Mais les Falestiniens veulent-ils d’un Etat ?

2ème partie

Par Jean-Pierre Lledo, cinéaste.

Ce système c’est celui de la dictature nécessaire et sa fonction est d’unifier[6] des forces sociales relevant du clan ou de la tribu, bien incapables de faire éclore une nation fondée sur un contrat entre des individus libres d’exercer leur raison et leur volonté. Dans le monde arabo-musulman, il n’y a aujourd’hui aucun pays où la dictature militaire, qu’elle soit plutôt laïque ou plutôt religieuse, ne joue ce rôle, au prix le plus souvent d’épouvantables guerres civiles de longue durée, suivies quelquefois de quelques libéralités…

Je vivais encore à Alger, lorsqu’en Novembre 1988 se réunit la 19ème session du Conseil National Palestinien de l’OLP. Les débats de la plénière, qui furent retransmis en direct par l’unique chaîne de TV, provoquèrent l’admiration des Algériens qui vivaient sous la dictature du parti unique du FLN depuis l’indépendance de 1962 : ‘’on y débat librement, les Palestiniens donnent une leçon de démocratie à tous les Arabes….’’.

Ce qui échappa à la grande majorité des téléspectateurs algériens, dont moi, c’est que les intervenants parlaient au nom d’organisations politico-militaires dont la profusion des sigles[7] disait justement le compartimentage de la société falestinienne, la mission dévolue au grand Chef, Arafat en l’occurrence, étant d’en acheter l’allégeance[8]… Mission à vrai dire héroïque, car à la différence des grands leaders maximos de notre temps, chefs d’une armée unique, le moindre engagement du grand chef falestinien devant les nations doit être aussitôt validé auprès d’une cohorte de petits et moyens chefs, lesquels devront préalablement s’assurer des sentiments de leurs officiers… J’ai bien dit ‘’le moindre’’… Alors imaginez un ‘’processus de paix’’ avec le diable en personne, je veux dire ‘’l’entité sioniste’’ !

Et lorsqu’Israël, à la faveur des Accords d’Oslo, accordera aux Falestiniens une partie de la Judée Samarie et la Bande de Gaza, ce dont les Arabes s’étaient bien gardés de faire entre 1949 et 1967, cette fausse démocratie régnant au sein de l’OLP se commua instantanément en système dictatorial du nouvel embryon d’Etat, avec Arafat comme président du Fatah, de l’OLP et ensuite de l’AP (Autorité Palestinienne), chef de toutes les polices (Arafat en avait 6 dont le Renseignement et c’est bien un minimum lorsqu’il s’agit de maitriser les volontés diverses des petits et moyens chefs !) et surtout chef du Trésor éparpillé dans différentes banques auxquelles seul lui avait accès[9], instrument décisif pour se faire respecter dans le système falestinien…

L’exercice du métier de Président dans le monde arabo-musulman, est assez proche de celui des premières royautés qui devaient gérer des Princes (presque) tout aussi puissants qu’eux, par la séduction (vénale) ou la punition (létale)… Ce système a une cohérence qui le voue à l’éternité ou presque, car il a capacité à digérer toutes les turbulences (de la manière que nous venons juste d’évoquer).

Certaines élites intellectuelles et politiques se réclamant de la démocratie (même si elles-mêmes arrivent très mal à se défaire de la pensée unanimiste, entre autres anti-Israël) peuvent bien crier cycliquement, comme des crises d’urticaire, leurs désirs de s’en défaire, mais la plupart du temps, en vain, sauf à déclencher un processus déséquilibrant dont elles ne retireraient aucun profit, mais qui tout au contraire pourrait engendrer une aggravation.

