Israël en punching-ball et l’inertie du Gouvernement

Les propagandistes de la haine en tous genres attaquent Israël depuis des décennies et bénéficient d’une impunité presque totale. Il est très surprenant que les gouvernements israéliens successifs aient permis que cela se produise sans même tenter d’instaurer une agence chargée de contrer la propagande – en mettant à découvert ses véritables ennemis – dans un effort nécessaire de réplique et de dissuasion. Alors que ce problème fait débat, on se demande bien pourquoi les gouvernements israéliens ont permis de laisser Israël devenir le punching-ball de tant de ses ennemis.

Au premier coup d’oeil, il semblerait difficile de trouver des explications rationnelles à une telle inaction prolongée. Il n’y a qu’en analysant le processus de délégitimation d’Israël dans ses menus détails qu’on puisse en découvrir quelques-unes.

Une des raisons de la complaisance du gouvernement est due à la nature de l’actuelle campagne anti-israélienne, qui dans la “société post-moderne” mondiale, est très fragmentée. Un nombre substantiel d’attaques provient de nombreuses directions à la fois. Bien que peu d’entre elles ont un impact marquant, le véritable problème qu’elles posent relève de leur influence accumulée. C’est ce que reflète le titre de mon dernier livre, qui analyse le processus de délégitimation d’Israël : The War of A Million Cuts[1]  [Une guerre d’un million de mises en pièces (banderilles)].

Les attaques classiques du clergé catholique étaient fondées sur une seul “marqueur” : son mobile dominant consistait à accuser les Juifs d’avoir assassiné le prétendu fils de D.ieu. L’antisémitisme ethnique s’est basé sur un autre thème essentiel : les Juifs étaient, alors, considérés comme un peuple inférieur.

La situation contemporaine est radicalement différente de celle qui a précédé immédiatement la Seconde Guerre Mondiale. A cette époque, un mouvement de grande ampleur et d’un extrémisme sans précédent se démarquait de façon prédominante au-dessus de tous les autres : le parti nazi, et son chef dont la visibilité était sans commune mesure, Adolf Hitler. Ses disciples se sont répandus très largement à travers toute l’Europe, bien au-delà de l’Allemagne. Il n’y a aucun mouvement organisé et structuré de cette envergure, de nos jours. Le Guide Suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamenei, par exemple, est un propagandiste de tout premier plan, qui prône une politique génocidaire antisioniste. Pourtant, il ne parvient pas à jouer le rôle de référence pour la plupart des mouvements basés en Occident, qui, eux aussi, attaquent Israël, et qui comprennent une partie des medias, des ONG pseudo-humanitaires, des églises, des syndicats, des politiciens d’extrême-gauche et d’extrême-droite et tant d’autres.

Lorsque je suis invité à des conférences sur le processus de délégitimation d’Israël, je dis parfois : “Si j’avais été invité à m’exprimer il y a 500 ans, il aurait été facile de convaincre au auditoire juif de la nature extrémiste de l’antisémitisme. J’aurais alors convié un prêtre catholique qui aurait expliqué que le dogme de l’Eglise tient tous les Juifs, à travers toutes les générations, pour responsables de la mort de Jésus.

J’aurais également appelé à la tribune un Pasteur luthérien qui aurait expliqué que Martin Luther, le fondateur de sa communauté, disait qu’on devrait brûler les synagogues en l’honneur de D. et de la Chrétienté, que les maisons juives devraient être réduites en cendres, que les Juifs devraient être logés dans des étables et qu’on devrait leur retirer leurs livres. Luther déclarait aussi qu’on devrait interdire à tout Rabbin d’enseigner, sous peine de mort[2].

La complexité actuelle du système d’attaques, sa nature fragmentée et les difficultés du cercle dirigeant d’Israël à comprendre la nature du noyau dur de ces attaques de propagande est, sans doute la principale raison, mais certainement pas la seule, expliquant qu’Israël n’a pas cherché à fonder une agence de contre-propagande, durant tout ce temps.

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On peut trouver une deuxième raison à cette inaction dans la perception qui anime les gouvernements israéliens successifs, que, tant que les exportations fleurissent, les coups de griffes contre l’image d’Israël que peuvent envoyer les mouvements antisionistes fondés sur la haine ne représentent pas une grande menace. Des responsables du gouvernement craignent que s’en prendre à des propagandistes étrangers des pays occidentaux pourrait affecter le bon développement commercial.En d’autres termes, aussi longtemps que l’économie réalise d’excellentes performances, ils considèrent que le combat contre la délégitimation n’est, au mieux, qu’un sujet de deuxième catégorie.

