Les fins de mandat ont souvent un goût du sang et d’hallali, en République islamique plus encore qu’ailleurs. Mahmoud Ahmadinejad n’a pas échappé à la règle de cette Révolution qui continue de dévorer ses enfants un à un, même les plus obéissants. A l’approche de la présidentielle qui doit désigner, vendredi 14 juin, son successeur, le président iranien aura fait l’amère expérience de la descente en flammes, aussi spectaculaire et brutale que son ascension l’a été en 2005.

Mahmoud Ahmadinejad au palais présidentiel, à Téhéran, en janvier 2012. | MORTEZA NIKOUBAZI/REUTERS

Aucune avanie ne lui aura été épargnée. Son ami, son protégé, son bras droit et sa source d’inspiration, son cher Esfandiar Rahim Mashaie, a été écarté de la course à la présidence par le Conseil des gardiens. Lui-même a été rayé de la liste des orateurs à l’occasion de la commémoration de la mort de l’ayatollah Khomeyni, le 4 juin. Et le Parlement l’a interpellé sur le coût de son huitième et dernier voyage à New York, à l’occasion de l’assemblée générale des Nations unies, en septembre 2012 : les 125 membres de sa délégation ont logé dans des chambres d’hôtel coûtant « entre 400 et 700 dollars » la nuit. Si le président ne répond pas dans un délai d’un mois, son dossier sera transmis à la justice.

LA CAUTION POPULISTE D’UN RÉGIME QUI SE SAIT IMPOPULAIRE

Quelle trace laissera Mahmoud Ahmadinejad dans l’histoire iranienne ? Un sinistre Savonarole utilisant la tribune de l’ONU pour appeler à rayer Israël de la carte ? Un homme du peuple parvenu au faîte du pouvoir, qui a appauvri comme personne les classes moyennes et populaires ? Ou encore un mystique illuminé, qui a plus ébranlé qu’aucun autre le pouvoir des mollahs depuis le début de la République islamique, en 1979 ?

Avant tout, Mahmoud Ahmadinejad aura été l’instrument docile de la liquidation du courant réformateur entamée par le Guide suprême, Ali Khamenei, dès la fin des années 1990, sous la présidence Khatami. Il a effectué sa tâche sans état d’âme, comme lorsqu’il était chargé de liquider des opposants – surtout kurdes – au milieu des années 1980.

Ahmadinejad est la caution populiste d’un régime qui se sait impopulaire. Il a été choisi par le Guide en personne, Ali Khamenei, numéro un du régime. Fils de forgeron, né en 1956 à Garmsar, à 90 kilomètres de Téhéran, il restera toujours un petit gars de la campagne, à l’opposé de la grande ville corruptrice. Etudiant en ingénierie, il milite avec les islamistes et s’engage dans le Bureau pour la préservation de l’Unité, qui organisera la prise d’otages de l’ambassade américaine en 1979. Quand il a été désigné maire de Téhéran à la surprise générale, en 2003, nul ne le connaît.

Il saura se rendre célèbre par un sens aigu du marketing politique : il débarque à la municipalité de Téhéran avec son repas dans un Tupperware ou habillé en éboueur pour donner un coup de main aux balayeurs. Au terme d’une campagne éclair contre les corrompus, il écrase le vieux routier de la politique iranienne, Akbar Hachémi Rafsandjani, au second tour de la présidentielle en 2005.

Pendant ses premiers mois de pouvoir, il insiste pour continuer à loger dans son modeste appartement. Les services de sécurité ont fini par le contraindre de déménager au palais présidentiel. Ahmadinejad ne renoncera jamais à ses costumes étriqués, ses manières directes et sans façons ou son parler populaire, mélange de familiarité et de poésie obséquieuse.

Mais à l’abri de son éternel coupe-vent beige, s’installe peu à peu une dynastie. Elle ne devient vraiment apparente que lors du second mandat : son frère est nommé à de hautes fonctions, sa soeur se présente au conseil de la ville de Téhéran, il s’entoure de copains d’université et de vieilles connaissances. C’est la fin du sérail : le populo est entré au palais. Pièce maîtresse de ce dispositif, Esfandiar Rahim Mashaie, que beaucoup présentent comme l’âme damnée d’Ahmadinejad, auquel il est lié par le mariage de leurs enfants respectifs.

IL A PERDU LE SOUTIEN DES DESHÉRITÉS

Le premier conflit avec le Guide suprême intervient d’ailleurs dès l’été 2009, lorsque ce dernier refuse la nomination de Mashaie au poste de premier vice-président. La rupture est d’autant plus violente que le Guide estime avoir sauvé la mise d’Ahmadinejad en ordonnant la répression des manifestations massives, en juin 2009, contre sa réélection présumée frauduleuse dès le premier tour. Ahmadinejad continue, en paroles, de rendre hommage à l’ayatollah Khamenei, mais tout au long de son second mandat, il n’a de cesse de s’émanciper.

