Des enfants d’immigrés ainsi que des musulmans prêtent l’oreille aux idées de Marine Le Pen. Enquête auprès de ces nouveaux militants.

Cela devait être un jour de classe ordinaire. Devant le tableau noir, un jeune agrégé de lettres lance à ses lycéens : « Victor Hugo est l’un de nos plus célèbres poètes. » Soudain, les insultes fusent : « Tu es un traître ! Tu trahis tes origines ! » Éberlué, Farid, Français d’origine algérienne, comprend alors l’objet du courroux : ses élèves se sentent avant tout algériens, marocains, togolais ou camerounais, au point de lui contester l’emploi de la première personne du pluriel pour évoquer le génie littéraire de ce qui est aussi leur pays : la France. Alors, ce ne fut pas un jour comme un autre. Choqué, Farid décida de prendre sa carte au Front national.

« Le tabou du FN a sauté »

C’est une réalité : des enfants d’immigrés ainsi que des musulmans ont rejoint Marine Le Pen. Historiquement, ces derniers (ils représentent environ 5 % du corps électoral) ont toujours voté à gauche. À la présidentielle de 2012, selon une enquête de l’Ifop, 57 % d’entre eux ont voté pour François Hollande au premier tour, contre seulement 4 % pour Marine Le Pen. Mais depuis trois ans, « le tabou du FN a sauté chez ces électeurs », constate Gilles Kepel, auteur de Passion française*, une enquête captivante sur les candidats issus de l’immigration aux élections législatives de 2012. Pour sa campagne en vue des élections régionales en Ile-de-France, la tête de liste Wallerand de Saint-Just a ainsi prévu de distribuer à la fin du mois des tracts à destination des habitants des 203 zones urbaines sensibles (ZUS). « Dans ces quartiers sabotés, nous ferons campagne sur l’importance de la sécurité et de l’assimilation. Nous sommes contre le communautarisme et nous ne sommes pas responsables de la création de ces ghettos », explique-t-il.

Marine Le Pen aux côté de Wallerand de Sant-Just, tête de liste FN en Ile-de-France pour les élections régionales de décembre. 

« Musulmans patriotes »

Pourquoi des Français enfants d’immigrés ou musulmans votent-ils FN ? Parce que c’est à travers Marine Le Pen qu’ils affirment s’identifier le mieux à la France. Ils vibrent en brandissant le drapeau tricolore ou en contemplant les nouvelles affiches frontistes où pose Marianne coiffée d’un bonnet phrygien, avec le slogan « Premier parti de France ». Le député PS de l’Essonne Malek Boutih évoque une réaction « tripale » ressentie dans les tribunes du Stade de France lors de matches de foot : « Autour de moi, les Blacks et les Beurs étaient super contents de chanter la Marseillaise. Certains Français en ont marre de ne pas être reconnus comme tels. Finalement, il n’y a que le FN qui leur propose un réel sentiment d’appartenance à la nation française et à une communauté de destin. »

Ces convertis au marinisme vomissent plus que tout le communautarisme qui règne dans certains quartiers. « Quand mes parents kabyles sont arrivés en France en 1963, ils ont abandonné leur langue d’origine et leurs coutumes. Bien sûr, c’est une sorte de mutilation personnelle, mais nécessaire pour s’intégrer. Depuis, l’arrivée massive d’étrangers et le communautarisme ont bloqué le système d’intégration », témoigne Karim Ouchikh, conseiller de Marine Le Pen en charge de la culture. Exaspérés par les « provocateurs » qui exhibent la djellaba et par les salafistes barbus, ceux qui se proclament « musulmans patriotes » ont fini par se tourner vers Marine Le Pen, la contemptrice du communautarisme.

