Behaalotekha: qui sont les Lévites? Vidéo
«Tu distingueras (véhibdalta) ainsi les Lévites entre les Enfants d’Israël, de sorte que les Lévites soient à moi ( hayou li )» ( Nb, 8, 14 ). Bible du Rabbinat.
Les institutions du peuple hébreu libéré de l’esclavage égyptien relèvent comme les institutions de toute autre collectivité humaine de l’histoire générale du droit. A ce titre il est légitime de se demander si le verset précédent n’institue pas une véritable caste sacerdotale qui se prévaudrait de son attache divine, ce qui la placerait en position d’extériorité et de supériorité au regard de l’ensemble du peuple hébreu, un peuple réduit à sa position profane et chargé d’entretenir cette caste possiblement parasitaire.
S’il faut se poser en effet la question, il faut la formuler également dans les termes mêmes du droit hébraïque concerné et comprendre les particularités de l’institution lévitique, en excluant d’ores et déjà l’hypothèse selon laquelle le peuple «vulgaire» occuperait une position sacrale moindre que celle du groupe survalorisé. C’est pourquoi dès le commencement de la paracha il est indiqué que si tous les jours de la Création, les grands prêtres, les cohanim, devaient préparer l’allumage des branches du Candélabre, de la Ménorah, il appartenait au peuple lui même d’en faire effectivement monter la Lumière.
Ce qui n’est pas peu dire puisque la Ménorah du Sanctuaire correspondait à la Ménorah du Monde d’en-haut.
C’est donc bien au sein de ce peuple que les Lévites devaient être non pas distingués, au sens d’une quelconque discrimination nobiliaire, ni bien sûr ségrégés, mais bel et bien distingués. L’opération de havdalah est l’une des plus fondamentales de l’oeuvre de la Création, du Maâssé Beréchit. Elle intervient dés le début de celle-ci lorsque le Créateur distingua assurément la lumière de la ténèbre, qu’il lui assigna un champ spécifique, au lieu de laisser ces deux éléments mélangés dans un chaos indistinct. De la même manière il distinguera les «eaux d’en-haut» et les «eaux d’en-bas» de sorte que l’univers ne fût pas une boule de matière confuse mais un espace-temps polarisé dans lequel il sera possible de se repérer. Ainsi l’opération dite de havdala implique à la fois la capacité de distinguer, comme on le ferait dans le noir optique, des éléments de nature différente mais aussi de discerner intellectuellement et spirituellement leurs fonctions en vue de leur accomplissement.
Il n’en va pas autrement des Lévites. Le nom même de Lévi est celui du troisième enfant né de l’union du patriarche Jacob et de Léah. Quelles sont les significations profondes discernables dans ce nom-là ? D’une part il est construit sur la lettre-pivot VaV dont la simple graphie révèle à quel point elle est communicatrice puisqu’elle se lit de la même manière dans un sens ou en sens inverse, ce qui déjà préfigure la fonction proprement lévitique, celle qui assurera à la fois la liaison des différentes composantes du peuple en chemin dans une direction donnée mais aussi la capacité d’y assurer en cas de besoin une «revenance », une téchouva vitale.
D’autre part, et cette fois d’un point de vue structural, le troisième fils ainsi nommé, l’est après ses deux premiers frères: Réouven (la vue) et Chimôn (l’écoute). Le nom de Lévi est celui qui lie entre elles ces deux sources de sens qui sollicitent la pensée. Ni l’écoute ni la vision, chacune à part soi, n’y suffit. C’est pourquoi lors du don de la Thora au Sinaï il est précisé par le récit biblique lu en hébreu que les Bnei Israël «voyaient des voix» pour souligner que leur capacité réceptive était maximale. Ingres n’était-il pas un grand peintre et un excellent musicien?
Au regard de ces significations, si l’Eternel, selon la prescription précitée désigne les Lévites comme «siens », ce n’est certes pas pour en faire un groupe à part, une confrérie mystagogique comme il en existait tant dans les peuples de ce temps. Au contraire. Les Lévites au sein du peuple diversifié, issu des douze fils de Jacob-Israël où ils sont disséminés, comme le sont les semences dans les sillons d’un champ intelligemment labouré, reçoivent pour fonction et pour vocation de se référer au Créateur par la Parole et dans les Pensées duquel toutes les composantes de la Création trouvent ou retrouvent leur unité et découvrent leur compatibilité: l’Eternel-Unifiant, ce qui est le sens premier du mot Eh’ad dont les deux premières lettres aleph et h’eth sont celles du mot AH’: frère.
La distinction divine n’exclut nullement la fraternité des Lévites. Au contraire: elle la commande. Et cela dans les deux sens d’une réciprocité intimement vécue.
Raphaël Draï zatsal raphaeldrai.wordpress.com