Fini les déclarations antisémites ou les pitreries à la tribune de l’ONU, il n’a plus besoin d’installer son personnage et de se poser en champion du monde musulman. Ce qu’il veut désormais, comme tous les autres, c’est le pouvoir, l’argent et la reconnaissance des Etats-Unis. A partir de l’automne 2009, il cherche à mettre – en vain – la main sur le pétrole, le renseignement et envoie de discrets émissaires à Washington. Le nucléaire n’échappe pas à cette querelle. Ahmadinejad tente de s’accaparer le symbole par excellence de la puissance et le meilleur levier de négociation avec les Etats-Unis, le « Grand Satan » si détesté et si désiré.

Ahmadinejad s’était fait élire en 2005 en promettant de mettre l’argent du pétrole sur la table des Iraniens. Huit ans plus tard, il n’y a ni argent ni même pétrole. Les revenus pétroliers de l’Iran ont chuté presque de moitié en 2012 par rapport à l’année précédente. La production est tombée à 700 000 barils par jour en avril, le niveau le plus bas depuis l’avènement de la République islamique en 1979. La faute aux sanctions occidentales prises en représailles au programme nucléaire militaire présumé de l’Iran. L’automobile, premier employeur du pays après le secteur pétrolier, a vu sa production diminuer de moitié. Dans un spot télévisé de la campagne 2013, Mohsen Rezaie, l’un des six candidats à la présidentielle, peut ainsi affirmer : « Notre pays est l’un des plus puissants de la région et nos missiles peuvent être tirés à des milliers de kilomètres et pourtant nous manquons de poulet. » Il vise juste : Ahmadinejad a perdu le soutien de ceux qui l’ont élu, les déshérités, fatigués de se battre pour survivre et irrités de voir l’Iran redevenu un pestiféré mondial.

QUAND LA RÉALITÉ LE CONTRARIE, AHMADINEJAD LA NIE

Le président, trop confiant dans son « génie », s’est lancé dans la réforme la plus ambitieuse et la plus risquée depuis l’avènement de la République islamique : la suppression des subventions des produits de première nécessité, qui accaparent 70 % du budget de l’Etat, à commencer par l’énergie, c’est-à-dire l’essence et le diesel. Le coût des transports a explosé. Pour compenser cette soudaine baisse du niveau de vie, des allocations ont été versées sur le compte des familles les plus pauvres, mais cela n’a pas suffi. Pourtant, « jamais un président n’a eu autant de pétrodollars », assène le candidat réformateur Mohamed-Reza Aref – il s’est retiré de la course à la présidentielle mardi : 630 milliards de dollars de rentrées pétrolières sous la présidence de M. Ahmadinejad (2005-2013) contre seulement 173 milliards sous la présidence de Mohammad Khatami (1997-2005). Mais tout a été englouti dans un mélange de mauvaise gestion, de projets bâclés et d’allocations destinées à éviter une explosion sociale.

En fait, l’ambitieuse réforme menée par Ahmadinejad, saluée en 2011 par le Fonds monétaire international, aurait eu une chance de réussir si le contexte avait été différent. Mais le président s’est entêté alors même que les Etats-Unis et l’Europe mettaient en place l’arsenal de sanctions le plus sophistiqué et draconien jamais vu depuis l’apartheid en Afrique du Sud – mis à part l’Irak de Saddam Hussein de 1991 à 2003.

Quand la réalité le contrarie, Ahmadinejad la nie. Il peut mentir sur tout : les statistiques, les journalistes et opposants en prison, les étudiants renvoyés de l’université en raison de leurs activités, son bilan économique… Invité par l’Université de Columbia à New York, en septembre 2007, à un « dialogue » avec les étudiants, il répond à une question sur la répression des homosexuels en Iran : « Nous n’avons pas d’homosexuels comme dans votre pays. Je ne sais pas qui vous a parlé de ça. »

Il se conduit de la même manière avec les grands du monde. Il écrit d’interminables lettres à George W. Bush (18 pages), au pape ou à Angela Merkel. Il adore les bains de foule et se prend de passion pour Hugo Chavez, son « frère », à l’enterrement duquel il pleure. Rien ne fait peur à cet homme de petite taille (1,58 m). Il ressemble à ces jeunes bassidj (miliciens) arrogants qui arrêtent les bourgeoises dans la rue pour corriger leur tenue, pas assez islamique. En 2010, il renvoie son ministre des affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, en tournée en Afrique : c’est le président sénégalais, Abdoulaye Wade, qui informera l’infortuné diplomate.

Lassé de ses foucades, le « système » préfère désormais un homme plus terne, plus prévisible, à l’instar de Saïd Jalili, favori du Guide et du scrutin de vendredi. Car Ahmadinejad – et plus encore son acolyte Mashaie – a la prétention d’entretenir une relation directe avec le douzième imam chiite, Mohammed Al-Mahdi, « occulté » en 874 et dont le retour sur terre instaurera la paix et la justice. Une menace existentielle pour le clergé chiite, chargé de diriger et d’encadrer la société depuis la Révolution. Même le mentor de Mahmoud Ahmadinejad, l’ayatollah Mesbah-Yazdi, a fini par le lâcher. Il est probablement là, le legs le plus important du premier président laïc de l’Iran depuis 1981 : une remise en cause sans précédent de l’utilité des mollahs.

Christophe Ayad – Le Monde.fr
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Ruth

Oh il pleure! pauvre petit choux1