La rencontre vaut bien tous les cours d’histoire. En ce mardi matin, les élèves du lycée Galilée écoutent sans un bruit Dina Godshalk, 81 ans, née Claire Farhi, leur expliquer comment elle a échappé de peu à la Soah.

« Quand vous êtes partie dans le bus, vous vous doutiez que vous n’alliez plus jamais revoir votre père ? », interroge maladroitement un élève.

Gennevilliers, lycée Galilée, mardi 24 mars. C’est en préparant le concours national de la résistance et de la déportation que ces lycéens ont découvert que Dina avait échappé à la déportation et qu’elle était toujours vivante, en Israël.

Gennevilliers, lycée Galilée, mardi 24 mars. C’est en préparant le concours national de la résistance et de la déportation que ces lycéens ont découvert que Dina avait échappé à la déportation et qu’elle était toujours vivante, en Israël.(LP/A.D.)

Digne, Dina répond avec gentillesse à toutes les questions. Et elle raconte : sa fuite en 1941 dans un bus, puis un train, puis un camion, grâce au réseau de Secours national, sa vie cachée dans un château de Haute-Loire avec deux de ses frères, le retour difficile à Gennevilliers chez une tante, l’éloignement de son frère Albert, revenu d’Auschwitz, seul rescapé parmi six membres de la famille déportés, le travail à l’usine et enfin le départ pour un kibboutz en Israël. Aujourd’hui âgée de 81 ans, Dina y vit « dans la paix », avec ses enfants et ses petits-enfants.

Dans la grande salle de conférence, le silence règne. Les yeux piquent parfois. Ce travail de mémoire, Dina le fait régulièrement en Israël mais c’est la première fois qu’elle témoigne devant des élèves français. Mais ceux-là sont spéciaux. Au prix d’un minutieux travail d’historiens amateurs, ce sont eux qui ont retrouvé sa trace, et ont réinscrit son nom dans l’histoire de la ville.

A lire les archives, la famille avait été décimée pendant la guerre

Quentin, Paul, Ahmet, Khaled, Rémi, Meddy et Charlène préparaient le concours national de la résistance et de la déportation avec des collégiens de Guy Moquet. A lire les archives, ils pensaient que toute la famille Farhi, juive et communiste, avait été exécutée pendant la guerre. « Tout est parti d’une liste de déportés, raconte Paul Gilet, 16 ans. Nous avons vu que les noms des personnes se dédoublaient. Emilie Farhi, la mère, apparaissait aussi sous le nom de Djemila. Par la suite, nous avons utilisé les documents des archives municipales. Celui de Mme Lévy nous a appris que trois des enfants avaient été cachés. » Claire, 8 ans, Jean-Jacques, 6 ans, et Raphaël, 10 ans, ont été envoyés à la campagne par le maire de Gennevilliers grâce au réseau du Secours National. « Albert, le déporté, avait été considéré comme mort parce qu’à son retour des camps, il s’était caché de la civilisation, raconte Meddy, un autre élève de première. Nous nous sommes intéressés à ses frères et sœurs, et c’est là que nous avons découvert que Claire Farhi était vivante. » Ensuite, tout va très vite. « Nous avons pris contact avec l’ambassade, qui nous a mis en contact avec Yad Vashem, et Dina a accepté de nous parler par Skype ! » raconte Quentin, qui est « touché » de savoir qu’elle a habité juste derrière leur lycée.

« Le projet a été porté par sept élèves qui sont en filière technologique, rappelle le proviseur Lionel Pinard. Ils n’ont que deux heures d’histoire en première, et plus rien en terminale, et ils ont décidé de préparer le concours sur leur temps libre.Au final, ils ont dû faire un choix : continuer à préparer le concours de la déportation ou passer hors sujet pour vivre une incroyable aventure humaine. Ils ont choisi l’aventure humaine. »

Rencontre émouvante entre des lycéens et une rescapée de la Shoah

 


Rencontre émouvante entre des lycéens et une… par leparisien

C’est la seule survivante d’une famille au destin tragique

Archives. Pendant la guerre, Claire (à gauche) a été cachée à la campagne avec ses frères Jean-Jacques et Raphaël. Sa mère Emilie Farhi (à droite) et sa sœur Victoria sont mortes gazées dans le camp d’Auschwitz. (DR.)

Tragique destin que celui de la famille Farhi. Cette famille juive avait fui la Turquie parce qu’elle craignait d’y subir le même sort que les Arméniens. Installé à Gennevilliers, le père Salomon est employé comme manœuvre à l’usine Esso. La mère élève les sept enfants. Mais dès 1940, la famille, juive non pratiquante, commence à subir les mesures de l’occupant. « J’ai connu les squares interdits aux chiens et aux juifs, se souvient Claire, qui a aujourd’hui changé son prénom en Dina. A Gennevilliers, nous avions le droit d’aller à l’école mais nos manteaux avec l’étoile jaune étaient séparés des autres. Quand il y avait une inspection, nous courions nous cacher. » Quand les Allemands commencent à bombarder Paris, un réseau s’organise pour faire partir les enfants à la campagne. Claire, 8 ans, est envoyée en Haute-Loire avec ses frères Raphaël, 10 ans, et Jean-Jacques, 6 ans. Les trois aînés décident de rester à Gennevilliers avec leurs parents et le petit dernier, Daniel, âgé de 3 ans.

« Mes parents ont été arrêtés le 4 mai 1944 et transférés à Drancy, puis Auschwitz, retrace Dina. Il y avait deux files : à gauche, la mort, à droite, le travail. Ma mère, qui avait Daniel dans les bras, a été dirigée d’office vers la gauche. Mes sœurs, Angèle et Victoria, ont été placées à droite, mais Victoria a voulu rejoindre ma mère. Le jour de ses 40 ans, elles ont été gazées. Angèle est morte du typhus quelque temps après. » Le père Salomon travaille jusqu’à l’épuisement. « Son travail était de verser de la chaux sur les corps du charnier. Il avait de l’eczéma, la poudre de chaux lui volait dans les yeux, explique Dina. Quand il n’a plus été capable de travailler, il a été envoyé au four crématoire. »

Même après la guerre, le destin s’acharne sur la famille. « Jean-Jacques s’est tué en tombant d’un arbre à 54 ans, alors qu’il voulait cueillir des poires pour l’anniversaire de son fils, explique Dina. Raphaël s’est suicidé en 2012 avec l’impression d’avoir raté sa vie. Albert, rescapé du camp d’Auschwitz, a décidé de ne plus vivre quand sa femme est décédée, en juin 2014. » Consciente d’être une survivante, Dina sourit : « Moi, je suis une morte qui vit bien… »

 

Le Parisien.fr

 

 

 

 

 

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