Ce système a garantie de pérennité et ce n’est pas le cas falestinien qui nous démentira. L’un des premiers contestataires du système arafatien ne fut-il pas Mahmoud Abbas ? N’est-ce pas lui qui justifiait sa demande de démission le 4 Sept 2003 ainsi : «… Je ne peux ni dévier, ni faire scission, ni affronter la légitimité représentée par Y. Arafat. Si nous ne sommes pas d’accord, tout ce que je peux faire, c’est de partir, seul….  Tout ce qui se passe dans les négociations est ordonné par Arafat…. Seule est habilitée à décider l’OLP qui est une coalition de Mouvements sans aucune légitimité démocratique…. »

Mais lorsqu’après la mort de Yasser Arafat, il est élu président le 9 Janvier 2005, n’est-ce pas de sa bouche que sortent ces premiers mots : « Je suis obligé de poursuivre la politique de Yasser Arafat. Je suis lié au dernier discours d’Arafat devant le Conseil constitutif — du 18 août 2004 —. S’il s’agit d’un discours extrémiste, comme certains le prétendent, je suis également extrémiste, mais en fait je ne le suis pas. Je l’ai relu et je peux vous confirmer que les propos d’Arafat sont logiques et pragmatiques et que j’y adhère complètement. » (Wikipédia). Logiques et pragmatiques !

Logiques, puisqu’un homme si déterminé soit-il ne peut défaire un système qui garantit malgré tout une certaine unité des clans… Et pragmatiques bien sûr, puisqu’il faut bien des polices pour mettre au pas les déviants, des espèces sonnantes et trébuchantes  pour prévenir les dissidences (d’ailleurs il conserve le même ‘’conseiller financier’’ d’Arafat, le kurde irakien Mohamed Rashid), un partage relativement équitable entre les principaux groupes décideurs politiques et militaires d’une trentaine de monopoles de l’importation des produits de consommation (sucre, café, pharmacie, tabac, véhicules, gaz, etc…), Mahmoud Abbas, enfin ses enfants, conservant ceux des produits électro-ménagers et informatiques… Quant aux incorruptibles, tel Salem Fayyad[10], ils connaitront le même sort avec Abbas qu’avec Arafat : évincés à la moindre anicroche.

Et puisqu’il faut bien de l’idéologie pour masquer l’obscénité des transactions monopolistiques grâce auxquelles poussent comme des champignons les beaux Palaces et les injustices sociales malgré tout largement atténuées par la corruption des petits grâce à la manne de l’UNWRA[11], Abbas ne peut que puiser à la même source de ce faux nationalisme religieux anti-israélien et judéophobe : ‘’Les Rabbins veulent empoisonner nos puits’’ (23 Juin 2016, discours devant le Parlement de l’Union européenne à Bruxelles qui l’ovationné), ‘’ Munich, (Le massacre des athlètes israéliens aux Jeux Olympiques), opération héroïque et l’une des plus importantes actions de l’histoire moderne’’. (2016). ‘’Les Juifs sont des maîtres de la falsification comme nous l’enseigne le Coran’’ (devant l’Organisation de la Coopération Islamique, Décembre 2017).

Un tel système, disais-je plus avant, est voué à la pérennité. Structurellement improductif, il ne peut se maintenir que tant que la redistribution des richesses naturelles endogènes, ou exogènes comme dans le cas falestinien, le permettra. Partage au sommet de richesses mal acquises entre les chefs de clans familiaux, politiques, militaires, et monopolistiques coincés entre leur désir d’indépendance de petits potentats locaux et la nécessité de respecter la Loi du dictateur en chef pour avoir un accès légal à la manne… Mais partage aussi à la base des miettes afin de maintenir le petit peuple dans un état d’assistanat et de servitude volontaire, en le gratifiant même du Paradis.

Dans le cas falestinien, la manne provient de l’énormité des aides internationales (il y a quelques années, un journaliste égyptien écrivait que des millions de ses compatriotes rêvaient d’être ‘’falestiniens’’ et de vivre dans ‘’des camps de réfugiés’’, devenus aujourd’hui d’authentiques quartiers). Lorsque se tarira cette manne divine, sonnera alors le glas de ce système… Il y aura des guerres mafieuses pour s’accaparer des derniers restes et s’enfuir avec… Mais peut-être alors des incorruptibles, des élites contestatrices et de véritables patriotes émergeraient et seraient en mesure d’instaurer de nouvelles normes et valeurs : travail, justice, sécurité, liberté, démocratie, intégrité, responsabilité, respect du voisin, compromis[12], paix…

Ce qui pour les Falestiniens voudrait dire bannissement de la judéophobie, respect de l’histoire juive trimillénaire, fin du culte de la violence qui gangrène l’intérieur même de leur société, mise en place de nouveaux canons d’éducation à tous les niveaux, etc… Alors au ‘’nationalisme contre’’ se substituerait un ‘’nationalisme pour’’. Au modèle arabo-musulman où la nation n’a de consistance que dans son opposition à l’autre, puis qui après l’indépendance ne peut se maintenir sans dictature militaire, plus ou moins laïque et/ou religieuse, se substituerait le modèle européen du 18ème et 19ème siècle où la nation tire fierté de son identité par le degré de liberté, d’esprit d’entreprise, de productivité, de créativité, d’intelligence, de culture, de science, d’art, d’éthique, de tolérance et d’humanisme.

