Mais les Falestiniens veulent-ils d’un Etat ?

1ère Partie

Par Jean-Pierre Lledo, cinéaste.

Alors qu’après une année de paralysie politique, Israël vient de se doter d’un nouveau gouvernement d’union nationale dont la principale mission, après la gestion de la pandémie du Covid 19, sera de réagir au nouveau Plan de Paix proposé par le Président des USA Donald Trump, mais déjà refusé par les dirigeants falestiniens, c’est là une question qui s’est imposé à moi au sortir d’un livre publié en 2004, ‘’Le Livre noir de l’Autorité palestinienne’’ de Catherine Leuchter, livre bourré d’informations et déclarations qui s’étalent sur un demi-siècle et d’autant plus précieuses qu’elles m’ont permis de combler mes propres lacunes concernant une période durant laquelle Israël était le dernier de mes soucis, livre que je ne saurais trop recommander, qui mériterait une suite de 2003 à aujourd’hui, et dont proviendront la quasi-totalité des citations ici présentes…

Et s’ils n’en voulaient pas d’un Etat ? L’hypothèse est plus que légitime en ces jours où les Falestiniens[1] pourraient fêter, tout comme Israël, leur 72ème anniversaire. 72 ans, et même plus, de créativité d’un côté. 72 ans, et même plus, de négativité et de destructivité de l’autre, émaillés d’une longue série de refus. Refus du partage proposé en 1936 par la Commission Peel, puis en 1947 par l’ONU. Refus de se constituer en Etat lorsque de 1949 à 1967 la Judée-Samarie et la Bande de Gaza étaient entre les mains arabes, respectivement, de la Jordanie et de l’Egypte. Refus de faire aboutir pacifiquement le processus de paix dit d’Oslo, initié par le gouvernement israélien de Rabin, au début des années 90, puis relancé par les gouvernements Barak et Olmert, durant les années 2000, sous l’impulsion initiale des USA de Clinton[2].

Dans ces conditions, quelle autre alternative pouvait-il y avoir à la violence ? Guerres arabes de 48, de 67, de 73 auxquelles s’ajoutent depuis un siècle les terrorismes falestiniens, devenant avec le temps de plus en plus horribles, au moyen de bombes humaines, ciblant les civils, n’épargnant ni les enfants, ni les femmes, ni les vieillards.

D’Oslo en 93-95 à Taba en 1996 puis au Protocole d’Hébron en 1997, du Mémorandum de Wye River signé par Netanyaou en 1998 au Mémorandum de Sharm el Cheikh en 1999, de CAMP DAVID II aux ‘’Paramètres Clinton’’, en 2000, de ‘’la Feuille de route’’ au Sommet d’Aqaba en la présence de Sharon, en 2003, les Israéliens ne prétextèrent jamais du terrorisme pour ne pas revenir à la table des négociations. Qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi, ceux qui en Israël, et plus encore, hors d’Israël, tentent de faire porter la responsabilité du refus de négocier sur la droite, se trompent : Rabin, Barak et Olmert n’en étaient pas[3]. Et en face, ni Netanyaou ni Sharon[4] ne se dirent opposés à l’apparition d’un Etat falestinien.

Pourrait-on être plus clair que l’écrivain défunt Amos Oz,  fondateur de ‘’Shalom Archav’’ (Paix Maintenant) qui militait pour un Etat falestinien ? « La revendication palestinienne du droit au retour va à l’encontre du droit d’Israël à l’existence. Aucun compromis n’est envisageable entre le droit pour Israël d’exister et un principe qui implique sa destruction. Les Palestiniens veulent le beurre et l’argent du beurre. Ils me disent à la fois : ‘’Sortez de chez vous !’’ (en clair ‘’démantelez les colonies’’) et ‘’laissez-nous allez chez vous !’’ (au nom du droit au retour)…  ‘’Notre maison nous appartient, mais la vôtre aussi’’. ». Voilà le message de notre interlocuteur. » (Figaro 4 Février 2001).

Une fois les pays arabes triplement défaits militairement (49, 67, 73), voire humiliés, les dirigeants falestiniens pouvaient-ils croire obtenir avec le terrorisme ce qu’ils se montraient incapables d’obtenir par la négociation ? Certains intellectuels, et même certains dirigeants, persuadés que le recours à la violence n’entravait nullement le développement continu d’Israël, mais par contre menait la société falestinienne à une impasse, ne tentèrent-ils pas d’alerter leur opinion publique ? Un Appel ne fut-il pas lancé le 19 Juin 2002, par 55 personnalités falestiniennes contre les attentats suicides qui ‘’tuent l’espoir de voir les 2 peuples vivre côte à côte dans 2 Etats voisins’’.

