POLITIQUE – « Loin de devoir être toujours considérée comme un péril, la Chine peut, si l’on sait s’en donner les moyens, constituer une chance ».

Voilà comment Emmanuel Macron se positionnait face à la Chine dans son livre « Révolution » paru début 2018 à Pékin. Une stratégie délicate qu’il va devoir appliquer le plus consciencieusement possible ce dimanche 24 et lundi 25 mars, à l’occasion de la visite d’État de Xi Jinping en France.

Tout l’enjeu reposant sur ces quelques mots, glissés entre d’autres plus séduisants: « si l’on sait s’en donner les moyens. »

Quelques jours avant la visite de Xi Jinping, l’Élysée l’a réaffirmé: la Chine « n’est plus le pays qu’il était avant » et elle peut désormais compter sur des entreprises mondialement connues pour briller. L’un des exemples les plus parlants? Huawei, géant chinois des télécoms, qui a aussi réussi l’exploit de détrôner Apple sur le marché des smartphones.

Née il y une petite trentaine d’années, cette entreprise sur laquelle personne ne misait revendiquait en 2017 un chiffre d’affaires de 100 milliards de dollars. Déjà numéro un mondial sur le marché des équipements télécoms, Huawei a désormais une ambition encore plus grande: devenir incontournable sur le déploiement de la 5G, chantier aux enjeux planétaires.

Mais comme rien n’est jamais tout rose, l’entreprise doit aussi faire face à de lourdes accusations. Vol de données, espionnage au profit du gouvernement chinois… ces derniers mois, Huawei a dû gérer une levée de boucliers des Etats-Unis et de leurs alliées, et ce en plein durcissement des relations entre Trump et Xi Jinping sur les questions commerciales.

Quid de l’Europe? Pour l’instant, qu’il s’agisse de se positionner sur Huawei ou plus largement sur la Chine, le vieux continent est plutôt dans l’embarras, obligé de jongler entre fermeté et sourire engageant.

A l’Élysée d’ailleurs, la ligne se veut prudente: « Nous sommes prêts à considérer les projets de coopération avec la Chine dès lors qu’ils respectent certains critères comme le respect de la souveraineté, la transparence, la réciprocité ou la transition écologique », nous indique le Palais à propos de la stratégie des « nouvelles routes de la soie » portée par Pékin.

La Chine, ce partenaire incontournable…

Pour ce qui est des points positifs, Huawei n’est pas en reste. Arrivée en Europe aux débuts des années 2000, la multinationale a connu un succès quasi immédiat: en moins de 20 ans, le vieux continent devient le deuxième marché de la marque, qui a pu compter sur ses téléphones portables pour se faire connaître du grand public. A lui seul, Huawei représente 23 points des 32% d’augmentation de ventes de smartphones chinois en Europe sur l’année 2018

Cette branche ne représente cependant qu’une partie des activités de l’entreprise. Déjà très présent en Europe sur les réseaux qui fournissent la 4G, Huawei investit chaque année entre 10 et 15% de son chiffre d’affaires en recherche et développement sur la 5G.

Cette nouvelle technologie augmentera la vitesse des connexions et la capacité de transmission des données. Dans un monde où les objets connectés sont de plus en plus nombreux, avec des utilisations dans des domaines aussi sensibles que l’armée, l’enjeu est capital pour les gouvernements.

Pour les Européens, il est donc hors de question de se laisser devancer par les Américains ou les Chinois. Et renoncer à Huawei aurait des conséquences lourdes pour le déploiement de la 5G européenne.

Dans un rapport réalisé par le leader européen de télécoms Deutsche Telekom, des experts estiment que l’Europe prendrait au moins deux ans de retard sur les États-Unis et la Chine si elle se privait de Huawei pour développer son réseau 5G. Et c’est sans compter les coûts, qui pourraient grimper si les opérateurs européens se fâchaient avec le géant chinois, et devaient donc désinstaller tous les équipements Huawei déjà en service sur le continent.

