Les dessous peu reluisants des accords passés entre la Chine et les pays africains

L’enquêteur fiscal en chef du Lesotho livre de rares confidences. Avec LéNA, découvrez le meilleur du journalisme européen.

Voix douce, visage peu expressif et chemise soigneusement repassée sous un pull sobre : Setsoto Ranthocha est un homme discret. Mais celui qui est l’un des plus hauts représentants de l’administration fiscale du Lesotho n’hésite pas pour autant à s’attaquer à des géants. Comme la Chine.

Ranthocha accuse la puissance mondiale de pratiques commerciales déloyales en Afrique. Chef de service de la Lesotho Revenue Authority, il fait partie des négociateurs qui cherchent actuellement à conclure une convention fiscale entre ce pays de 2,2 millions d’habitants et la Chine. « C’est un peu comme dans un mariage brisé », résume l’économiste dans son bureau dépouillé de Maseru, la capitale du Lesotho.

Selon lui, si la loi est le seul moyen d’inciter une personne à se comporter de manière appropriée, alors ce n’est pas « une bonne relation ». Or, la Chine rejetterait même des conditions-cadres juridiques favorables – telles qu’une assistance administrative pour le recouvrement des impôts éludés au Lesotho.

Comme dans de nombreux pays africains, la Chine, au cours des vingt dernières années, s’est positionnée comme la puissance politique et économique centrale du Lesotho. Ses crédits ont permis la construction de routes, d’hôpitaux et, surtout, du parlement de ce petit pays d’Afrique australe – le tout solennellement accompagné de marques bilatérales d’amitié. Le volume des échanges commerciaux s’est lui aussi multiplié. Mais la fraternité sino-africaine est marquée par des dissonances croissantes en matière de fiscalité.

Entreprises nationales désavantagées

En Ouganda, les autorités ont publié une liste de 148 entreprises accusées de fraude fiscale : 90 d’entre elles avaient un dirigeant chinois. Certaines auraient utilisé de fausses factures dont les transactions n’ont manifestement jamais eu lieu.

Au Kenya aussi, en 2019, de nombreuses sociétés chinoises ont été accusées de pratiques commerciales contraires à la loi. « Comme toujours, le gouvernement chinois appelle les entreprises chinoises au Kenya à respecter les lois kényanes », a consciencieusement fait savoir l’ambassade de Chine à Nairobi.

Mais l’enquêteur fiscal Ranthocha n’est guère convaincu. Rares sont les pays africains à avoir une convention fiscale effective avec la Chine, selon lui. L’Eswatini (anciennement le Swaziland), situé non loin du Lesotho, aurait passé quatre années à négocier des clauses évidentes, à cause de l’inflexibilité de la Chine. « Cela aurait pu être réglé en un jour », tranche Ranthocha.

A travers ce qui se passe dans son propre pays, ce fonctionnaire donne un rare aperçu des conditions de crédit imposées par la Chine, notoirement opaques. « Ils veulent beaucoup d’exonérations d’impôts », précise Ranthocha. Or, selon lui, exonérer d’impôts les sociétés chinoises revient à désavantager les entreprises du Lesotho. En fin de compte, l’exonération fiscale permet souvent aux Chinois d’être moins chers.

Autrement dit, les prêts ont beau être plus avantageux et faciles à obtenir qu’auprès d’autres pays, leur remboursement revient nettement plus cher dans la mesure où l’argent ne circule que partiellement dans le circuit économique du pays bénéficiaire et où il n’est pas soumis à l’impôt. « Tout le système fiscal en est faussé », explique Ranthocha. « Les entreprises chinoises devraient être traitées comme les autres. »

Un soutien politique limité

Les sociétés chinoises qui opèrent au Lesotho indépendamment des crédits sont elles aussi mal perçues. « Elles font parfois des transactions ici, mais l’argent est transféré vers la Chine », souligne l’enquêteur. Toutefois, Pékin refuserait de soutenir « l’échange automatique d’informations », de plus en plus courant à l’échelle internationale, entre des pays entre lesquels ont lieu des transactions financières inhabituelles.

« Quand quelqu’un, en Chine, reçoit 10 millions de maloti (570.000 euros – NDLR) du Lesotho, nous devrions être consultés afin d’établir si cette somme a été soumise à l’impôt ou non », indique Ranthocha. Les autorités fiscales de son pays insistent sur une assistance administrative pour le recouvrement des impôts et l’échange d’informations. « Sinon, la question du sens d’une convention fiscale se pose. »

A un autre niveau également, le Lesotho perd d’énormes recettes fiscales en raison de l’influence politique de la Chine. Car outre la Chine, Taïwan aussi exploite de nombreuses usines au Lesotho, notamment dans le secteur du textile. Mais comme presque tous les pays africains, le gouvernement a rompu les relations diplomatiques avec Taïwan, le rival de la Chine – condition préalable pour entretenir des liens étroits avec Pékin. Cependant, cela se traduit par une équation simple : « Sans la reconnaissance de Taïwan, il n’y a pas de convention fiscale avec Taïwan », conclut Ranthocha.

Cette perte de recettes publiques rend le fonctionnaire furieux. Et il ne veut pas céder. Il y a quelques années, il négociait déjà une nouvelle convention fiscale avec l’île Maurice, où les bénéfices des entreprises jusqu’alors installées au Lesotho étaient taxés aux taux les plus bas possibles. Mais dans le conflit actuel avec la Chine, il ne peut compter que sur un soutien politique limité. D’après cet économiste, nombre de parlementaires n’ont pas conscience de l’importance des impôts pour le développement du pays.

Pire encore, l’administration fiscale est parfois présentée comme l’ennemi, déplore Ranthocha : « Au Lesotho, personne n’est surpris quand des responsables politiques promettent de supprimer l’autorité financière en cas de victoire électorale. »

Le Soir

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