Accord Chine Arabie Iran

La normalisation avec l’Arabie saoudite est-elle possible ?

Yechiel M. Leiter

La reprise des relations diplomatiques de l’Arabie saoudite avec le régime iranien ne contredit pas les engagements de Ryad et ses alliés à empêcher les ayatollahs de se doter de l’arme nucléaire ni à renoncer à un processus de normalisation avec Israël.

Il s’agit donc d’un pas tactique et non d’une nouvelle stratégie. Les Saoudiens souhaitent venir en aide à une population iranienne plongée dans la misère et le désespoir. Donner un second souffle à l’économie de ce pays pour pouvoir reconstruire des routes, des ponts, des voies maritimes, des infrastructures urbaines en ruine, et d’offrir au peuple iranien les moyens de retrouver sa dignité et son identité. Après avoir accompli le redressement économique, ils s’attaqueront plus facilement à mettre un terme au programme nucléaire et à renverser le régime néfaste des ayatollahs, devenus les grands parrains du terrorisme islamiste.

Il va de soi que les Saoudiens ne pensaient pas qu’un rapprochement avec Téhéran permettrait aux ayatollahs d’accomplir leurs ambitions nucléaires. Leur but est destiné à arrêter ou du moins contrecarrer leur projet menaçant.

La gravité du danger nucléaire ne se mesure pas avec une explosion réelle de la bombe, mais par les menaces qui découlent et qui permettent à un régime théocratique belliqueux de pouvoir posséder un jour une bombe atomique.

Cérémonie de la reprise des relations diplomatiques entre l'Iran et l'Arabie saoudite à Pékin. 10 mars 2023.

Cérémonie de la reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite à Pékin. 10 mars 2023. (China Daily)

Soulignons que l’Iran et l’Arabie saoudite sont toujours confrontés à une guerre froide dans laquelle le conflit est alimenté et mené par des satellites installés dans les pays les plus fragilisés de la région : le Liban, l’Irak et le Yémen.

Une victoire des Houthis soutenue par l’Iran au Yémen signifierait une entité belligérante le long de la frontière sud-saoudienne contrôlant les voies maritimes stratégiques depuis le canal de Suez, en mer Rouge, dans le golfe d’Aden, Bab el Mandeb et la mer d’Aden. En Irak, en Syrie et au Liban, l’Iran a provoqué des guerres civiles qui menacent l’Arabie saoudite, ses voisins, ses alliés et ses intérêts. En Jordanie, en Égypte et en Turquie, l’Iran soutient des organisations terroristes, a fomenté des troubles parmi la population chiite de Bahreïn et également au  Soudan. Selon un rapport de l’ONU, l’Afrique subsaharienne est devenue l’épicentre de l’expansion du terrorisme, principalement orchestrée par l’Iran. Et c’est le même Iran qui finance et forme les organisations terroristes du Hamas et du Hezbollah.

Le prince héritier de l'Arabie saoudite Mohammed Ben Salman avec son homologue d'Abou Dabi Ben Zayed. Djeddah 2018.

Le prince héritier de l’Arabie saoudite Mohammed Ben Salman avec son homologue d’Abou Dabi Ben Zayed. Djeddah 2018. (Saudi Royal Palace)

Imaginons un instant un Iran protégeant toutes ses guerres sous la protection d’un parapluie nucléaire. Le tohu-bohu entraînera une cascade de conflits ethniques, des guerres civiles, une pénurie alimentaire et des souffrances humaines à grande échelle. De ce fait, et contrairement à certains commentaires, il ne s’agit pas seulement d’un rapprochement qui conduirait à la fin de la guerre civile au Yémen.

Les Saoudiens sont des diplomates chevronnés, maîtres dans l’art de percer les enjeux et les ruses des ayatollahs.

Certes, les vagues des protestations populaires à Téhéran et en province n’ont pas réussi à renverser le régime mais elles sont fortes et constantes. Depuis le début des manifestations, plus de 600 personnes ont été tuées par les forces de sécurité et 22 000 furent arrêtées et jetés en prison.  Les autorités n’ont pas perdu le contrôle, mais la colère est palpable et se répand. Des centaines de milliers membres de syndicats se sont mis en grève, des rapports transmis aux exilés iraniens indiquent que le mécontentement à l’égard du régime se renforce chaque jour.

60% du budget du pays n’est pas contrôlé par le parlement et il est utilisé par les ayatollahs et les Gardiens de la révolution, alors que plus de 70 % du pays vit en dessous du seuil de pauvreté.  Les minables allocations de denrées alimentaires de base forcent de pauvres milliers d’Iraniens de vendre des organes pour nourrir leur famille.

