Judaïsme versus christianisme : un face à face permanent…

De manière tout à fait inattendue, le débat sur la véracité des convictions religieuses, juives, d’une part, chrétienne, d’autre part, refait surface. J’avoue avoir un peu attendu avant de prendre la plume pour dire ce que j’en pense. Au début, j’ai pensé, avec tout le respect dû aux uns et aux autres, qu’on ne cause pas théologie avec un simple artiste de variétés. Et puis, ce matin, les réponses données par mon ami le rabbin Haïm Nissenbaum sur RadioJ m’ont convaincu d’intervenir.

Je vais évoquer l’état d’esprit général qui a parcouru ces deux millénaires écoulés, depuis la fondation et la diffusion de la religion chrétienne, avec toutes ses sectes et ses hérétiques. Bref, un vaste mouvement qu’il est impossible d’ignorer puisqu’il figure dans toutes nos actions, chaque fois que donnons une date : le calendrier est fondé sur le comput chrétien, c’est-à-dire sur Jésus. Mais les choses n’en sont pas restées à des discussions académiques, fondées sur l’accord des deux traditions avec la Raison universelle. Je pense aux prétendions des uns et des autres à incarner la vérité religieuse et à poursuivre cet objectif si ardemment contesté, par tous les moyens, jusques et y compris la violence des meurtres et des conversions forcées.

Ce qui m’intéresse dans le débat actuel, suscité par les émotions respectables d’une personnalité du monde du spectacle, c’est cet aspect de la controverse, précisément : les racines profondes des deux traditions, jadis ennemies et aujourd’hui réconciliées, sont revendiquées d’une manière mutuellement exclusives, Le Christianisme se dit en toute bonne foi le verus Israël, le véridique Israël, celui qui par Jésus a le mieux incarné le message biblique, face à une tradition juive, synagogale, qui a conservé très fortement le lien avec la langue, l’esprit les idéaux de ce même message biblique. Cela me fait penser à un chapitre du talmud qu’on apprend aux jeunes pour les familiariser avec le raisonnement juridique : deux personnes se saisissent d’un châle de prière, l’un dit c’est à moi et l’autre dit lui aussi , c’est ) moi… Remplacez le taléth par la tradition biblique et vous aurez un remake de cette vénérable controverse… (shnayim ohazim be-télith)…

Parfois, la divine Providence confie à d’humaines mains le soin de ranimer un débat ancestral car cela fait deux mille ans que cela dure, avec des hauts et des bas. Mais il faut voir plus loin et se garder de nourrir la polémique. Le sujet est très complexe et ne sera probablement jamais réglé de manière rationnelle. Il a pris naissance lorsqu’une tradition s’est séparée de la matrice où elle est née, pour se muer, au fil des siècles, en une ennemie irréconciliable. Et à revendiquer pour elle seule la Vérité…

Un bref rappel historique : les pommes de discorde judéo-chrétienne sont relativement réduites en nombre mais cruciales d’un point de vue théologique. Je parle des idées chrétiennes les plus réfractaires aux yeux d’un esprit juif, élevé dans la tradition biblico-talmudique : la forme divino-humaine de Jésus et l’antinomisme, c’est-à-dire le refus de l’accomplissement des commandements et préceptes divins. Ces deux points séparent gravement les deux confessions. D’un côté, les juifs tiennent que Dieu c’est la Torah (Zohar II) et donc les mitsvot, de l’autre, l’église soutient que le sacrifice de Jésus sur la croix nous libère de la servitude des préceptes. Mais ce qui frappe, c’est la reprise, par la nouvelle église, des sources juives anciennes, ce qui donne l’impression que le christianisme n’a pas vraiment renoncé à ses racines juives, vétérotestamentaires, midrashiques, voire même talmudiques. C’est l’humus juif qui a permis l’éclosion de la foi chrétienne.

Un exemple de l’acharnement antinomiste de saint Paul, il se trouve dans son épître aux Gales qui s’éteint remis à pratiquer la circoncision alors que l’apôtre des gentils les en avait dissuadés précédemment. Son argumentaire est simple : ne retombez pas dans la circoncision charnelle alors que je vous avais enseigné celle qui est intégralement spirituelle..