L’universitaire Sari Nusseibeh ne co-signa-t-il pas le 27 Juillet 2002 avec le général israélien Ami Ayalon, ancien chef du Shin Bet, une ‘’Déclaration de principes ‘’ prônant 2 Etats, laquelle recueillera près  de 180 000 signatures dont 65 000 arabes (ce qui lui vaudra d’être limogé deux mois plus tard de son poste de ministre de Jérusalem et d’être traité par Arafat de ‘’traître à la nation’’). Le Cheikh Talal Sider mufti de Hébron ne condamnera-t-il pas publiquement l’attentat du Bus N°2 à Jérusalem le 19 Août 2003 ayant fait 23 morts et commis par un imam de Hébron ?

L’écrivain falestinien Taoufik Abou Bakr n’ira-t-il pas plus loin en osant critiquer ainsi son propre leadership : ‘’Les sionistes ont exploité toutes les occasions pour faire de l’histoire de ces 50 dernières années une suite d’opportunités… Comme l’a dit Ben Gourion en 1937 : « Je veux un Etat, n’importe quel Etat, même s’il doit avoir la taille d’une nappe ». Le jour où il a été question d’Etat, avec l’initiative Clinton à la fin de l’an 2000, nous sommes retournés au ‘’tout ou rien’’. Voilà la catastrophe qui nous a menés au désastre actuel. J’écris cela car j’ai entendu des responsables palestiniens, dont certains de l’OLP, faire les coqs, répétant qu’Israël est un Etat vieillissant qui n’en a plus que pour une dizaine d’années….. Il est difficile de trouver une culture plus profondément ancrée dans l’auto-illusion que notre culture arabe et palestinienne…’’ (Al Ayyam – 3 septembre 2003, repris par Memri N°573, le 14 sept 2003).

Pourquoi donc ces hommes de bon sens ne furent-ils pas écoutés, voire même utilisés pour favoriser des négociations qui auraient abouti, mais stigmatisés, violentés, écartés, et limogés lorsqu’ils avaient un poste, ne devant souvent leur salut qu’à l’exil ? Pourquoi, lorsqu’Israël consentit à accepter le retour des ‘’Tunisiens’’, c’est-à-dire d’Arafat, de ses chefs et de ses troupes, à Gaza, Jéricho puis à Hébron, Ramallah, Naplouse, Bethlehem, une décennie après les avoir chassés du Liban en 1982, pourquoi donc ces derniers n’en profitèrent-ils pas, pour mettre fin au terrorisme, aux discours bellicistes, et à l’éducation anti-juive et anti-israélienne de la jeunesse, comme l’exigeaient les Accords d’Oslo ?

Est-ce parce que : « Arafat est une sorte d’expression mythologique de la cause palestinienne plutôt qu’un leader au véritable sens du terme, c’est à dire un homme qui prend des décisions….  »,  comme le pensait l’un des principaux négociateurs du ‘’Processus de paix’’ depuis 1993, Shlomo Ben Ami, homme de gauche et ministre des affaires étrangères sous Barak ? (Interview Le Monde 15 Sept 2001). Mais alors, si effectivement Arafat qui fonda le Fatah dès 1959 incarnait à lui seul la légitimité falestinienne, même sans élections, sa disparition n’aurait-elle pas dû entrainer un changement autant de la stratégie que de la tactique ? Et ce d’autant plus que sa stature sacrée d’intouchable ne put empêcher diverses personnalités politiques, du niveau le plus haut, de le critiquer de son vivant même…

Nommé Premier Ministre 2 mois plus tôt, n’est-ce pas Mahmoud Abbas qui, le 29 avril 2003, s’engageant à appliquer ‘’la Feuille de route’’, dénonçait ainsi le terrorisme : « Ces méthodes ne nous permettent pas d’atteindre la paix à laquelle nous aspirons…. Nous n’ignorons pas les souffrances des Juifs à travers l’histoire… ». N’est-ce pas son ministre des Finances Salem Fayyed qui très courageusement n’hésita pas à dire crûment les choses ? « J’essaie de me mettre à la place des Israéliens et je comprends leur souci de sécurité. Pourquoi donner un pays à un peuple qui les hait, et qui à toute heure peut venir leur tirer dessus et veut tuer leurs enfants ? La majorité des Palestiniens ont  accepté la présence d’Israël. Pour ma part j’ai été élevé dans la haine des Israéliens et avec l’idée qu’Israël disparaitrait. Mais aujourd’hui nous savons qu’Israël est là pour toujours et que nous allons devoir vivre côte à côte… J’ajoute que c’est une grande chance pour nous de nous trouver voisin d’un pays démocratique et développé comme Israël. ».   (ITW Propos recueillis par Valerie Offenberg, 1er Juillet 2003 – Proche-Orient.info). 

