Des gouvernements européens souffrant d’autisme

Ces réflexions nous sont dictées par l’évolution récente de l’Autriche, pays membre de l’Union Européenne et qui doit en juin 2018 la présider. Depuis quelques années déjà, ce pays oscillait vers l’extrême droite et déjà à l’époque le parti FPÖ de Jörg Haider alarmait les chancelleries.

Et qu’ont elles fait, ces mêmes chancelleries occidentales, depuis lors ? Rien ou presque. Elle sont refusé de s’attaquer aux deux mamelles qui alimentent depuis tant d’années l’extrême droite européenne : l’immigration, l’insécurité et dans leur sillage, l’incertitude économique et financière de larges portions de la population européenne, déclassées par la mondialisation.

L’Autriche, petit pays de l’UE, offre des similitudes avec le passé récent du Royaume Uni bien que celui-ci soit bien plus étendu, et plus fort que les séquelles de l’ancienne monarchie austro-hongroise.

C’est l’immigration qui a figuré en tête des préoccupations des citoyens britanniques ayant opté pour le brexit. Dans certaines émissions télévisées, diffusant des sondages d’opinion, des femmes simples, du style les ménagères de cinquante ans, étaient unanimes : nous sommes, disaient elles, une petite île (we are asmallisland…).

Peu importe que cette sensation d’envahissement soit ou non fondée, le résultat est là, aussi têtu que les faits les plus incontestables : les gens en Europe veulent rester chez eux et entre eux. ; Ils ne veulent plus entendre parler de droit d’asile, d’accueil de réfugiés, de multiculturalisme, bref tout ce qui semble représenter, à leurs yeux, une menace pour l’identité culturelle de l’Europe.

Le message était clair, absolument univoque et a résonné partout , en France, en Allemagne, en Italie, en Suède, en Espagne, en Grande Bretagne, au Portugal, en Belgique, en Hongrie, en république tchèque, en Autriche, partout l’extrême droite mobilise ses forces et monte en puissance. Même la Suisse n’est pas épargnée.

Et qu’ont fait les gouvernements des pays concernés ? Rien ou presque. On a déjà eu l’occasion, de dire dans ces mêmes colonnes, que le mépris des élites, tant en Europe qu’aux USA, à l’endroit des peuples, censés être ignorants ou manquant de discernement, n’était pas la bonne solution.

Le meilleur exemple se situe aux USA et ne manque pas de renforcer ceux qui pensent de manière similaire en Europe : les mêmes causes ont produit l’élection de Donald Trump. Lequel, en dépit de toutes les attaques, de toutes les accusations, même les plus graves, continue de jouir de la confiance de sa base électorale.

Un enfant, un bébé au berceau comprendrait qu’il faut déplacer le curseur et prendre les mesures qui s’imposent. Scrutons la situation dans les pays les plus forts et les plus développés : la France, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et la Belgique, les partis extrémistes campent aux portes du pouvoir.

Angela Merkel est probablement en train d’user ses dernières cartouches et joue  son avenir politique. Pourquoi ? A cause des immigrés qu’elle a accueillis à bras ouverts alors que son propre parti et la CSU alliée, désapprouvent sa politique migratoire.

A cause de cet autisme caractérisé, l’AFD a placé près d’une centaine de députés au Bundestag, du jamais vu depuis la fin de la guerre. Dans les autres pays cités, victimes eux aussi d’une flux migratoire incessant, la situation évolue dans le même sens : c’est un repli identitaire caractérisé.

Pour briser ce cercle infernal, il suffirait d’adopter d’autres lois, de contrôler les frontières de l’UE et de réformer le droit d’asile. Jetons un coup d’œil du côté de l’Europe centrale et orientale : nous découvrons des régimes qui ne veulent pas du tout recevoir chez eux des immigrés ou des réfugiés. Pour quelles raisons ?

A cause du terrorisme, à cause de la différence fondamentale des cultures et parc e qu’ils craignent de ne pas pouvoir  les intégrer (on ne parle guère d’assimilation, car c’est un rêve irréaliste).

Et que fait Bruxelles ? Au lieu de réfléchir aux causes qui produisent de tels effets, au lieu d’assouplir les demandes et de pratiquer une politique ayant l’agrément de tout, elle continue de vouloir leur imposer ce dont ils ne veulent pas.

Ce qui risque d’exciter les opposants à l’Europe et conduire à d’éventuelles futures défections. N’oublions pas que le président autrichien n’a accepté le nouveau gouvernement qu’après qu’il a donné des gages pour ne pas sortir de l’Europe.

Mais le jeune chancelier a demandé une contre partie : que l’Europe accorde plus de manœuvre aux Etats… C’est du donnant donnant…

La situation s’est aggravée en une décennie : l’UE a donc eu largement le temps de réfléchir et de redresser la barre ; elle ne l’a pas fait. Ce qui donne aujourd’hui le cas autrichien.

Rappelons que l’élection d’un membre de l’extrême droite à la présidence de la république a été évitée de justesse. Mais la prochaine fois, ce sera chose faite. Et de nouveau, au lieu d’en rabattre et de suivre la politique demandée par la population, les gouvernements, la presse, tant locale qu’étrangère,  agitent la massue de l’anathème dont plus personne ne se soucie.

La plus grande victoire de ces partis tient en une phrase : ils font désormais partie du paysage politique et voter pour eux n’est plus un tabou : les gens normaux, les gens simples votent pour eux. Le score de Madame Marine Le Pen le prouve, en dépit des dissensions internes de son parti et de sa désastreuse prestation télévisée avant le second tour de l’élection présidentielle.

Face à des bouleversements puissants, face à des dangers inconnus jusqu’ici, bref face au désordre mondial qui n’épargne personne, les démocraties occidentales peinent à se défendre.

Que des milliers, que dis-je, des centaines de milliers de gens, pauvres et déshérités, risquent leur vie pour rallier un rivage d’eldorado, nécessite une politique unitaire à l’échelle de tout un continent. Il faut faire quelque chose pour ces pauvres gens qui se noient et meurent par centaines en mer.

Le problème, reconnaissons le, est aussi posé par les gouvernements soit arabes soit africaine, soit par les deux : une bonne partie des aides accordées pour fixer tous ces gens chez eux, est détournée par des politiciens corrompus…

On vient de découvrir que le ministre de l’intérieur d’un grand pays européen, si proche de la Libye, en est arrivé à pactiser avec des négriers et des passeurs afin de soustraire son pays à l’envahissement.

Pourquoi donc ? Parce que la politique de l’UE est inopérante et que les réfugiés continuent d‘affluer sur les rivages de ce pays… C’et en désespoir  de cause que l’on en est venu là… L’Europe ne fait rien, et l’afflux ne décroit pas. On s’en tire tout seul, et avec les moyens du bord. Personne n’y trouve son compte, ni l’Europe, ni la morale.

Combien de temps va encore durer cet autisme inquiétant ? L’UE va-t-elle attendre que de nombreux autres pays membres se donnent des gouvernements comme l’exécutif autrichien ? Cela ne manquera pas d’arriver si on ne fait rien.

L’Europe doit se protéger, elle doit veiller sur la préservation, le développement de notre héritage culturel commun. L’autisme politique doit prendre fin.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Franz Rosenzweig (Agora, universpoche, 2015)

 

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