«Génération radicale», le rapport incisif sur la dérive d’une partie de la jeunesse, rédigé par le député PS Malek Boutih, saura-t-il trouver son chemin jusqu’à l’Elysée, ou bien la gauche sera-t-elle tentée de l’enterrer, comme c’est l’usage pour tout ce qui dérange et place le pouvoir politique au pied du mur? Il faut saluer le courage et l’honnêteté intellectuelle de Malek Boutih, car ce rapport d’une grande qualité pointe de façon très précise, en un format et une langue accessibles, un grand nombre des problématiques contre lesquelles se cogne de plus en plus violemment notre société.

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Le rapport à la fois questionne et répond: «Là où la société se demande pourquoi part-on mourir à vingt ans au bout du monde, le djihadiste, lui, voit un chemin pour sortir de l’ennui de la pauvreté, de l’absence de perspectives.» L’ensemble de la problématique est ici sous-jacente. Le député analyse progressivement les mécanismes de l’endoctrinement ; la pluralité du phénomène ; les motivations politiques, sociales, mais également existentielles des jeunes radicalisés. A aucun moment le jeune de banlieue désœuvré, en situation d’échec et tenté par le djihad n’est dédouané. Le but n’est pas d’excuser mais de comprendre, et de trouver, au-delà des explications, des portes de sortie. Elles sont multiples. Et discutables. Nous ne manquerons d’ailleurs pas d’évoquer quelques points de désaccord, mais il faut noter un point important: Au-dessus de ces portes de sortie, un unique écriteau: République. L’ardeur à revaloriser le modèle républicain, loin des naïvetés habituelles, mérite également d’être saluée. Car Malek Boutih n’esquive pas. Il fait ce dont le Président de la République semble incapable: il nomme. Il pose des mots sur des problèmes concrets et encore largement ignorés par l’exécutif.

Par exemple: «Il ne s’agit pas seulement de prévenir la dérive de quelques individus marginalisés ; il faut plutôt s’interroger sur le fait qu’une grande partie de la jeunesse se détourne de notre modèle de société». C’est un fait qui nécessite effectivement d’être reconnu et pris en considération au plus vite: la tentation radicale dépasse le «petit nombre» que certains officiels veulent bien évoquer. Si le passage à l’acte demeure circonscrit à une minorité, le phénomène d’adhésion, plus ou moins fort, à un stade plus ou moins avancé, est beaucoup plus large.

Malek Boutih pose également le doigt sur la crise existentielle de notre jeunesse: «Une étude menée en 2014 par l’Unicef France relève que plus d’un jeune sur trois (36.3%) serait en souffrance psychologique», souffrance qui ouvre toutes grandes les portes aux recruteurs de Daesh ; puis il évoque l’évolution de la stratégie d’endoctrinement de l’EI, stratégie désormais tournée vers des jeunes gens plus stables, moins visibles, moins repérables. L’auteur du rapport consacre également un long développement, détaillé et argumenté, aux raisons de «l’enracinement d’un nouvel antisémitisme», montrant à quel point ce fléau n’est toujours pas derrière nous, bien au contraire. Et puis, il évoque de façon nette la faiblesse intellectuelle et le défaut de jugement de cette jeunesse face à la complexité géopolitique: «Parce que les évènements se déroulent dans des contextes lointains, méconnus, ils peuvent y appliquer une lecture simpliste et binaire».

Malek Boutih choisit également, comme une ligne transversale de son rapport, de réaffirmer la prééminence du caractère politique de l’adhésion à l’islam radical. Le défaut de connaissance du corpus théologique islamique de la part des djihadistes est désormais acté par les spécialistes, et semble se confirmer à chaque nouvelle arrestation. L’attirance principale est donc d’une autre nature qu’exclusivement religieuse. Politique. Une fois ce cadre politique posé, il n’est cependant pas possible d’en rester là, car il appelle un certain nombre de questions. Ces questions appellent des réponses et des explications. Et c’est peut-être là que nous nous séparerons de l’analyse du député.

Tout d’abord, l’interprétation sociologique de la mouvance djihadiste française interpelle le lecteur: «Il ne s’agit pas uniquement de jeunes issus de milieux défavorisés ou de culture musulmane ; des convertis, des enfants d’enseignants, des étudiants ont également basculé, ce qui confirme la primauté de la dimension politique.» Dont acte. Mais l’analyse ne fait pas état des proportions. Or, c’est là que tout se joue: quel pourcentage de personnes issues d’une culture musulmane dans la totalité des convertis? Comment nier que ces jeunes issus de l’immigration, et de confession ou de culture musulmane, sont des cibles privilégiées? Le député renchérit: «Théoriser un lien direct entre immigration et radicalité ne repose sur aucun fondement…» Si, il y a un fondement, il est de nature politique et géopolitique et trouvera probablement confirmation dans les chiffres. Il est également de nature culturelle. Si le djihad déborde le cadre culturel musulman, il ne saurait s’emparer dans les mêmes proportions des sensibilités musulmanes et des sensibilités chrétiennes ou athées. Si la dimension politique met en évidence le potentiel d’endoctrinement djihadiste, elle ne permet pas de remettre en cause la hiérarchie des catégories d’individus sujets à endoctrinement.

L’autre point de désaccord concerne le regard porté sur l’échec du modèle républicain, et plus largement occidental, et sur les solutions préconisées. Si l’on peut suivre le rapporteur sur son constat: «c’est dans les failles, les déchirures du tissu républicain, qu’a grandi et prospéré leur haine avant qu’ils ne passent à l’acte», on ne manquera pas de questionner l’interprétation qui en est faite. Elle reste malheureusement conforme à cette gauche un peu vieillotte, étatiste à l’excès, ne jurant que par l’accroissement des subventions publiques et des mouvements associatifs: «Ces dernières années les politiques publiques n’ont cessé de se désengager du secteur associatif. Cette évolution s’est traduite sur le terrain par l’assèchement des subventions au profit d’une logique d’appels d’offres. Le caractère souple et amateur des associations s’est heurté à l’accumulation de règlements et de normes comptables contraignantes, tant et si bien que peu de jeunes souhaitent continuer l’aventure.» Dès lors, doutes concernant l’Etablissement public national qui aurait en charge de rendre au modèle républicain son attractivité ; doutes sur le «nécessaire retour de l’Etat régalien», véritable gouffre d’un argent public dépensé notamment pour les quartiers avec un rendement, il faut l’avouer, des plus faibles.

On aurait aimé un ensemble de préconisations plus en accord avec une politique républicaine responsable et novatrice, plus en accord avec le regard que Malek Boutih pose sur la déroute de la gauche en 2002, sur l’aveuglement sociétal des années Jospin où tout était ramené à l’emploi et au développement économique: «Résumer la crise française aux difficultés économiques est réducteur, les faits politiques de ces dernières années le prouvent, en particulier l’élection présidentielle de 2002.» Le jugement est sans concession mais très pertinent. Réhabiliter un projet politique républicain, voilà de quoi il s’agit désormais, et nous serons d’accord sur ce point avec Malek Boutih, mais un projet qui allie le regard perspicace qui a été posé dans ce rapport avec des solutions peut-être davantage radicales et audacieuses.

Frédéric Saint Clair – LE FIGARO.Fr

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