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Le Danemark face à la «nouvelle génération des caricatures»

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ANALYSE

Le royaume scandinave, l’un des pays d’Europe qui compte le plus de départs de jeunes en Syrie, s’interroge sur son modèle après les attaques de ce week-end.

 

Deux morts et cinq blessés. C’est le bilan des deux fusillades à Copenhague ce week-end. La première, contre un centre culturel, où se tenait une conférence sur la liberté d’expression, en présence de l’artiste suédois Lars Vilks, auteur d’une caricature du prophète Mahomet. La seconde, contre une synagogue dans le centre de la capitale danoise. L’homme suspecté d’avoir mené ces attaques a été tué alors qu’il ouvrait le feu sur la police. Les autorités connaissent son idnetité, mais n’ont pas communiqué sur son profil ni ses motivations. Aujourd’hui, le royaume est sous le choc, témoigne le journaliste Niels Ivar Larsen, qui se trouvait sur les lieux de la première attaque: «On n’a pas connu ça depuis la seconde guerre mondiale. C’était comme un mauvais rêve. Il y avait un danger théorique, abstrait. Mais c’est impossible de réaliser ce que ça veut dire, avant d’être en plein dedans.»

Le Danemark, pourtant, était préparé, comme l’a rappelé la première ministre danoise, Helle Thorning Schmidt, dimanche matin : «Nous avons été habitués, depuis longtemps, à vivre avec un niveau d’alerte élevé. Et les événements auxquels nous venons d’assister soulignent que l’évaluation de la menace était correcte». Mais elle a aussi constaté qu’ «une société comme la société danoise ne peut malheureusement pas se protéger à 100% contre les actes d’un fou».

Depuis le 30 septembre 2005, et la publication dans le quotidien conservateur Jyllands Posten de douze dessins représentant le prophète Mahomet, le royaume scandinave a été la cible d’innombrables menaces et tentatives d’attentat terroristes. A plusieurs reprises, la catastrophe a été évitée de justesse. Le 1er janvier 2010, un homme d’origine somalienne, armé d’un couteau et d’une hache, est entré chez le caricaturiste Kurt Westergaard, auteur du dessin représentant le prophète Mahomet, coiffé d’un turban en forme de bombe. Le dessinateur de 75 ans a tout juste eu le temps de se réfugier dans une pièce fortifiée, aménagée chez lui, après une première tentative d’assassinat en 2008.

Menaces récurrentes

Au cours de la dernière décennie, plusieurs attentats contre la rédaction du Jyllands Posten ont été déjoués. Le Danemark est «une cible primaire» pour les islamistes, explique Magnus Ranstrop, expert suédois en terrorisme: «Après l’affaire des caricatures, tout le monde sait de quoi on parle. C’est aussi un pays qui a été très proche des Etats-Unis, dans plusieurs guerres au Moyen-Orient. A chaque fois qu’un leader d’Al-Qaeda énonce des menaces contre l’Occident, le Danemark est nommé. Et ce n’est pas près de s’arrêter. C’est une réalité avec laquelle il faut vivre.» La réunion du comité Lars Vilks était une cible facile, selon lui: «C’est le maillon faible de la chaîne. Personne ne rentre plus à la rédaction du Jyllands Posten. Le niveau de sécurité est exceptionnel. Ce n’est pas étonnant donc que les terroristes cherchent des cibles plus accessibles.»

Après les attentats de Paris, les services secrets danois (PET) avaient estimé que le niveau d’alerte au Danemark n’avait pas besoin d’être relevé, malgré «des menaces sérieuses», posées par des personnes ayant «l’intention et la capacité de commettre des attaques terroristes». Le royaume scandinave est l’un des pays d’Europe qui compte le plus de départs de jeunes en Syrie, par rapport à sa population (5,6 millions d’habitants). Ils seraient 110 au total à être partis faire le jihad ces dernières années. Et c’est sans compter ceux dont les autorités ignorent l’existence, précise Magnus Ranstorp.

Selon le centre d’analyse du terrorisme (CTA), «ceux qui partent sont d’abord de jeunes hommes musulmans sunnites, dont un certain nombre ont un background criminel». Depuis, environ la moitié sont rentrés au Danemark. Un quart y sont toujours ; les autres (au moins 16) sont morts ou se trouvent ailleurs à l’étranger.