Un exemple classique : le Pater Noster (en hébreu : Avinou) est la traduction du Kaddish des rabbins, lesquels l’ont compilé à partir des écrits prophétiques. On dit : ytgadal wé we-yitkadash ; dans le livre d’Ézéchiel Dieu dit : we-nitgadalti we nitkadashti. La Bible de La Pléiade traduit ainsi : Je me montrerai grand et saint… Or le Pater Noster chrétien est la pierre de touche de la liturgie chrétienne…

Ce sont deux théologiens chrétiens, armés d’une érudition juive admirable et incontestable, qui ont le plus foncièrement documenté cette unité profonde entre les deux religions, voire ce partage des sources communes, Hermann Leberecht Strack et Paul Billerbeck. Ces deux savants ont signé un ouvrage d’une érudition écrasante, intitulé Commentaire du Nouveau Testament à partir du Talmud et du Midrash… Pas un verset des Évangiles, pas une parabole évangélique qui n’ait, de près ou de loin, des racines juives et hébraïques. Cela me fait penser à un livre de Léo Baeck (Berlin, 1938) que j’avais traduit jadis : Les Évangiles, une source juive (Bayard, 2002). Le titre allemand est plus explicite mais trop long pour un lectorat francophone : L’Évangile en tant que document de l’histoire religieuse juive… C’est bien plus clair.

Le second point que je veux mettre en avant tient à la notion de Grâce, de bienveillance divine. Depuis saint Paul, prolongé par saint Augustin et aggravé par Luther, ce théologoumène est presque devenu l’équivalent de la notion de prédestination, chose que les juifs abhorrent car ils tiennent à la garantie de leur libre arbitre… Un passage des Principes des pères stipule que tout dépend du Ciel, excepté la crainte du Ciel.

Ce mystère de la Grâce sous l’angle de vue chrétien a coduit un érudit juif du XIVe siècle, un certain Avner de Burgos, à sa faire asperger des eaux du baptême et à devenir sacristain d’une église sous le nom de Alfonso de Valladolid… C’est Moïse ben Josué de Narbonne (1300-1262) qui mentionne ce fait dans un texte sur le libre arbitre (Maamar ba-behira). Avener a expliqué que la constellation astrale sous laquelle il est venu au monde commandait qu’il se fît chrétien et que cette prédestination était une loi d’airain à laquelle il ne pouvait pas échapper. J’ai édité ce manuscrit et traduit son contenu dans la Revue des études juives, au début des années quatre-vingt…

Au vu de ces exemples, on ne peut pas nier que juifs et chrétiens, même divorcés, même ennemis jurés, n’ont pas cessé de cohabiter dans des croyances voisines, même orientées différemment. Et c’est vrai qu’on a du mal à retenir son émotion quand on réalise que cette douloureuse séparation a changé la face de notre monde. C’est dire combien une éventuelle réconciliation est ardemment souhaitée !

J’achève ce survol de la question disputée Judaïsme versus christianisme par une évocation du philosophe juif du XXe siècle qui s’est le plus rapproché du christianisme au point de chercher à le rejoindre avant de se raviser : Franz Rosenzweig (ob. 1929),

Franz Rosenzweig, dans son Etoile de la rédemption, l’homme qui fut à deux doigts de passer à la religion chrétienne, redevenu juif pratiquant, explique que Dieu a besoin des deux ouvriers, (juif et chrétien) ; le Juif, explique-t-il est déjà arrivé à bon port puisqu’il a vécu la théophanie du Sinaï ; le frère chrétien est encore en route ; dans ce cas, pourquoi changer de place dans la barque ?

Ce philosophe allemand qui a tant inspiré Levinas est saisi par l’émotion lorsqu’il se demande quelle est l’autorité, apte à arbitrer cette compétition d’un genre bien particulier. La charge est si lourde qu’il préfère la confier à la sagesse divine, c’est Dieu qui juge et vérifie. Rosenzweig utilise le terme allemand d’authentification,, de vérification, die Bewährung. Et il le fait, le cœur chancelant. L’essence divine est seule capable de juger de la véracité et de la sincérité.

