Est/Ouest: La guerre sans fin des antennes

La guéguerre contre Russia Today s’inscrit dans une histoire bien plus longue

Alors qu’Emmanuel Macron s’apprête à recevoir Vladimir Poutine au Fort Brégançon, le sénateur Claude Malhuret vient de demander l’interdiction de Russia Today et de Sputnik. Son argument: « Ce ne sont pas des médias, ce sont des organes d’influence, et c’est le président de la République qui l’a dit très clairement. »

Si ces médias russes se font clairement les porte-voix des gilets jaunes ou se complaisent à pointer nos faiblesses occidentales, souhaiter leur interdiction apparaît comme une sacrée ironie de l’histoire… Démonstration.

Avant 1990, l’Ouest s’était donné la mission d’informer l’Est. La bonne parole devait transpercer le Rideau de Fer, aussi épais et étanche fût-il. Et il n’y avait, pour réussir cet exploit, que les ondes radio – les ondes courtes, dont probablement plus personne ne se souvient de nos jours.

Elles furent, ces ondes courtes, une des armes de la guerre froide, la seule active jour et nuit, brandie pendant un demi-siècle en direction de l’empire rouge – une arme coûteuse, que nous croyions toute-puissante, mais qui, en fin de compte, n’ébranla rien et ne changea pas grand-chose. Il y a des régimes que l’information ne peut faire vaciller.

Dès 1950, les États-Unis créèrent Radio Free Europe/Radio Liberty, financée par la CIA, et ravivèrent The Voice of America, dont le département d’État était, du moins théoriquement, l’institution tutélaire. Avec la longue expérience de Radio Londres, la Grande Bretagne avait, à son tour, lancé la BBC dans cette guerre.

Structures énormes, avec des moyens techniques colossaux, ces trois stations de radio, diffusant en quelques dizaines de langues, arrosaient l’ensemble du territoire où sévissait le « socialisme réel ».

Leur travail s’appellerait aujourd’hui de la réinformation : elles apprenaient aux auditeurs ce qu’ils n’avaient aucun autre moyen d’apprendre sur la politique interne de leurs propres pays, aussi bien que sur la politique internationale telle que la comprenaient les capitales occidentales. La ligne éditoriale était claire : propagande ouverte contre le système et contre les régimes en place.

Histoires d’espions…

Rien d’étonnant, donc, à ce que les régimes en question tenaient en haute détestation ces radios – « officines de l’impérialisme revanchard ».

Pour commencer, il était interdit de les écouter, les contrevenants risquant au moins une longue et pénible enquête, quand ce n’était, tout simplement, une peine d’emprisonnement.

Mais l’interdiction ne pouvant assurer un muselage complet, on recourait au brouillage des transmissions. D’interminables murs d’antennes – matérialisations sinistres du Rideau de Fer – émettaient sur les longueurs d’onde de ces radios un grondement ininterrompu qui, très souvent, rendait l’écoute difficile, voire impossible.

La police politique de chaque pays communiste comptait en son sein un département qui s’occupait du « problème » des radios occidentales.

Les émissions étaient captées en dehors des zones de brouillage, enregistrées, transcrites, lues, analysées, des rapports étant ensuite rédigés à l’intention des hauts responsables idéologiques.

Des agents étaient envoyés à l’étranger, chargés de la surveillance des rédacteurs et de leurs proches. Quelques attentats ont même été commis, avec des conséquences plus ou moins dramatiques.

Les hommes de Ceausescu, par exemple, ont eu recours aux services du fameux terroriste Carlos pour faire sauter la rédaction roumaine de Radio Free Europe. En 1978, à Londres, l’affaire dite du « parapluie bulgare », oubliée depuis longtemps, fut la preuve que le meurtre était considéré à l’Est comme un moyen « acceptable » de combat contre la propagande radiophonique.

De temps à autre, et c’était là un très grand succès, un des agents de l’Est réussissait, en dépit de la surveillance américaine et britannique, à infiltrer une rédaction. Il pouvait alors non seulement envoyer à sa centrale des informations précises sur la radio et ses rédacteurs, mais aussi tenter une manipulation discrète de ses collègues.

C’est maintenant l’Ouest qui veut limiter la « liberté d’expression »

Outrées, les grandes démocraties occidentales protestaient souvent contre ces méthodes, contre cette censure. Elles invoquaient les droits de l’homme, la liberté de la parole, le principe selon lequel l’accès aux sources d’information doit être libre.

Ces démarches n’avaient, bien entendu, aucun succès. « Vous nous attaquez, disaient les chefs du bloc soviétique, donc nous nous défendons. »

Tout cela a pris fin voilà bientôt trente ans. Cependant, l’histoire, et particulièrement cette histoire-là, ne pouvait ne pas se répéter.

La seule différence est que, maintenant, elle se joue dans le miroir. Une fois de plus outrées, les mêmes grandes démocraties occidentales – avec la France en première ligne – s’insurgent avec autant de vigueur qu’à l’époque de la guerre froide.

Paradoxalement, cette fois ce n’est plus au nom de la liberté d’expression, mais pour se protéger contre elle, la restreindre ; ce n’est plus pour dénoncer la censure d’inspiration soviétique, mais pour instaurer une censure « démocratique » contre l’activité de la télévision Russia Today et de l’agence de presse Sputnik, qu’elles accusent d’influencer leur vie politique interne, de manipuler les électeurs. La symétrie entre la situation d’hier et celle d’aujourd’hui est effarante ; on est saisi par l’impression que chaque camp répète l’expérience passée de l’autre.

L’Occident veut faire taire la Russie de même que l’Union soviétique et ses acolytes voulaient faire taire l’Occident. Fer de lance de la lutte contre la liberté de la presse, la France se dote même, en ce sens, de mesures législatives inquiétantes.

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Miraël

Tout le monde le sait que ce sont des organes d’influence. Comme France 2, France 3, Arte ou TV5… On demande pas pour autant l’interdiction de ces chaînes.