Voyages d’études

La patronne du FN l’a compris et prend soin de distinguer « islam » et « islamisme » d’une part, puis « immigrés » et « le phénomène de l’immigration » d’autre part. Dès le 1er mai 2011, lors du traditionnel défilé en mémoire de Jeanne d’Arc, elle donne le ton en faisant l’éloge de la « liberté » et lance : « Qu’on soit homme ou femme, hétérosexuel ou homosexuel, chrétien, juif, musulman ou non croyant, on est d’abord français ! » En janvier 2015, au lendemain des attentats de Charlie Hebdo et de la supérette casher, Marine Le Pen insiste : « Personne ne souhaite qu’une confusion soit effectuée entre nos compatriotes musulmans attachés à notre nation et à ses valeurs et ceux qui croient pouvoir tuer au nom de l’islam. Mais cet évident refus de l’amalgame ne doit pas être non plus l’excuse de l’inertie ou du déni. » Son conseiller en relations internationales Aymeric Chauprade – marié en premières noces à une Libanaise musulmane et instructeur à l’École de guerre de Tunis – tente d’initier sa patronne à cette religion qu’elle connaît mal. Il lui a d’ailleurs organisé un voyage en Égypte en mai dernier et songe l’emmener aux Émirats arabes unis ou au Maroc d’ici à la présidentielle de 2017. L’ex-candidate à l’Élysée peut également compter sur Philippe Péninque – un ami de jeunesse et son conseiller – qui aspire à faire venir au FN les jeunes d’origine maghrébine ou africaine. Les soirs d’élection, ce dernier brandit comme un trophée son téléphone sur lequel s’affichent les textos de ses amis banlieusards. « À mes potes rebeux et noirs, je dis : Vous êtes bien entendu concernés par la priorité nationale », glisse-t-il.

Ligne de crête

Pour étendre son influence, Marine Le Pen compte surtout sur ses propositions-phares jugées lisibles pour tous : l’abrogation de la loi sur le mariage gay – un point « non négociable » pour de nombreux musulmans –, la lutte contre l’insécurité et la maîtrise des flux migratoires. Et l’élu PS Malek Boutih de noter tristement : « C’est l’histoire du dernier arrivé qui ferme la porte… Certains enfants d’immigrés s’imaginent que pour être vraiment français, il faut être un peu raciste et s’en prendre aux étrangers. »

Marine Le Pen marche tout de même sur un fil ténu. Elle fait la cour aux musulmans, mais n’hésite pas non plus à draguer les électeurs de confession juive en assurant que le FN est le « meilleur bouclier » contre le barbu prétendument antisémite et pro-Gaza. Au nom de « la laïcité », elle réclame la suppression des menus hallal dans les cantines, histoire de caresser aussi dans le sens du poil ses électeurs qui rêvent de bouter hors de France la religion du prophète Mahomet. Une stratégie habile qui en effraie plus d’un. « Contrairement à ce que la gauche pense, la stratégie de camouflage de Marine Le Pen fonctionne bien et c’est ce qui explique sa montée en puissance. Sa grande force est de réussir à émettre des signaux totalement contradictoires », juge Malek Boutih.

« Le FN caricature les musulmans »

Marine Le Pen refuse que les mairies aident à construire des mosquées ? « C’est son devoir. La loi de 1905 doit être respectée. La France est un pays laïque dont les racines sont chrétiennes, nous souffle Mohamed Boudia, un militant du Val-d’Oise. La croisade contre le hallal ? « C’est logique ! Les Français doivent avoir le choix et ne doivent pas être obligés de manger hallal malgré eux », justifie Mohamed Bellebou, militant FN à Perpignan et patron de la coopérative européenne de viande hallal. Et ce dernier de poursuivre : « La religion ne doit pas entacher l’espace de la République. En France, la religion se porte dans le cœur, dans la poche. » En revanche, le discours mariniste reste en travers de la gorge de certains. « En s’attaquant au hallal et en cautionnant les apéros saucisson-pinard, Marine Le Pen a perdu du crédit », regrette Omar Djellil, ancien sympathisant du FN. « Marine Le Pen caricature souvent les musulmans et fait des amalgames entre islam et islamisme », renchérit Camel Bechikh, président d’une association de musulmans patriotes proche de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France).

Menaces de mort

Dans les fédérations, les frontistes musulmans espèrent susciter des vocations, même si leur engagement est mal compris. « Ma famille a tenté de me dissuader en me disant : Tu es fou ! Le Pen est raciste et veut nous jeter à la mer ! Si tu la rejoins, je te renie, témoigne Karim Ouchikh. Quant à Mohamed Boudia, il a été menacé de mort pour avoir posté début septembre sur les réseaux sociaux des selfies avec Le Pen père et fille. Bref, le travail de dédiabolisation est loin d’être terminé. Marine Le Pen jure que ce n’est qu’une « question de temps ». « La meilleure preuve qu’on est français, c’est de voter FN », aime-t-elle répéter.

LE POINT * Gilles Kepel, Passion française. La voix des cités, Témoins Gallimard, mars 2014.

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