Variations sur le  « rien »

24/11/2020 ERICK LEBAHR

Le Covid. L’islamisme. Les attentats. Le réchauffement climatique. Les famines dans le monde. Les guerres. Les féminicides… Noyés que nous sommes dans un flot d’informations éminemment anxiogènes…

La coupe est pleine ! Aujourd’hui, je n’avais plus envie de parler…. Seulement de faire allégeance au silence… l’exil de la parole, l’hibernation des mots, un comble pour un Avocat…

Et puis, progressivement, une idée a émergé… Et si l’on parlait… de Rien ??? Étant souvent à contre-temps, à contre-courant, à contre cœur, j’ai donc succombé à cette tentation… parler de Rien !

Mais entendons-nous bien : parler de rien, ce n’est pas rien ! Et je ne vous ferai pas l’injure de parodier l’excellent Raymond Devos, en mode « aujourd’hui, je n’ai rien à dire, mais je veux que cela se sache » … J’irai un peu plus loin… mine de rien (si j’ose dire), nous vivons plus que jamais à l’ère du Rien.

Il y a une infinité de modalités, une multitude de déclinaisons possibles du Rien. Du reste, le Rien est une notion ambivalente. Il peut arborer un visage souriant, exhiber une face paradoxalement lumineuse. Mais il en est aussi une autre, plus sombre, plus obscure. Nous pensons au nihilisme, cette inclinaison délétère ô combien moderne… Tout se vaut, car Rien ne vaut. De tout, faisons table rase ! Rejetons tout sens, toutes valeurs ! Déboulonnons des statues de personnages historiques, sans le moindre discernement ! Horrible époque, que celle où explose la passion de la destruction, l’éthique sotte de la subversion.

Et que dire des crétins, crétines qui s’adonnent à cette monstruosité, l’écriture inclusive, dite « non sexiste », ou encore « écriture dégenrée » (je dirais plutôt l’écriture dégénérée !). L’écriture inclusive, c’est la barbarie à visage urbain…

Un florilège d’autres exemples pourraient illustrer ces versions éminemment tragiques du Rien, qui sont la marque du post modernisme, du gauchisme culturel dont nos sociétés européennes, en déclin, connaissent les affres… Stop au Rien, à la bien-pensance qui n’est que de la rien-pensance… Stop à ces ténèbres qui nous enserrent !!

Aujourd’hui, je ne voudrais aborder que la figure radieuse du Rien.

Tout d’abord, le Rien a une dimension philosophique. Le rien est ce qu’il y a avant toute chose. Le Rien est le chaos qui précède ce qui va advenir. Mais en ce sens, le Rien est Tout, puisqu’il est le fond originaire de toutes les choses du monde.

Ensuite, le Rien a une connotation poétique. Prenez la vie. un Rien l’amène, un Rien l’emmène. Un Rien l’anime, un Rien la mime ! (Et ça rime !). Dans la vie, l’important est fait de petits Riens… Et c’est avec les petits Riens que l’on fait les grands Tout. S’émouvoir d’un petit Rien, qui embellit notre quotidien. Vibrer d’un petit Rien, pour faire éclore un plaisir sans fin. Scruter un paysage vertigineux. Contempler un coucher de soleil. Échanger une poignée de main, le regard serein. Marcher à deux vers Demain… Les exemples abondent, ce sont les petits Riens qui font fleurir des fragments de bonheur…

Changeons de registre. Qui mieux que le génial philosophe juif Jankélévitch a incarné le Rien ? Personne…il est le philosophe du « je ne sais quoi et du presque Rien ». Pour lui, la musique, la philosophie sont des « presque rien ». Elles portent sur des Riens, des instants… Dans son traité des vertus, il fait l’éloge de la simplicité. Quoi de plus simple que le Rien ? Le bonheur est dans la simplicité des cœurs, loin des vanités et des débordements de l’ego. Le bonheur est fait de ces instants, de ces Riens qui sont Tout, de ces modestes joies que l’on tisse dans la couleur du temps qui passe…

Mais attention, la simplicité… n’est pas simple. Elle est complexe. Elle a besoin d’étude pour s’acquérir. Il faut apprendre à désapprendre, apprendre à nous déprendre… Apprendre à nous dépouiller des choses compliquées, qui nous empêchent d’être des êtres simples… C’est dans la simplicité que réside l’essentiel.

Prenons l’exemple d’une rencontre avec une femme. Elle a un visage harmonieux, une élégance souveraine, tant d’autres qualités qui nous enchantent… Mais le phénix de toutes ses qualités, c’est justement ce « je ne sais quoi », ce « presque rien ». C’est ce flou poétique, qui nous dépasse. Ce flou sans lequel les autres qualités seraient inopérantes… Ce peut être un charme indéfinissable, un mystère insondable, un parfum insaisissable. Mais ce « presque Rien » est essentiel. Il est cet ineffable, qui se perçoit avec le cœur. Nous sommes là, dans un temps suspendu, qui est un non-temps. Il faut savoir saisir cet instant-là, cette heureuse rencontre, ce moment de grâce… Rien n’est donné, tout est à créer !

Tel était Jankélévitch, le philosophe de « l’inachevé », le prince du « presque rien ». Bien que mort prématurément, son œuvre, inachevée elle aussi, résonne, scintille de mille feux…. Et ce n’est pas Rien…

Je ne vois guère de meilleur épilogue pour clore cette chronique sur le « Rien », ce vagabondage, cette promenade inédite au pays du Rien. Aujourd’hui, j’avais l’âme badine…. l’envie d’emprunter des chemins de traverse, loin des sentiers battus… loin des vacarmes du monde. Déployer un rien de frivolité, dans ce monde de Rien qui nous étouffe… l’exercice était inédit…

Mais au final, « non, rien de rien, non je ne regrette Rien » !!! J’ai vraiment pris plaisir à partager avec vous cette petite anthologie du Rien… dont, probablement, il ne restera Rien. EL♦

Erick Lebahr, MABATIM.INFO

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