À l’ombre de deux grands tilleuls, l’ancienne synagogue de Bouxwiller, un petit village situé entre Saverne et Haguenau, dans le Bas-Rhin, abrite le Musée judéo-alsacien. Si vous passez par là cet été, entre deux randonnées dans les Vosges du Nord, n’hésitez pas : c’est le genre de petit musée instructif et passionné où, en une heure, l’air de rien, vous comprenez des choses essentielles.

Je continue donc à vous parler des Juifs d’Alsace. Le petit musée qui leur est consacré à Bouxwiller, dans le Bas-Rhin, et que j’ai visité un après-midi de juillet, raconte l’ampleur des persécutions qu’ils ont subies à travers le temps, mais il explicite aussi, à travers le prisme de leur histoire tragique, ce qu’il en est de la politique, de la liberté et des Lumières en France (je rappelle que le capitaine Dreyfus était un Juif alsacien).

On y apprend, ou réapprend – car quoi de mieux que le savoir vivant et incarné qui vous est prodigué par les musées –, que les Juifs, qui avaient été bannis du royaume de France en 1394, ne jouissent à nouveau de leur liberté qu’à partir de 1674, en vertu de la protection de Louis XIV, qui a arraché aux Habsbourg leurs possessions de Haute-Alsace et se ­retrouve ainsi à avoir des sujets protestants et juifs : la révocation de l’édit de Nantes, applicable à l’intérieur de la France, ne s’applique pas à l’Alsace, ce qui laisse libres les protestants, et de même la possibilité est donnée aux Juifs de pratiquer librement leur culte : les voici même exemptés de l’antique droit de péage en Haute-Alsace.

On réapprend, au passage, que l’Église interdit aux chrétiens le prêt d’argent (l’usure), et qu’elle en charge les Juifs, qui, selon elle, sont « maudits de toute façon », ce qui sera à l’origine de siècles de malentendus (le malentendu étant ici criminel).

On fait connaissance avec une figure historique que le musée sort de l’ombre, celle de Joselmann de Rosheim, avocat, syndic général des Juifs du Saint Empire romain germanique, et véritable héros qui parcourt l’Europe, seul, à pied, pour défendre les droits de ses co­religionnaires. On est en 1540, les luthériens sont hostiles aux Juifs, Joselmann de Rosheim va donc chercher secours auprès du très catho­lique empereur Charles Quint. Grâce aux plaidoyers de Joselmann, Charles Quint publie en 1544 le « Grand Privilège », garantissant aux Juifs la sécurité dans leurs déplacements : « Ils ne doivent être ni arrêtés, ni torturés, ni dépouillés, ni tués », est-il écrit. En échange, Joselmann aide Charles Quint à financer ses campagnes militaires.

Une salle consacrée à la Révolution nous apprend que sous la Terreur, en 1793, on interdisait aux hommes juifs le port de la barbe et aux femmes le foulard (sous peine d’être « dénoncés comme suspects »).

Et puis, vers la fin du musée, lorsque son dispositif de boucle se referme, j’ai découvert que dans le camp de Drancy, où les nazis parquaient les Juifs en attendant de les envoyer à Auschwitz, quelques militaires, dont le colonel alsacien Robert Blum, avaient creusé un tunnel de 35 m de long pour s’évader, et qu’il leur manquait juste 1,50 m avant leur mort. Désormais, ce tunnel me hante.

https://charliehebdo.fr/2020/07/culture/un-peu-dhistoire-1-2/