Les routes chinoises de la ruine

Lancées il y a dix ans, les Nouvelles routes de la soie étaient censées permettre à la Chine d’étendre son rayonnement sur le monde. Dans les pays les plus fragiles, le projet s’est soldé par un dangereux «piège de la dette».

Le projet phare du nouvel empereur rouge devait permettre à la Chine de renouer avec le glorieux passé de l’empire du Milieu, époque où le pays était la première puissance commerciale du monde. Lancées il y a dix ans, les Routes de la soie du XXIe siècle avaient pour ambition de contrer la présence américaine en Asie et en Europe, en passant par l’Afrique. Et d’exporter partout le contre-modèle chinois à celui des démocraties libérales occidentales pour changer l’ordre mondial avec de nouvelles règles dictées par Pékin. Dix ans plus tard, le bilan est mitigé.

En septembre 2013, le rouleau compresseur chinois se met immédiatement en marche. La République populaire achète ou finance la construction d’installations portuaires ou maritimes au Pakistan, aux Maldives, au Sri Lanka, au Bangladesh en passant par la Tanzanie et jusqu’à Port-Soudan. Elle s’installe dans les eaux disputées des îles Spratleys et Paracels. Ces routes maritimes ouvrent la voie à la Chine de son approvisionnement en ressources naturelles globales et lui donnent accès aux marchés pour poursuivre son expansion économique.

Xi Jinping au sommet des Brics en Afrique du Sud cet été. POOL / REUTERS

 

Avec sa BRI (Belt and Road initiative), acronyme en anglais du programme «des nouvelles routes de la soie», Pékin réalise des investissements massifs dans nombre de pays en développement pour construire des infrastructures : lignes ferroviaires, ports, pipelines, ponts suspendus. Autant de projets qui ont favorisé le commerce extérieur de la Chine, notamment en Europe. La BRI vise à améliorer les liaisons commerciales entre l’Asie, l’Europe, l’Afrique et même au-delà par la construction de ports, de voies ferrées, d’aéroports ou de parcs industriels, permettant au géant asiatique d’accéder à davantage de marchés et d’ouvrir de nouveaux débouchés à ses entreprises. Rares sont les pays à ne pas céder aux sirènes de la Chine et de son formidable marché. 155 pays sont membres de la BRI, dont la quasi-totalité de l’Afrique et de l’Asie, exceptés l’Inde, le Japon, Israël et le Bhoutan. Le projet séduit aussi en Europe, en particulier dans les pays d’Europe de l’Est et centrale, où les démocraties illibérales font bon ménage avec les vues autocratiques de Pékin.

Ces Nouvelles routes de la soie ne sont pas seulement un outil de «soft power», visant à mener une «diplomatie de la soie» autour de laquelle se développeront des échanges politiques, commerciaux, culturels et de personnes. Elles regroupent une majorité de nations du Sud Global, ces pays en développement souvent frustrés par l’ordre économique mondial dominé par les Occidentaux. Les points d’accès le long du tracé sont à double usage. Les ports accueillent aussi bien les porte-conteneurs commerciaux géants que les navires et les sous-marins de la marine chinoise. L’indispensable protection militaire de ses routes commerciales offre à la Chine un important avantage géostratégique. Sa présence, de plus en plus imposante le long de ces routes, se veut aussi dissuasive pour ses rivaux. En une décennie, la Chine investit 1000 milliards de dollars.

Un projet de développement immobilier en Malaisie dans le cadre des Nouvelles routes de la soie. MOHD RASFAN / AFP

En réalité la Chine est devenue le premier prêteur du monde, car elle finance le développement des infrastructures avec des prêts, assortis de taux d’intérêt plutôt élevés. Résultat, nombre de pays se retrouvent étranglés par leur dette, ou tout simplement ruinés. Deux tiers des pays membres de la BRI sont surendettés. La Chine détient ainsi 62% de la dette bilatérale extérieure de l’Afrique. Dès 2016, les premières critiques fusent. Le port d’Hambantota au Sri Lanka est passé sous pavillon chinois pour 99 ans après un défaut de paiement. Les rivaux de la Chine la soupçonnent alors de mener à dessein une politique de surendettement des pays où elle «investit» pour faire main basse sur les infrastructures des pays. La Chine s’est rendue incontournable dans des régions où elle ne pesait rien, notamment en Afrique et en Amérique latine. Elle a trouvé des débouchés à ses entreprises et à des dizaines de milliers d’ouvriers au moment où les emplois étaient détruits en République populaire par la crise de l’immobilier. Et elle a mis la main sur des matières premières essentielles quand l’influence de l’Europe décline. Cependant, le ressentiment antichinois, monte au sein des populations, notamment en Afrique.

Les opposants au projet dénoncent un cheval de Troie de Pékin, destiné à obtenir une influence politique, et critiquent le «piège de la dette» dans lequel il enferme les pays pauvres. Joe Biden l’avait notamment qualifié en juin de «programme d’endettement et de confiscation», qui «ne va pas très loin». De leur côté, les États-Unis poussent un ambitieux projet qui connecterait l’Inde et l’Europe via des liaisons ferroviaires et maritimes à travers le Moyen-Orient. L’administration américaine «explore un projet de transport maritime et ferroviaire qui permettra le flux du commerce, de l’énergie et des données depuis ici en Inde à travers le Moyen-Orient et jusqu’en Europe», et «c’est le résultat de mois de diplomatie prudente dans des cadres bilatéraux et multilatéraux», a détaillé le conseiller adjoint américain à la sécurité nationale Jon Finer lors du G20 à New Dehli.

En Europe, ce projet américain pourrait notamment séduire l’Italie, qui vise à se rapprocher des États-Unis et qui a annoncé son intention de se retirer des routes de la soie avant la fin de l’année 2023. Rome juge que la BRI n’a pas apporté les bénéfices escomptés à la troisième économie de la zone euro. En 2019, l’Italie, ployant sous le poids de sa dette publique, est devenue le seul pays du G7 à participer à ce programme d’investissements. Cependant ses exportations vers la Chine n’ont augmenté que de façon très marginale pendant que les importations chinoises ont doublé. Ce retrait italien du projet a déjà été accepté en principe par les autorités chinoises. « Nous voulons avec la Chine un rapport solide en sachant bien que c’est un partenaire mais aussi un concurrent, un rival systémique », explique le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tajani, regrettant notamment que les Européens «aient laissé trop d’espace aux intérêts chinois» en Amérique du Sud. La Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la République tchèque ou la Slovaquie qui ont signé des accords d’adhésion avec Pékin sont aussi dans le viseur de Washington dans sa lutte d’influence contre Pékin.

Dans l’ensemble, peu de projets concrets ont abouti en dépit des investissements massifs. Pour la Chine l’essentiel n’est pas là. En s’imposant comme le leader du monde opposé à l’Occident, elle a su attirer autour d’elle un certain nombre de pays, qui joueront un rôle important à l’avenir. Elle espère s’appuyer sur eux pour changer les normes internationales et faire ainsi progresser son monde autoritaire où la démocratie n’existe pas.

JForum avec Patrick Saint-Paul. Le Figaro

 

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