Certes ces propos iconoclastes leur valurent d’être évincé quelques mois plus tard (en Septembre), mais succédant à Arafat, décédé en Novembre 2004, Mahmoud Abbas, qu’a-t-il fait sinon mettre ses pas dans ceux de son prédécesseur autant dans le dire que dans le faire ?         

N’est-ce pas alors la seconde hypothèse de Shlomo Ben Ami qu’il faudrait privilégier, car telle serait sinon la pensée politique de la totalité du personnel politique falestinien, du moins de sa très grande majorité et ce, quelles que soient la diversité de ses dirigeants ?  « Plus qu’ils ne veulent leur propre Etat, ils veulent condamner le nôtre…» (Haaretz, 14 sept 2001). « A mon avis, la raison profonde de cette attitude est qu’Arafat ne reconnait pas la légitimité de l’Etat juif, malgré nos différents accords… ». (Interview Le Monde 15 Sept 2001).                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               Nous verrons plus loin pourquoi même cette hypothèse devenue aujourd’hui en Israël un argument majeur de la droite, n’explique pas la valse falestinienne à mille temps, même si la profusion de discours ou de déclarations de chefs militaires ou politiques pourraient lui conférer la consistance d’une évidence. En voici quelques joyaux…

Marwan Barghouti chef du Fatah et de son organisation militaire Tanzim en Judée Samarie, actuellement en prison, en qui certains verraient bien le successeur de Abbas : ‘’Notre regard restera fixé sur notre but stratégique, à savoir la Palestine du Jourdain à la mer’’ (New Yorker, 2 Juillet 2001)… Faycal Husseini, aujourd’hui décédé, ministre en charge de Jérusalem jusqu’en 2001 : « Les Accords d’Oslo ou tout autre accord, sont justes une procédure temporaire ; une étape vers quelque chose de plus grand… » (Al Arabi -24 Juin 2001)… Abdullah El Hourani, qui fut Président du Comité politique du Conseil National de l’OLP : « le plan politique est un accord temporaire, le conflit demeure éternel… » (El Hayat El Jadida, 14  Avril 2000)… Abdelaziz Shahian qui fut ministre de l’Alimentation : « Le peuple palestinien a accepté les Accords d’Oslo comme une première étape et non comme un accord permanent, étant donné que la guerre et la lutte sur place sont plus efficaces que la lutte de l’extérieur » (Al Ayyam 30 Mai 2000, Palwatch, 28 Août 2003). Rafik Natshe, alors membre du Comité Central du Fatah, tint quant à lui à mettre les points sur les ‘’i’’ : «  Le Hamas dit : ‘’toute la Palestine est à nous et nous voulons la libérer de la Mer au Fleuve en un seul coup’’. Mais le Fatah qui est la main armée de l’OLP, pense qu’il est plus efficace de procéder selon le plan par étapes. Les 2 organisations sont d’accord sur le but final. Notre désaccord ne porte que sur la méthode à adopter pour atteindre ce but. » (El Kabs – 26 Dec 1989). Et comme le rappelle Arafat (après Oslo) : « L’accord d’Oslo constitue une étape importante dans la réalisation du plan par étapes adopté en 1974. »[5] (Ad-Destour, 19 Sept 95).

Cette litanie qui ne semble n’être qu’une variation sur un seul thème – étapes par étapes, faire  disparaître Israël – ne démontrerait-t-elle pas qu’il y a là une pensée politique à l’œuvre qui va bien au-delà de la personnalité de tel ou tel leader, et qui serait le ciment armé contre lequel viendrait se fracasser toute tentative de négocier, comme le pensait hier le diplomate de gauche Shlomo Ben Ami et comme le pense aujourd’hui la droite israélienne ?

