Le fiasco complet de Frenchelon à repérer des terroristes convaincus

Les autorités françaises doivent reconnaître leur échec sur deux plans :

pouvoir cerner les deux terroristes islamistes durant leur cavale et empêcher une série d’attentats terroristes en plein Paris, lors desquels trois membres de la police ont payé ces négligences de leur vie – alors que ces deux frères et leur complice Coulibaly étaient, à tout le moins, bien connus des services antiterroristes français et occidentaux comme représentant bien une menace de cet ordre.

Les experts du contreterrorisme rendent compte de cet aveuglement apparent comme résultant d’une façon de s’en remettre totalement à la technologie et à des agents-doubles, au lieu de disposer d’oreilles sur place dans l’habitat naturel des terroristes.

En conséquence, les gouvernements occidentaux, y compris Washington, ont pris l’habitude d’admettre, après des attentats de grande ampleur, ces trois dernières années, que l’identité et les intentions de leurs auteurs étaient, effectivement connues et largement documentées d’avance, par leurs agences de renseignement antiterroriste. Et même, dans certains cas, des agents-doubles ont été recrutés et intégrés au sein d’organisations terroristes islamistes, dont al Qaïda.

Même en ce cas, on s’aperçoit que ces Jihadistes connus n’ont jamais été dissuadés, d’une façon ou d’une autre, de perprétrer des crimes terroristes majeurs. On a pu le voir lors de nombreux cas d’atrocités :

Le 15 avril 2013, les frères Tamerlan Tsarnayev, 26 ans, et Dzokhar Tsarnaev, 19 ans, ont tenté de faire exploser des bombes sur le parcours du Marathon de Boston. Le 22 mai de la même année, Michael Adebolajo and Michael Adebowalo sont parvenus à exécuter contre un soldat britannique, un rituel islamique de mise à mort, dans les rues de Londres, en décapitant devant les passants l’homme de troupe Lee Rigby.

Un an plus tôt, en mars 2012, Mohamed Merah a réalisé deux sortes d’attaques : il a assassiné trois commandos-parachutistes à Montauban, pour punir la France de sa participation à la guerre en Afghanistan, puis il a assassiné 1 enseignant juif et 3 enfants, dans une école juive juive, en plein Toulouse.

Le 24 mai 2014, Mehdi Nemmouche, 29 ans, de Roubaix, a été parfaitement en mesure d’attaquer le Musée Juif de Bruxelles et de tuer un couple israélien, Myriam et Emmanuel Riva, ainsi qu’une femme française et un citoyen belge. Tout ceci, malgré le fait que les renseignements français maintenaient l’œil ouvert sur le cas de Nemmouche, du fait de son association avec des groupes islamistes qui se battent en Syrie, en 2013.

Le 9 janvier, comme Merah plus tôt, on a retrouvé la trace des frères Kouachi sur la liste américaine d’interdiction de vol (no-fly list), à cause de préoccupations sécuritaires spécifiques. Il s’agissait donc de noms particulièrement familiers pour les agences du contre-terrorisme, lorsqu’on a appris, deux jours plus tôt, qu’ils avaient froidement assassiné douze personnalités de Charlie-Hebdo, dont son rédacteur en chef, des dessinateurs de valeur et deux officiers de police, dont un chargé de la protection rapprochée de Charb.

Et tous deux avaient des antécédents connus, intégrés, digérés.

Shérif a passé du temps dans une prison française pour des activités terroristes en relation avec le recrutement de combattants pour l’Irak (2004), alors que Saïd a passé du temps au Yémen, il y a quatre ans, pour s’entraîner avec Al Qaïda de la Péninsule Arabique (AQPA)

Leur acte terroriste sanglant en plein Paris ne correspond plus, cette fois, au profil du « Loup Solitaire », ou du « déséquilibré, l’épithète systématiquement employé aux récents actes terroristes en France, en même temps que l’argument disant que de tels actes sont imprévisibles et impossibles à déjouer. C’est ce qu’on a entendu après une série d’attaques contre une synagogue, une imprimerie détenue par un Juif et les divers marchés de Noël attaqués par des véhicules fous.