Un afflux massif de liquidités saoudiennes dans de nouveaux projets créera des emplois et injectera des capitaux dans le système économique iranien. Il créera une dépendance économique au voisin le plus important de l’Iran, un concurrent pour la suprématie dans le monde arabe. Une menace saoudienne d’arrêter les projets pourra transformer les troubles en une révolution populaire.

Ce qui a changé, ce ne sont pas de nouvelles ententes bilatérales, mais plutôt des intérêts d’une « petite guerre froide » (Iran-Arabie saoudite) transférés dans une  « guerre froide planétaire » (États-Unis-Chine).

Dans cette donne géopolitique la Chine remplace les États-Unis en tant que puissance indispensable dans la médiation de la guerre froide régionale au Moyen-Orient.

Les États-Unis ont considérablement réduit leur posture militaire, le nombre de soldats du Commandement central (CENTCOM) ayant diminué de 85 % par rapport à 2008. À l’exception de quelques centaines de conseillers américains en Irak, un petit contingent de forces spéciales en Syrie, et du personnel administratif à Bahreïn, les États-Unis ont quitté le Moyen-Orient pour l’Extrême-Orient. Un porte-avions de la marine américaine n’a pas opéré dans les eaux moyen-orientales de la 5e flotte américaine depuis le retrait des forces américaines d’Afghanistan en août 2021. Ce pivot américain vers l’Est est conforme à la stratégie de sécurité nationale des États-Unis visant à se concentrer sur la menace que représente pour ses alliés – la Corée, le Japon et Taïwan – une Chine expansionniste.

La Chine tire profit dans la région avec 130 milliards de dollars de commerce dans le Golfe persique. Elle reçoit également 36% de ses besoins énergétiques des deux pays. Ainsi, d’un point de vue purement économique, la réduction des tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite est un intérêt national chinois.

La Chine est aussi le plus gros acheteur de brut saoudien, mais grâce à cet accord, les Saoudiens pourront stocker d’énormes quantités de pétrole brut en Chine, ce qui facilitera une chaîne d’approvisionnement beaucoup plus rapide vers les pays asiatiques.

En se présentant comme un artisan de la paix, en particulier entre les leaders de l’islam sunnite et chiite, la Chine détourne les critiques occidentales en matière de droits de l’homme, en particulier en ce qui concerne plus d’un million de Ouïghours musulmans dans des camps de “rééducation”.

Les dirigeants saoudiens estiment que le président Biden a levé certaines sanctions contre l’Iran en l’absence de toute contrepartie et considèrent la question nucléaire iranienne comme binaire : soit utiliser des moyens militaires pour les empêcher d’obtenir la bombe, soit leur permettre d’avoir la bombe et ensuite compter sur la dissuasion.

Malgré les bonnes intentions, les Israéliens se trompent lorsqu’ils placent la paix avec l’Arabie saoudite dans le contexte des accords d’Abraham. Le Royaume n’est pas simplement un autre pays musulman qui normalise ses relations avec Israël.

Sur la base de conversations et de correspondances avec des Saoudiens, rappelons que l’Arabie Saoudite est le berceau de l’islam, le gardien des lieux saints et est l’un des principaux dirigeants du monde islamique sur le plan économique, spirituel, politique et même militaire. La paix entre Ryad et Jérusalem aura des retombés théologiques dans le temps et dans l’espace, un rapprochement historique entre le monde musulman et la nation juive.

Les réformes sociales et culturelles initiées par le prince héritier Mohammed bin Salman (MBS) reposent sur une jeune génération de Saoudiens qui aspirent au changement. Les dizaines de milliers de personnes qui traversent le pont vers Bahreïn chaque week-end pour faire la fête sont en général indifférentes à la question palestinienne.

Le rapprochement avec l’Arabie saoudite ne date pas d’aujourd’hui, depuis plusieurs années il progresse à un rythme impressionnant. Les contacts sont fructueux entre les entreprises, les réunions d’intellectuels et les chercheurs politiques lors de conférences internationales. L’espace aérien de l’Arabie saoudite est ouvert aux survols d’appareils israéliens et des israéliens participent aux événements sportifs organisés par le Royaume saoudien. Le rapprochement avec Israël est pratique, sur le terrain, tandis qu’avec l’Iran, il est, pour l’heure, déclaratif.

En conclusion, la reprise des relations diplomatiques des saoudiens avec l’Iran pourrait se traduire en une stratégie atypique aux profits de Ryad et Jérusalem.

Par Yechiel M. Leiter    jcpa-lecape.org
Voir l’intégralité de l’article et ses références sur le site en anglais du JCPA-CAPE
https://jcpa.org/article/saudi-iran-rapprochement-and-saudi-israel-normalization-no-contradiction-intended/

 

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