Ce programme en 10 points plus connu sous le nom de ‘’Plan par étapes’’, élaboré rappelons-le après la défaite arabe de Kippour en 1973, se veut ‘’réaliste’’.  Il permet à Arafat de faire reconnaitre l’OLP comme seul et légitime représentant du peuple palestinien par la Ligue arabe (Rabat, octobre 1974) puis de la faire admettre comme  observateur à l’ONU (Novembre 1974) contre promesse de renoncer au terrorisme (en Avril et Mai 74, double massacres de Kiriat Shmona dans un immeuble – 18 résidents tués, dont 9 enfants – et de Maalot dans une école, 26 tués dont 21 collégiens).

Pourtant malgré la fourberie d’une pensée politique basée sur une arrière-pensée, je ne crois pas que là serait l’obstacle au succès de la négociation et à la paix. Car ce qui est plus fort qu’une pensée, ou même qu’une arrière-pensée, c’est le système qui la produit, et plus encore la fonction qu’il est censé jouer. Quel est ce système ? Quelle est sa fonction ?

 

Fin de la 1ère partie

 

2ème Partie : Mais les Falestiniens veulent-ils d’un Etat?

4 juin 2020,

 

Par Jean-Pierre Lledo, cinéaste.

[1] Cette orthographe relève d’un choix délibéré. Elle vise non pas à se rapprocher de la prononciation arabe qui ignore la lettre ‘’P’’,  mais à souligner justement cette ignorance qui signifie beaucoup : les dirigeants arabes qui longtemps récusèrent l’identité palestinienne, découvrirent soudain vers 1968 qu’ils étaient ‘’falestiniens’’, espérant obtenir le même effet négationniste que les Romains recherchèrent au 2ème siècle en substituant ‘’Palestine’’ à ‘’Judée’’.

[2] ‘’Le Président Arafat détient le record du nombre de visites à la Maison Blanche…’’ fit remarquer l’intellectuel égyptien Amin Al Mahdi. (El Hayat 9 Sept 2002, MEMRI N° 422).

[3] Même méprise pour la construction des Barrières de Sécurité. On les attribue à la droite qui y fut hostile, alors que c’est une idée de la gauche ! Nissim Zvili, ambassadeur à Paris (et homme de gauche) : «  Israël a entrepris la construction d’une barrière de sécurité pour honorer le premier devoir d’un Etat : protéger ses citoyens… Les Accords d Oslo n’auraient pas conduit à cet échec si de si belles intentions avaient été accompagnées de la construction d’une barrière de protection… permettant ainsi de se protéger des éléments destructeurs palestiniens qui ont réussi à torpiller les efforts de paix… ».

[4] Ariel Sharon : ‘’L’intérêt d’Israël n’est pas de gouverner les Palestiniens, mais qu’ils se gouvernent eux-mêmes dans leur propre Etat…’’. (Sommet d’Aqaba à Sharm el Cheikh, le 4 Juin 2003)

[5] Adopté lors de la  12ème session du Conseil National Palestinien réuni au Caire en Juin 1974/

[6] Je décris longuement la nature et la fonction de ce système dans mes deux livres ‘’La Révolution démocratique dans le monde arabe, Ah ! si c’était vrai’’, ‘’Le Monde arabe face à ses démons, Nationalisme, Islam, et Juifs’’. (Editions Colin, France).

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martin

tant que l’esprit d’amalek subsistera il y aura guerre. il mene une guerre contre dieu, et c’est lui-même qui le vaincra.
le monde des tenebres ne supporte pas l’existance d israel , pourquoi??????
parce que israel est la preuve que dieu EXISTE !
dure a avaler pour les rebels de toutes nationnalite.
courage, patiente, car l(eternel a rachete Jacob.

LECHARTIER

Salut Marc: Excellent plan Historique, à méditer et développer personnellement, !!! Mais serait il possible d’avoir le nom de l’éditeur de ce livre magnifique, je pense que je vais le dévorer avec la couverture……!

Jg

La colonisation arabe de la Judée Samarie ,est validée par les pires dictaturesde la planète ,pour ne pas rester en reste ,la France ,la première ,doit son succès dans la réussite a entrainer le reste de l’ Europe ,quelques années plus tard .
Aujourd hui ,le bloc « eurabia « conforté par son antisémitisme séculaire ,se trouve renforcé par l immigration « choisie « dont le poid électoral est immense .
Mon seul espoir ,est que la Goche Israélienne ,très europeanisee. Mais virulente ,ne pèse pas plus dans le résultat des élections .