En fait, il faut distinguer entre deux types de judaïsme : celui de l’exil et celui d’après, lorsque le judaïsme exilique ne sera plus qu’un lointain souvenir. Dans ce nouvel éon ou âge du monde,, les juifs ne seront pas obnubilés par la nécessité de survivre, ils entameront une page nouvelle, celle de la vie tout court, loin des persécutions et des violences qui ont de leur histoire non plus une histoire digne de ce nom, mais une martyrologie…

La tradition kabbalistique a entrevu ce domaine quasi paradisiaque qu’elle assimile à l’espace séfirotique qui n’est plus vraiment divin sans être devenu entièrement historique et terrestre… Les kabbalistes ont investi l’interprétation biblique en la rehaussant d’une saveur mystique.

Maimonide a vécu cette même dichotomie (sans être kabbaliste) et a réservé ses doctrines philosophiques à cet âge d’or que nous attendons tous. Il y a une différence de fond entre la survie et la vie tout court. L’espace où se déroule la vie est dit messianique, la survie, elle, exige une vigilance de tous les instants, on est constamment sur ses gardes. Comment voulez vous que des choses normales se déroulent dans de telles conditions ?

En concluant, un adage talmudique en araméen me revient en mémoire : Rahaman libba ba’é : Dieu préfère le cœur

Viendra le temps où la GRÂCE DIVINE ( NO’AM HA-SHEM) habitera tous les cœurs et tous les esprits.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

 

Conférence de Maurice-Ruben HAYOUN
Mairie du XVIe arrondissement (Salle des mariages)
le jeudi 8 décembre à 19 heures sur le sujet suivant:
La ligature d’Isaac selon Craintes et tremblements de Sören Kierkegaard.

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Marco 22

Merci Mr Hayoun pour votre article car il permet de mettre à la lumière certains malentendus. Merci aussi aux journalistes de JFORUM qui permettent aux Chrétiens qui visitent ce site de mettre des commentaires.

Tout d’abord, Yeshoua n’est pas venu pour abolir la Loi comme vous pouvez le prétendre mais il est venu pour l’accomplir ! La preuve :

Voici les déclarations de Yeshoua : »Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. Car, je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé. Celui donc qui supprimera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire de même, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux; mais celui qui les observera, et qui enseignera à les observer, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux ». Matthieu 5.17-19

Les Juifs de l’époque de Yeshoua étaient convaincus d’être sauvés parce qu’ils descendaient d’Abraham, parce qu’ils étaient circoncis ou bien encore parce qu’ils mettaient la Loi en pratique. Bref, ils recherchaient une justification par les oeuvres. Mais en réalité, de Abel en passant par Noé, Abraham, Moïse, David et jusqu’à ce jour, C’EST LA FOI QUI SAUVE.

La preuve: « Abram eut confiance en l’Eternel, qui le lui imputa à justice » Gen 15.6

Abraham a cru bien avant d’être circoncis et c’est cette foi qui l’a sauvé et non la circoncision qui n’était qu’une marque dans la chair pour attester de l’appartenance au peuple de Dieu.

Et, c’est pour cela que Moïse a exhorté le peuple à se circoncire spirituellement: « Vous CIRCONCIREZ DONC VOTRE COEUR et vous ne raidirez pas votre cou ». Dev ou Deut 10.16

Ou bien encore, Jérémie: « Circoncisez-vous pour l’Eternel, CIRCONCISEZ VOS COEURS, hommes de Juda et habitants de Jérusalem ». Jér 4.4

« Mais le juste vivra par la foi ». Hab 2.4

« Car c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les oeuvres, afin que personne ne se glorifie ». Ephésiens 2.8-9

En conclusion : Yeshoua est venu visiter son peuple pour le délivrer le la puissance du péché et de la mort pour ceux qui croiraient en Lui.