Que l’économie soit tenue pour la plus haute des priorités est tout-à-fait évident pour les autres politiques du gouvernement. Le gouvernement israélien est réticent à soutenir le problème de la restitution après la Shoah, en ce qui concerne les pays de la Baltique, par exemple. Efraïm Zuroff, du Centre Simon Wiesenthal dit que “c’est, à la fois, ironique et triste de penser que le refus total d’Israël de les critiquer pour leur faible investissement dans les questions relatives à la Shoah pourrait avoir pavé la voie à de bonnes relations avec les trois pays de la Baltique[3]”.

Un troisième facteur peut aussi partiellement expliquer l’inertie du gouvernement sur le long terme, qui a empêché la création d’une agence israélienne de lutte contre la propagande. L’instauration d’une telle agence diminuerait les prérogatives accordées à divers autres ministères du gouvernement. Afin de procéder à un tel changement, il faudrait alors un Premier Ministre qui fasse du combat contre la propagande anti-israélienne une priorité nationale.

Il pourrait bien y avoir une quatrième raison. Dans certains cercles israéliens, on entend qu’une certaine dose d’antisémitisme encourage les Juifs de l’étranger à immigrer vers Israël. L’Israélien moyen, cela dit, n’a pas la moindre idée de ce que l’antisémitisme signifie ; il vit dans l’environnement interne plutôt isolé de l’Etat juif. L’arrivée de milliers d’Olim Hadashim (nouveaux immigrants) de pays comme la France, par exemple, laisse penser à de nombreux Israéliens que même les gens qui vivent dans des environnements a priori plus sains préfèrent venir en Israël, un état qui connaît un certain nombre de ses propres problèmes. Ils perçoivent l’antisémitisme comme finalement bénéfique à Israël, sans comprendre sa véritable nature, son impact dangereux et ses conséquences virulentes.

La réticence à répondre à ce problème de délégitimation qui progresse toujours plus, expose Israël à un danger exponentiel. Faire face aux menaces militaires de l’Iran est, d’une certaine manière, mener un type de guerre plus classique. Mais combattre dans une guerre d’un million de “banderilles”, cependant, requiert des approches beaucoup plus innovatrices. Cela ne peut se développer qu’à travers un processus d’essais et d’erreurs engagé par une agence structurée.

Il se peut bien qu’Israël ne décide l’instauration d’une agence de lutte contre la propagande que lorsque les dégâts provoqués deviendront plus visibles et prononcés aux yeux du public israélien. La survenue d’un événement majeur douloureux, plutôt que des myriades d’incidents d’importance mineure finira, sans doute, par bousculer l’inertie gouvernementale. Il est douteux que même un scandale comme la demande d’interdiction de l’équipe de football israélienne à la FIFA, la fédération internationale de football, puisse pousser le gouvernement à passer à l’action.

Le problème réel en jeu consiste à savoir s’il y aura assez d’esprit d’initiative au sein du gouvernement pour prendre les devants et instaurer ce type d’agence de lutte contre la propagande ou si nous attendons, tout simplement, que se produise un désastre de grande ampleur.

Par Manfred Gerstenfeld

Le livre que vient juste de publier Manfred Gerstenfeld, The War of a Million Cuts analyse de quelle façon  Israël et les Juifs se trouvent délégitimés et de quelle manière on peut combattre ces tentatives de délégitimation

Le Dr. Manfred Gerstenfeld est membre du Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem, qu’il a présidé pendant 12 ans. Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

Notes : 

[1] Manfred Gerstenfeld, “The War of A Million Cuts:  The Struggle against the Delegitimization of Israel and the Jews, and the Growth of New Anti-Semitism,” RVP Press and The Jerusalem Center for Public Affairs, 2015.

 [2] Manfred Gerstenfeld interviews Hans Jansen, “Protestants and Israel: The Kairos Document Debate,” Israel National News, 6 December 2012.

 [3] Manfred Gerstenfeld, “Op-Ed: Interview with Efraim Zuroff: Baltic Anti-Semitism,” Israel National News, 1 May 2013.

 

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