Bernard-Henri Lévy et sa confession judaïca ou le midrash de Rabbi Bernard

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En reposant ce beau livre après l’avoir lu attentivement de la première à la dernière ligne, je me sens assailli par des souvenirs, ravivés d’ailleurs par l’ouvrage lui-même qui cite au moins trois ou quatre fois Le testament de Dieu dont la lecture avait suscité en moi (et chez tant d’autres gens) des sentiments mêlés…

Et pourtant, quarante ans après (tiens, un chiffre symbolique qui n’est pas passé inaperçu dans le livre!) l’auteur, jadis âprement critiqué de toutes parts, parachève une entreprise de longue haleine en signant cette émouvante confession juive qui m’a personnellement ému, même si je suis, moi, un authentique spécialiste des études bibliques, judéo-arabes et judéo-allemandes.

J’ai découvert dans ce livre une sensibilité juive que j’avais moi-même troquée depuis fort longtemps contre une approche historico-critique des sources juives anciennes… Une désignation que l’auteur ne reprendrait sûrement pas à son compte, lui qui examine d’abord la vie, la vitalité de la spiritualité juive, son arborescence à travers les âges, et surtout son refus affiché de séparer les époques historiques; et l’on voit les sages du Talmud côtoyer les philosophes juifs médiévaux ou encore les grands maîtres hassidiques des XVIII-XIXe siècles.

Cette attitude trahit une empathie profonde avec l’objet étudié qui n’est jamais réifié, jamais distant de celui qui l’étudie car en réalité, il ne l’étudie pas, il le vit. Ceci n’est pas sans rappeler l’attitude de Franz Rosenzweig (1886-1929), privilégiant le Lernenqui disait que le judaïsme n’était pas son objet d’étude, mais sa méthode, son approche des choses. Une vision juive de l’univers, eine jüdische Weltanschauung.

On retrouve cette critique de l’analyse desséchante d’un courant spirituel allemand que j’aime bien pour l’avoir longuement étudié, la science du judaïsme (Wissenschaft des Judentums), et dont le péché véniel fut de verser dans un historicisme de mauvais aloi… On cherchait les sources juives ou non juives de telle ou telle doctrine ou pratique, et on excluait systématiquement ce sentiment religieux qui se donne libre cours de la première à la dernière page de ce livre, L’esprit du judaïsme.

Le lecteur averti ou non averti découvrira avec surprise l’itinéraire qui a mené à cette étape qu’on espère être la dernière sur le chemin de l’auteur. Il a mis près de quarante ans à mûrir son projet, un peu comme les enfants d’Israël, condamnés après la sortie d’Egypte, à errer dans le désert jusqu’à ce que leur nature d’anciens esclaves disparaisse pour donner enfin naissance à des hommes nouveaux, libres et marchant allègrement à la rencontre de leur destin, la Révélation et le don de la Tora sur le Sinaï.

Un autre aveu d’ignorance de ma part: certes, l’auteur s’est fait aider pour tout ce qui touche à la langue hébraïque, à l’araméen du Talmud, mais j’ignorais qu’il avait si bien retenu la ou les leçons de ses maîtres… Pas de fautes dans les transcriptions de l’hébreu en français, pas de confusion dans le genre des noms cités. Bref, le contraire de ce qu’on insinuait au sujet de l’auteur: parler de choses qu’il ne connaît pas et ne parler, en fait, que de lui-même !

Mais là, miracle: c’est justement cette implication de lui-même qui en fait le grand intérêt, s’il n’était pas entré dans l’histoire avec toute la force d’engagement dont il est capable, ce livre n’aurait pas marqué une étape majeure dans l’évolution spirituelle de son auteur.