«Nouvelle génération des caricatures»

Pour l’imam Fatih Alev, la situation est inquiétante : «Si au début, certains sont partis dans le cadre d’un projet humanitaire, aujourd’hui la plupart y vont parce qu’ils y sont attirés par le projet politique de l’Etat islamiste.» Ces jeunes, précise-t-il, veulent aussi fuir le Danemark: «C’est un pays qui, depuis une décennie au moins, s’est fait remarquer par un débat qui exclue les minorités et notamment les musulmans. Beaucoup de jeunes ne se sentent plus connectés. Ils n’ont aucun sentiment d’appartenance. Ils ne se sentent pas danois et refusent de se dire danois, depuis que l’identité danoise a été prise en otage par le parti du peuple danois.» C’est un terrain idéal, dit-il, pour des recruteurs, qui «parviennent si bien à les embrigader que même les imams des mosquées danoises n’arrivent plus à argumenter avec ces jeunes une fois qu’ils sont passés entre leurs mains».

Alors, échec du modèle scandinave ? Selon le chercheur Mehdi Mozaffari, spécialiste de l’islam radical, le problème n’est pas récent : «Après l’invasion du Liban par Israël, nous avons connu une immigration massive de Palestiniens, avec parmi eux des imams très efficaces, qui ont constitués des cercles très radicaux, autour desquels se sont tissés d’autres réseaux.» Le fossé s’est creusé avec la crise des caricatures. Les jeunes radicalisés, qui partent faire le jihad, appartiennent à «cette nouvelle génération des caricatures», dit-il : «Ils avaient dix-douze ans, quand les dessins ont été publiés. Maintenant, ils ont une vingtaine d’années et sont beaucoup plus radicalisés que leurs parents.»

Programme de déradicalisation

Beaucoup d’entre eux, remarque-t-il, ne trouvent pas leur place au sein de la société danoise : «Ils portent encore les valises de leurs parents, pleine des conflits qui ne se sont pas résolus. Ils veulent une revanche.» Internet n’aide pas: «Ils passent leur temps devant leurs écrans. Si physiquement, ils vivent au Danemark, mentalement ils sont au Moyen-Orient.» En 2014, la municipalité de Copenhague a enregistré 60 appels à l’aide de proches de jeunes en processus de radicalisation, contre 94 sur les trois années précédentes. Le gouvernement vient d’annoncer qu’il allait débloquer 60 millions de couronnes pour faire de la prévention, sur le «modèle d’Aarhus». La deuxième ville du pays a mis en place un programme de déradicalisation, il y a un an, après avoir constaté qu’une trentaine de jeunes, entre 20 et 25 ans, avaient quitté la ville de 300 000 habitants pour la Syrie, en 2013. Une dizaine de ceux qui sont rentrés ont accepté d’y participer.

La municipalité constate qu’il est encore trop tôt pour juger des résultats, mais observe que le travail de prévention, réalisé en parallèle, semble porter ses fruits: un seul jeune aurait quitté Aarhus en 2014. Fin janvier, la chef du gouvernement a annoncé que le royaume allait durcir les sanctions contre ceux qui partiraient. Au Danemark, les apprentis jihadistes de retour au pays sont la plupart du temps laissés en liberté : «Tant que nous n’avons pas de preuves indiquant que ceux qui reviennent ont participé à des activités illégales, nous ne pouvons pas les poursuivre en justice», explique Jørgen Ilum, commissaire principal à Aarhus.

Le gouvernement envisage désormais le retrait des passeports et l’expulsion pour les citoyens non-Danois. Les conservateurs et populistes veulent aller encore plus loin et réclament des peines de prison. Magnus Ranstorp met en garde: «On ne peut pas faire seulement de la répression. Il faut mettre en place des mesures de prévention. Ce n’est pas être soft. C’est être intelligent. On ne règle pas le problème en envoyant tout le monde en prison.» Il appelle donc les autorités danoises à «garder la tête froide».

Anne-Françoise HIVERT SCANDINAVIE, de notre correspondante

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