Le cas Huawei, qui se limite au domaine de téléphonie, est révélateur de toutes les opportunités qui se présentent pour la Chine, surtout depuis que l’élection de Donald Trump a rebattu les cartes diplomatiques. La politique protectionniste du président américain a en effet ouvert les portes aux ambitions multilatérales chinoises. Et l’Union européenne (fragilisée à l’intérieur de ses frontières) ne peut pas faire une croix sur le géant asiatique.

Sur le plan commercial, la Chine est en effet le deuxième partenaire commercial de l’UE, derrière les Etats-Unis, avec des échanges de biens qui dépassent les 1,5 milliard d’euros par jour.

Sur le plan environnemental, face au retrait américain de l’Accord de Paris, la Chine est devenue un partenaire de poids, et ce d’autant que Pékin fait tout pour se défaire de son image de pollueur géant. « On veut que la Chine puisse jouer un rôle de leadership mondial sur le climat notamment. C’est l’occasion pour la Chine et l’Europe de construire ensemble », abonde l’Élysée.

… peut-être un peu trop au goût de Macron

Malgré tout, « l’excès en tout nuit » et Emmanuel Macron n’a pas hésité à mettre en garde contre l’hégémonie chinoise dès le mois d’août 2018 devant ses ambassadeurs.

Lors de cette prise de parole, le président s’était montré particulièrement offensif, taclant les États-Unis « qui semblent tourner le dos » à leur passé avec l’Europe, et mettant en garde contre la Chine qui « promeut de son côté sa propre vision du monde, sa propre vision d’un multilatéralisme réinventé, plus hégémonique. »

Ce discours, Emmanuel Macron l’a répété en mars lors de sa tournée dans les pays d’Afrique de l’Est, où la Chine est omniprésente: saluant la participation chinoise dans le développement des pays africains, il en a profité pour déclarer qu’il croyait « à l’esprit d’équilibre et de réciprocité ».

Sous-entendu? Si les entreprises chinoises sont les bienvenues en Europe, l’inverse doit aussi être vrai. Et pour l’instant, ce n’est pas vraiment le cas, selon le ressenti exprimé dès 2017 par près de la moitié des entreprises européennes implantées en Chine.

Côté européen, on s’inquiète également du transfert des technologies et du savoir-faire européens vers la Chine sans contrepartie. En janvier 2018, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire n’a pas hésité à dénoncer les nombreux « investissements de pillage » chinois refusés par Bercy.

Le « réveil européen » (poussé par la France)

Là encore, le cas Huawei illustre les craintes de l’Europe. Mi-février, alors que les inquiétudes sur les ambitions de Huawei sur la 5G commençaient à se diffuser dans plusieurs pays du continent, le Parlement a donné son feu vert pour mettre en place un cadre européen de contrôle des investissements étrangers dans l’UE.

Sans être explicitement nommé, le cas chinois était dans tous les esprits. « Cette législation est bien sûr totalement neutre et non discriminatoire, mais ce n’est un secret pour personne (…) qu’il y a une question autour de la Chine », a d’ailleurs assumé la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström.

Pour l’anecdote, on notera qu’à l’origine de cette proposition (dans les tuyaux dès 2017) se trouvaient l’Italie, l’Allemagne, traumatisée par un rachat chinois en 2016, et surtout… la France, qui a particulièrement mis l’accent sur l’importance d’une coordination européenne sur ce sujet.

« Je me félicite de ce réveil européen. Depuis le début de mon mandat, j’appelle à ce qu’il y ait une prise de conscience et la défense d’une souveraineté européenne. Je dirai qu’enfin, sur des sujets aussi importants que la Chine, nous l’avons. Le texte de la Commission européenne est à cet égard un très bon texte qui dit beaucoup des enjeux et de tout ce qui est aujourd’hui à attendre et à faire avec la Chine ou vis-à-vis de la Chine », a d’ailleurs déclaré Emmanuel Macron le 21 mars, en marge d’une rencontre européenne à Bruxelles.

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Jade Toussay, Gregory Rozieres, Anthony Berthelier

 

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