Comment vit-on sa jeunesse dans l’Iran khoméniste quand on est une femme ambitieuse et révoltée ?Dans « Je ne suis pas celle que je suis » , l’écrivaine franco-iranienne Chahdortt Djavann propose une exploration intime, profonde, des ravages invisibles des autocraties dans la sphère intime, des séquelles profondes qu’elles laissent aussi bien dans le conscient que dans l’inconscient des hommes et des femmes qui les subissent.

Son livre constitue un témoignage au vif de ces millions de vies brisées par la violence physique et morale, la propagande déchaînée et l’hypocrisie sans limites qui structurent la vie des populations vivant sous des dictatures idéologiques.

« Je ne suis pas celle que je suis » est porté par une construction simple mais assez originale qui reflète l’enchevêtrement des événements de la vie d’une femme multiple.

D’un chapitre à l’autre, l’auteure alterne deux histoires dont on comprend rapidement qu’elles constituent les deux facettes de la vie d’une même femme habitée par une multitude de personnages contradictoires en conflit permanent les uns avec les autres.

D’un côté, il y a cette jeune femme iranienne désignée par un vague « elle » qui, en 1994, entame en France où elle est exilée une psychanalyse après une tentative de suicide.

D’un autre côté il y a Donya, étudiante iranienne vivant à Bandar Abbas en 1990.

Et entre les deux, il n’y a pas seulement quatre ans et quelques milliers de kilomètres, mais également un long périple jalonné de folie, de violence, d’oppression et de non-dits.

Ce « premier volume d’une histoire à suivre » est, semble-t-il, largement autobiographique.

« Je suis mon personnage et je ne le suis pas », reconnaît d’ailleurs en épilogue l’auteure qui affirme que « certaines expériences » de son personnage lui « sont familières ».

Comme son héroïne « trop peuplée » de visages, Chahdortt Djavann a passé sa jeunesse en Iran et a porté le voile islamique obligatoire, cette « humiliation subie par les femmes ».

Comme elle, elle est fille d’un riche féodal d’origine azérie persécuté par le régime khomeyniste.

Et puis comme elle, elle prend la route d’un exil qui passe par Istanbul puis la mène à Paris où elle se livre à une psychanalyse en gagnant sa vie grâce à des petits boulots et connaît les difficultés posées par une connaissance limitée du français.

Mais bien que Chahdortt Djavann puise les principaux traits des deux histoires dans l’authenticité du vécu, le périple de Donya en Iran est bien plus intéressant, profond et attirant que la démarche d’introspection de l’analysante exilée à Paris.

Les chapitres dédiés à la psychanalyse finissent par lasser rapidement.

Ils sont en effet par trop répétitifs.

Et les phrases proprettes, trop correctes de Djavann dans cette partie du récit truffée de références littéraires et artistiques scolaires et de considérations psychanalytiques caricaturales sont souvent rebutantes.

En revanche, la partie consacrée au vécu iranien de Donya est captivante.

L’auteure, opposante déclarée au gouvernement des mollahs de Téhéran et auteure du pamphlet « Bas le voile » et de « Ne négociez pas avec le régime iranien », y offre un témoignage précieux sur le vécu des jeunes Iraniens au début des années 1990.

Elle y montre avec ingéniosité les ingérences insupportables et continues de la sphère publique dans l’intimité de la jeunesse qui aspire à « un petit coin de paradis dans l’enfer des mollahs », qui rêve d’autre chose et surtout de normalité car « on ne peut pas construire sa vie dans la clandestinité et pour le seul plaisir de transgresser ».

Elle y montre comment « la vie strictement privée et individuelle de chacun, surtout celle des femmes, devenait une affaire politique, une affaire d’État ».

On y découvre les manigances du régime, les figures de ses janissaires, ses alliances avec certaines franges de la population, ses stratagèmes pour circonscrire les libertés individuelles, ses rapports avec les trafiquants et les pays voisins, les périmètres de tolérance où l’alcool coule à flots et jeunes femmes et jeunes hommes se rencontrent …

Ainsi que mille et un détails qui font de  » Je ne suis pas celle que je suis » un roman-témoignage qui, tout en étant loin d’être un monument de littérature, vaut la peine d’être lu avant la présidentielle iranienne de 2013 et le prochain épisode de la « révolution verte ».

Mahmoud HARB | 19/02/2012

L’Orient et le Jour

http://www.lorientlejour.com/category/%C3%80+La+Une/article/745732/Freud_et_les_ayatollahs.html

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires