dont bénéficient des politiciens souvent incompetents et dans tous les cas, cupides !