Il était évident qu’il s’agissait d’une cible d’assassinats multiples qui requérait une planification détaillée et des périodes de reconnaissance, tout comme une bonne connaissance de la localisation du bureau éditorial et de l’agenda des rencontres de l’équipe. En terme de logistique,les terroristes étaient dotés de fusils d’assaut Kalashnikov, de ceintures de munitions, de gilets pare-balles, de gants, de cagoules et de masques, ainsi que d’un véhicule pour venir et repartir de leur scène de meurtres.

Tous ces besoins opérationnels soulignent l’existence d’un réseau bien huilé et complexe, ayant l’expérience du combat, de la terreur, de la résolution des problèmes logistiques et des opérations de surveillance, de renseignements et de communications.

Quoi qu’il en soit, pas plus la DGSE française (sécurité extérieure) que la DGSI (sécurité intérieure) n’ont eu vent de cette conspiration meurtrière déjà sur pieds contre le magazine satirique, célèbre pour ses dessins irrévérencieux envers le Prophète Mahomet, ainsi qu’envers les personnages principaux des autres religions.

Leurs renseignements signalétiques (SIGINT) auraient au moins pu relever des bavardages qui, habituellement, précèdent l’activité terroriste. Cependant, ce présage, également, leur a complètement échappé, à cause de leur focalisation inexacte sur certains sites de communications suspectes.

Or, il y a eu plus de 500 appels, entre l’épouse de Shérif Kouachi et Hayat Boumedienne, petite amie de Coulibaly, en 2014. Et pas une allusion codée à déchiffrer?

Les renseignements français dirigent un réseau appelé Frenchelon (l’homologue de l’Echelon américain), qui bénéficie d’une liberté d’action totale et d’énormes budgets et qui est en capacité d’intercepter toute voix qui passe, toutes communications linéaires, cellulaires ou par ordinateurs transmises à travers le monde. Ce système opère de façon agressive, à partir des ambassades françaises et d’autres institutions présentes dans les pays étrangers, y compris, bien sûr, Israël. Sa tâche primordiale est de détecter l’activité terroriste sur le sol français et à l’étranger et il travaille en partenariat avec le FBI américain et le MI5 anglais.

L’avertissement du chef de la sécurité intérieure, le MI5, Andrew Parker, au lendemain du massacre de Charlie-Hebdo, concernant la menace croissante « d’attentats de grande ampleur » est, certes, tombé au moment opportun. Il a déclaré que « les renseignements soulignaient l’existence de complots spécifiques ». Mais ce responsable britannique a aussi admis que même si 3 conjurations terroristes avaient été déjouées, ces trois derniers mois, « il est presque inévitable que l’un ou l’autre puisse éventuellement réussir ». Et c’est bien là que le bât blesse.

L’échec du puissant Frenchelon, disposant de nombreuses branches, à repérer les projets Saïd et Shérif Kouachi, concernant ce massacre au journal et à les localiser après l’attaque, lorsqu’ils étaient en cavale, correspondent au résultat symptomatique de la sur-dépendance occidentale à l’égard du renseignement technique et son renoncement à l’égard du renseignement humain, ; au sein des communautés musulmanes de Paris, d’Europe et des Etats-Unis.

Les agences anti-terroristes sont, par conséquent, à court d’information tactique en temps réel sur les complots terroristes mis sur pied – et même sur l’état d’esprit qui ont cours dans ces communautés. Tous deux sont essentiels si on veut coincer la violence avant qu’elle n’éclate.

Par conséquent, les trois terroristes, au lieu d’être localisés par l’armée qui était à leurs trousses, sont les premiers à avoir rompu leur couverture et à se lancer dans des prises d’otage à Dammartin en Goële et la prise d’otages stupéfiante dans le nord-est de Paris. Ils pouvaient alors se lancer dans leurs opérations-martyrs, certains de s’entourer d’une aura de gloire islamiste, propice à recruter de nouveaux martyrs.

[debka.comArticle original

Adaptation : Marc Brzustowski.