Malgré leur proximité avec le monde arabo-musulman, les élites israéliennes, intellectuelles, politiques et plus gravement diplomatiques, surtout celles se réclamant de la gauche, issues du monde intellectuel européen, semblent ignorer ses caractéristiques profondes. Les connaitre mieux devrait leur permettre de comprendre que la paix ne viendra jamais du changement d’un ‘’mauvais’’ leader, que la volonté de faire disparaitre Israël est constitutive de ce faux nationalisme que nous avons déconstruit, et qu’il n’y aura pas de vrai ‘’processus de paix’’, tant que ce système fragmenté, mafieux, improductif et corrompu aura la ressource de se maintenir.

La paix en faisant disparaitre la négativité du conflit, déstabiliserait ce système qui fonctionne au bellicisme, et endommagerait gravement l’image de soi d’un nationalisme de pacotille incapable de s’affirmer autrement que par la violence contre ‘’l’ennemi’’ mais aussi dans un second temps contre les siens.

Seuls les Américains et les Israéliens qui depuis près de trois décennies ont concrètement participé aux ‘’processus de paix’’ ont pu sinon comprendre du moins subodorer que le système falestinien carburait, comme tous les systèmes autistiques, au déni de réalité. Déni à la source même d’une diplomatie capricieuse qui confond négociation et diktat, et qui se serait depuis longtemps délégitimée si elle n’avait été soutenue par une Europe occidentale dhimmisée par l’OCI (Organisation de la Communauté Islamique) où se trouvent les clés de son réservoir énergétique.

Le diagnostic d’ensemble n’est donc à vrai dire pas très optimiste. Les élites européennes de gauche qui ont longtemps prophétisé que le nationalisme falestinien, aux avant-postes du front israélo-arabe et judéo-musulman, deviendrait le moteur d’un renouveau du monde arabo-musulman (fonction qui fut dévolue à l’Algérie durant sa guerre d’indépendance, puis quelques années après, avec le succès que l’on sait) devront déchanter. Le processus sera sans doute exactement inverse. Ce seront les grands pays de culture, l’Egypte et la Perse qui, une fois débarrassés du carcan fondamentaliste, incarneront le progrès et la paix et seront en mesure de faire comprendre aux Falestiniens comment raison garder…

Alors enfin, le peuple falestinien se dotant d’un système démocratique et de vrais représentants élus, non cooptés et non corrompus, voudra vraiment d’un Etat, d’abord pour se prouver à lui-même qu’il existe indépendamment de son voisin, et cherchera à négocier positivement en acceptant l’autre à ses côtés, dans sa différence et avec son histoire trimillénaire. Arafat et Abbas ne seront plus que de pénibles souvenirs dans le cimetière des (mauvais) Pères fondateurs et non plus ces héros que ‘’l’on portait sur ses épaules en signe de respect du fait qu’ils avaient fait échouer les négociations’’[13]… Et il pourra enfin choisir et élire son Président lequel n’aura de comptes à rendre qu’à lui et non à une multitude de potentats qui n’auront plus leurs milices et leurs missiles pour s’imposer…

Les pessimistes m’objecteront que je suis en train de décrire des temps messianiques. Peut-être, mais attention, je n’ai pas dit que d’ici là l’histoire s’arrêtera… Quelles qu’atténuantes que soient les circonstances, les retardataires auront toujours tort… Bon gré. Ou mal gré.

4 Juin 2020

Jean-Pierre Lledo

1ère Partie : Mais les Falestiniens veulent-ils d’un Etat? 