J’évoquais les maîtres, ceux qui ont catéchisé Bernard-Henri Lévy, et qui sont au moins au nombre de trois. Il y a tout d’abord la Bible et notamment le livre de Jonas que l’auteur a étudié à la loupe, y compris en s’aidant de l’original hébreu, ce qui donne un cachet particulier à son exégèse biblique; eh oui, BHL, par ce livre, en est devenu un, mais sans jamais adhérer à la méthode de la critique biblique, adhérant dans tous les cas étroitement à l’approche traditionnelle du midrash et de Rashi; ensuite il y a Emmanuel Levinas qui a exercé sur notre auteur une influence indélébile au point que maintes idées de l’auteur de Difficile liberté ont été incorporées à ce livre; enfin, le troisième mais non le moindre est Benny Lévy, cet homme, aujourd’hui disparu, qui a effectué une étrange translation qui l’a mené du maoïsme le plus radical à une religion juive non moins radicale. L’auteur et son homonyme (ce fait n’a pas été sans importance dans leur rapprochement) se sont très bien entendus, en dépit de leurs différences qui sont fort nombreuses: BHL cite sur toute une page les reproches amènes de son ami au sujet de sa perte de temps et de son gaspillage d’énergie au service de causes qu’il n’affectionnait pas vraiment.

Ayant le sens de la formule, l’auteur n’hésite pas à écrire en italiques: de Mao à Moïse… On peut aussi lire, dans ce même contexte, les parties consacrées aux Ninive modernes, véritable apologie de l’action de l’auteur en Ukraine, mais surtout en Libye…

L’arrière-plan de ce livre-confession (au sens d’affirmation et de revendication de son identité juive) n’est autre que la délicate situation actuelle des Français juifs. L’auteur ne renonce pas à l’héritage de ce pays auquel les Juifs ont tant apporté et qui leur tant donné. Les pages, nombreuses et émouvantes, qu’il consacre à l’œuvre mais aussi à la vie de Rashi, m’ont frappé.

Rashi

L’œuvre de ce vigneron champenois qui a enrichi notre connaissance du vieux français de son temps en le transcrivant en caractères hébraïques dans ses ire-remplaçables commentaires et bibliques gît au fondement même de tout le judaïsme rabbinique. Sa particularité est aussi de s’être nourri de l’humus de notre pays. BHL a bien fait de lui rendre un si vibrant hommage.
C’est un fait historique établi que le judaïsme a fait l’apostolat du messianisme à l’humanité, lui a donné le monothéisme éthique et a réussi à le convaincre de l’universalité de la loi morale.

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Il s’est aussi préoccupé du sort de l’humanité non-juive, ce que Levinas nommera le souci de l’autre, traduction d’une expression allemande puisée chez Hermann Cohen… Le Décalogue comprend à la fois des lois relevant de l’éthique universelle, mais au moins une règle qui ne s’adresse qu’aux Juifs, à savoir le respect de la solennité et du repos du sabbat. Les sages du Talmud ont donc voulu montrer que leur sollicitude ne s’arrêtait pas aux portes de leur nation (contrairement à la cité grecque pour qui la barbarie commençait dès qu’on avait quitté Athènes); ils ont édicté les sept lois de Noachides qui constituent la base de toute humanité se disant civilisée.

Un mot de l’antisémitisme qui fait partie intégrante de l’histoire juive comme une écharde plantée dans un doigt fait hélas partie du corps. Le grand spécialiste allemand de la Rome antique Th Mommsen, qui défendit Grätz contre son adversaire Heinrich von Treitschke, a écrit ceci: Israël n’était pas seul lorsqu’il fit son apparition sur la scène de l’Histoire; il avait un frère jumeau, l’antisémitisme!

BHL en parle dans les cent premières pages de son livre. En les lisant, je me suis souvenu d’un bel adage talmudique qui s’énonce ainsi et qu’i n’a pu germer que dans l’esprit d’un homme issu d’une communauté en butte à des constantes persécutions:le Saint béni soit-il nous envoie le remède avant la maladie (ha-qadosh baroukh hou makdim ha-terufa la makkaà.

Cité plus haut, Heinrich Grätz, père de l’historiographie juive moderne, relevait que du Moyen Âge chrétien à l’époque nazie, la littérature talmudique avait concentré sur elle les attaques les plus virulentes et les plus injustes. C’est pourtant à ce même Talmud que BHL tresse des couronnes très méritées. Je cite, en guise conclusion, une de ces perles de la sagesse qu’un regard biaisé et malveillant empêche de voir: Le miséricordieux (Dieu) préfère le cœur (Rahamana libba ba’é).

Maurice Ruben Hayoun

MRH petit

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