[7] Notamment, l’ancêtre Fatah doté de plusieurs organisations armées, Tanzim, Brigade des martyrs d’el Aqsa, Force 17 (sans parler des autres organisations issues de scissions, Fatah-Conseil Revolut (Fatah-CR), Septembre Noir), FPLP, FPLP-CG, MNA, FDLP, FLP, PPP, ALP, FLA,FNP,  Sa’iqa sans oublier le Hamas et sa branche armée Brigades Izz al-Din al-Qassam, et le Djihad islamique…

[8] « Nous n’avons pas défini les règles qui devaient lier l’Autorité et le peuple… Nous avons au contraire penché vers un pouvoir qui s’exerce dans l’esprit de partager le butin, et non pas le partage des responsabilités… Dans la formation de nos gouvernements, nous n’avons pris en compte aucun mérite professionnel ou moral, mais des considérations politiques et tribales… La justesse de notre cause autorise-t-elle tout ce chaos ?… / Qu’est ce qui nous empêche de lancer le chantier de la réforme de la Justice ? Qu’est ce qui nous empêche de mettre de l’ordre dans ce chaos indescriptible qui s’empare de l’administration, où ‘’l’armée des fonctionnaires’’ dépassent les 130 000 hommes dont les trois quart ne savent pas ce qu’ils font là ? ». Nabil Amroun ex-ministre chargé des relations avec le Parlement démissionne en Mai 2002, puis s’exile (Lettre ouverte à Arafat, El Hayat, basé à Londres, 2 Sept 2002).

[9] « Les salaires versés en espèces aux services de sécurité, polices parallèles et concurrentes mises sur pied par Yasser Arafat. Le ministre des finances Salem Fayyad voulait faire des virements, comme à tous les employés de l’AP. Les chefs de ces services refusèrent. Ils avaient l’habitude de recevoir des enveloppes. Moyen pour eux de conserver le contrôle sur leurs hommes… »… M. Abbas (Discours au Parlement le 4 Sept 2003, Arche N°548).

[10] Salem Fayyad à Valérie Offenberg : « L’Autorité Palestinienne était corrompue. Nous devons changer la mentalité des Palestiniens. Nous voulons que notre peuple se sente libre… ». (1er Juillet 2003. Proche-Orient.info) . Fayyad a CBS : « Tous les mois, 20 millions de dollars étaient distribués aux forces de sécurité, de main à main, en liquideDe plus avec le Système des monopoles les gens sont grugés. Arafat attribue à des proches des licences d’exploitation sur des produits. Ils sont ainsi les seuls à pouvoir acheter puis à revendre avec des taxes… Et surtout à Gaza…C’est absolument immoral… ! »

[11] L’UNWRA est l’organisation spécialement dédiée par l’ONU aux ‘’réfugiés palestiniens’’, c’est-à-dire aujourd’hui à leurs enfants et petits-enfants, un peu comme en Algérie, où l’Organisation des Anciens Moujahidine décerne honneurs et dividendes aux enfants et petits-enfants des anciens combattants de la guerre d’indépendance, aujourd’hui presque tous disparus… A propos de l’UNWRA, signalons l’excellent livre d’Adi Schwartz et de Einat Wilf, ‘’The War of Return’’

https://us.macmillan.com/books/9781250252760?utm_source=EmailMarketing&utm_medium=email&utm_campaign=%22The+War+of+Return%22+is+now+available!

[12] L’intellectuel égyptien Tarek Heggy fait le constat suivant : « Il y a quelques années, j’ai découvert qu’il n’existait pas en arabe d’équivalent au terme « compromis », ni en arabe classique, ni en arabe familier, de sorte qu’on le traduit par un mot composé, qui signifie littéralement : « solution intermédiaire ». … / Dans notre région du monde, un grand nombre de personnes, même instruites, associent le mot « compromis » à d’autres termes négatifs comme « soumission », « retraite », «capitulation», « faiblesse » et « défaite »…/  Cette mentalité du « tout ou rien » est auto-destructrice.

[13] Ce que constata avec dépit l’intellectuel égyptien Amin Al Mahdi, quand Arafat revint de Camp David à Gaza. Et ajoutait-il : ‘’Abu Ammar  a encore fait du peuple palest un bouclier humain protégeant le régime arabe de l’agression de la modernité et de la liberté’’. (El Hayat 9 Sept 2002, MEMRI N° 422).

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Cmoiwilly

Les Palestiniens ne veulent pas d’un Etat , ils veulent détruire un Etat